mardi 31 juillet 2018
IV. La vendange.
Henri recommença à marcher et s’aperçut avec bonheur que chaque pas le rapprochait du haut de la montagne. En trois heures il était arrivé aux deux tiers du chemin, lorsqu’il se trouva arrêté par un mur très élevé qu’il n’avait pas aperçu ; il le longea et vit avec effroi, après trois jours de marche, que ce mur faisait le tour de la montagne, et qu’il n’y avait pas la moindre porte, la moindre ouverture par laquelle on pût pénétrer.
Henri s’assit par terre et réfléchit à ce qu’il devait faire ; il se résolut à attendre. Il attendit pendant quarante-cinq jours ; au bout de ce temps il dit :
« Dussé-je encore attendre cent ans, je ne bougerai pas d’ici ! »
À peine eut-il dit ces mots, qu’un pan de mur s’écroula avec un bruit effroyable et qu’il vit s’avancer, par cette ouverture, un géant qui brandissait un énorme bâton.
« Tu as donc bien envie de passer, mon garçon ? Que cherches-tu au-delà de mon mur ?
– Je cherche la plante de vie, Monsieur le Géant, pour guérir ma pauvre maman qui se meurt. S’il est en votre pouvoir de me faire franchir ce mur, je ferai pour votre service tout ce que vous me commanderez.
– En vérité ? Eh bien, écoute : ta physionomie me plaît ; je suis un des génies de la montagne, et je te ferai passer ce mur si tu veux me remplir mes caves. Voici toutes mes vignes ; cueille le raisin, écrase-le ; mets-en le jus dans mes tonneaux, et range mes tonneaux dans mes caves. Tu trouveras tout ce qui te sera nécessaire au pied de ce mur. Quand ce sera fait, appelle-moi. »
Et le Géant disparut, refermant le mur derrière lui. Henri regarda autour de lui ; à perte de vue s’étendaient les vignes du Géant.
« J’ai bien ramassé tous les blés du petit Vieillard, se dit Henri, je pourrai bien cueillir les raisins du Géant ; ce sera un travail moins long et moins difficile de mettre le raisin en vin que de mettre le blé en pains. »
Henri ôta sa veste, ramassa une serpette qu’il trouva à ses pieds, et se mit à couper les grappes et à les jeter dans des cuves. Il fut trente jours à faire la récolte. Quand tout fut cueilli, il écrasa le raisin et en versa le jus dans des tonneaux, qu’il rangeait dans des caves à mesure qu’il les remplissait ; il fut quatre-vingt-dix jours à faire le vin. Lorsque tout le vin fut prêt, les tonneaux bien mis en ordre, les caves bien arrangées, Henri appela le Géant, qui apparut immédiatement, examina les tonneaux, goûta le vin du premier et du dernier, se tourna vers Henri et lui dit :
« Tu es un brave petit homme, et je veux te payer de ta peine ; il ne sera pas dit que tu aies travaillé gratis pour le Géant de la montagne. »
Il tira de sa poche un chardon, le donna à Henri et lui dit :
« Quand tu seras revenu chez toi, chaque fois que tu désireras quelque chose, sens ton chardon. »
Henri trouva que le présent n’était pas généreux, mais il le reçut en souriant d’un air aimable.
Au même instant, le Géant siffla à faire trembler la montagne ; le mur et le Géant disparurent immédiatement, et Henri put continuer sa route.
lundi 30 juillet 2018
III. La moisson.
Il marcha longtemps, longtemps mais il avait beau marcher, il n’était pas plus loin du pied de la montagne ni plus près du sommet que lorsqu’il avait passé la rivière.
Un autre enfant aurait retourné sur ses pas mais le brave petit Henri ne se découragea pas, et, malgré une fatigue extrême, il marcha vingt et un jours sans avancer davantage. Au bout de ce temps, il n’était pas plus découragé qu’au premier jour.
« Dussé-je marcher cent ans, dit-il, j’irai jusqu’à ce que j’arrive en haut. »
À peine avait-il prononcé ces paroles, qu’il vit devant lui un petit Vieillard qui le regardait d’un air malin.
« Tu as donc bien envie d’arriver, petit ? lui dit-il. Que cherches-tu au haut de cette montagne ?
– La plante de vie, mon bon Monsieur, pour sauver ma bonne maman qui se meurt. »
Le petit Vieillard hocha la tête, appuya son petit menton pointu sur la pomme d’or de sa canne, et dit, après avoir examiné longuement Henri :
« Ta physionomie douce et franche me plaît, mon garçon ; je suis un des génies de la montagne : je te laisserai avancer à condition que tu me récolteras tout mon blé, que tu le battras, et que tu en feras de la farine, et que tu mettras la farine en pains. Quand tout sera récolté, battu, moulu et cuit, appelle-moi. Tu trouveras tous les ustensiles qui te seront nécessaires dans le fossé ici près de toi ; les champs de blé sont devant toi et couvrent la montagne. »
Le petit Vieillard disparut, et Henri considéra d’un œil effrayé les immenses champs de blé qui se déroulaient devant lui. Mais il surmonta bien vite ce sentiment de découragement, ôta sa veste, prit dans le fossé une faucille et se mit résolument à couper le blé. Il y passa cent quatre-vingt-quinze jours et autant de nuits.
Quant tout fut coupé, Henri se mit à battre le blé avec un fléau qu’il trouva sous sa main ; il le battit pendant soixante jours. Quand tout fut battu, il commença à le moudre dans un moulin qui s’éleva près du blé. Il moulut pendant quatre-vingtdix jours. Quand tout fut moulu, il se mit à pétrir et à cuire, il pétrit et cuisit pendant cent vingt jours. À mesure que les pains étaient cuits, il les rangeait proprement sur des rayons, comme des livres dans une bibliothèque. Lorsque tout fut fini, Henri se sentit transporté de joie et appela le génie de la montagne. Le génie apparut immédiatement, compta quatre cent soixantehuit mille trois cent vingt-neuf pains, craqua un petit bout du premier et du dernier, s’approcha de Henri, lui donna une petite tape sur la joue et lui dit :
« Tu es un bon garçon et je veux te payer ton travail. »
Il tira de sa petite poche une tabatière en bois, qu’il donna à Henri en disant avec malice :
« Quand tu seras de retour chez toi, tu ouvriras ta tabatière, tu y trouveras du tabac comme jamais tu n’en as eu. »
Henri ne prenait jamais de tabac et le présent du petit génie ne lui sembla pas bien utile ; mais il était trop poli pour témoigner ce qu’il pensait, et il remercia le Vieillard d’un air satisfait.
Le petit Vieillard sourit, puis éclata de rire et disparut.
dimanche 29 juillet 2018
II. Le Corbeau, le Coq et la Grenouille.
Le petit Henri marcha résolument à la montagne, qui se trouva être plus éloignée qu’elle ne paraissait ; au lieu d’y arriver en une demi-heure, comme il le croyait, il marcha toute la journée avant de se trouver au pied.
Au tiers du chemin à peu près il vit un Corbeau qui s’était pris la patte dans un piège que lui avait tendu un méchant garçon. Le pauvre Corbeau cherchait inutilement à se dégager de ce piège qui le faisait cruellement souffrir. Henri courut à lui, coupa la ficelle qui tenait la patte du Corbeau, et le délivra. Le Corbeau s’envola à tire-d’aile après avoir crié à Henri :
« Grand merci, mon brave Henri, je te le revaudrai ! »
Henri fut très surpris d’entendre parler un Corbeau, mais il n’en continua pas moins sa route.
Quelque temps après, pendant qu’il se reposait dans un buisson épais et qu’il mangeait un morceau de son pain, il vit un Coq poursuivi par un Renard et qui allait être pris, malgré ses efforts inouïs pour s’échapper. Le Coq passa tout près de Henri, qui, le saisissant adroitement, l’attira à lui et le cacha sous sa veste sans que le Renard eût pu le voir. Le Renard continua à courir, pensant que le Coq avait volé plus loin ; Henri ne bougea pas jusqu’à ce que le Renard fût hors de vue ; alors il laissa aller le Coq qui lui dit à mi-voix :
« Grand merci, mon brave Henri, je te le revaudrai ! »
Henri était reposé ; il se leva et continua à marcher.
Quand il eut fait encore un bon bout de chemin, il vit une pauvre Grenouille qui allait être dévorée par un Serpent.
La Grenouille tremblait et ne bougeait pas, paralysée par la peur ; le Serpent avançait rapidement vers elle, la gueule béante. Henri saisit une grosse pierre et la lança si habilement dans la gueule du Serpent, au moment où celui-ci allait dévorer la Grenouille, que la pierre entra dans la gorge du Serpent et l’étouffa ; la Grenouille s’éloigna en sautant, et cria à Henri :
« Grand merci, mon brave Henri, je te le revaudrai ! »
Henri, qui avait déjà entendu parler le Corbeau et le Coq, ne s’étonna plus d’entendre parler la Grenouille et continua sa route.
Peu après il arriva au pied de la montagne mais il vit qu’il y avait une rivière large et profonde qui coulait au pied, si large qu’on voyait à peine l’autre bord.
Henri s’arrêta bien embarrassé. « Peut-être, se dit-il, trouverai-je un pont, ou un gué, ou un bateau. » Il se mit à longer la rivière, qui tournait tout autour de la montagne ; mais partout elle était large et profonde, et nulle part il n’y avait ni pont ni bateau. Le pauvre Henri s’assit en pleurant au bord de la rivière.
« Fée Bienfaisante, fée Bienfaisante, venez à mon secours ! s’écria-t-il. À quoi me sert de savoir qu’au haut de la montagne est une plante qui sauvera ma pauvre maman, si je ne puis y arriver ? »
Au même moment, le Coq qu’il avait protégé contre le Renard apparut au bord et lui dit :
« La fée Bienfaisante ne peut rien pour toi ; cette montagne est hors de sa puissance ; mais tu m’as sauvé la vie, je veux te témoigner ma reconnaissance. Monte sur mon dos, Henri, et, foi de Coq, je te mènerai à l’autre bord. »
Henri n’hésita pas ; il se lança sur le dos du Coq, s’attendant à tomber dans l’eau ; mais il ne fut même pas mouillé, car le Coq le reçut si habilement sur son dos, qu’il s’y trouva assis aussi solidement que sur un cheval. Il se cramponna fortement à la crête du Coq, qui commença la traversée ; la rivière était si large qu’il vola pendant vingt et un jours avant d’arriver à l’autre bord, et pendant ces vingt et un jours Henri n’eut ni faim, ni soif, ni sommeil.
Quand ils furent arrivés, Henri remercia poliment le Coq, qui hérissa gracieusement ses plumes et disparut.
Un instant après, Henri se retourna, la rivière avait aussi disparu.
« C’est sans doute le génie de la montagne qui voulait m’empêcher d’arriver, dit Henri ; mais avec le secours de la fée Bienfaisante, me voici bien près d’atteindre le but. »
samedi 28 juillet 2018
Le bon petit Henri - I. La pauvre mère malade.
Le bon petit Henri
I. La pauvre mère malade.
Il y avait une fois une pauvre femme qui était veuve et qui vivait seule avec son petit Henri ; elle l’aimait tendrement, et elle avait bien raison de l’aimer, car jamais on n’avait vu un plus charmant enfant. Quoiqu’il n’eût encore que sept ans, il faisait tout le ménage pendant que la pauvre maman travaillait pour aller ensuite vendre son ouvrage et faire vivre son petit Henri et elle-même. Il balayait, il lavait le plancher, il faisait la cuisine, il bêchait et cultivait le jardin, et, quand son ouvrage était fini, il se mettait à raccommoder ses habits, les souliers de sa maman, ou bien à faire des bancs, des tables et tout ce qu’il avait la force de fabriquer. La maison où ils vivaient était à eux ; elle était isolée ; en face de leur fenêtre était une haute montagne, si haute que personne n’avait jamais pu monter jusqu’au sommet ; d’ailleurs elle était entourée d’un torrent, de murs élevés et de précipices infranchissables.
Ils étaient heureux et contents ; mais un jour la pauvre maman tomba malade. Elle ne connaissait pas de médecin ; d’ailleurs elle n’aurait pas eu d’argent pour le payer. Le pauvre Henri ne savait ce qu’il fallait faire pour la guérir ; quand elle avait soif, il lui faisait boire de l’eau, car il n’avait pas autre chose à lui donner ; il restait nuit et jour près d’elle ; il mangeait à peine un morceau de pain sec au pied de son lit et, quand elle dormait, il la regardait et pleurait. La maladie augmenta de jour en jour, et enfin la pauvre femme fut tout à fait mourante ; elle ne pouvait ni parler ni même avaler quoi que ce fût ; elle ne reconnaissait plus son petit Henri, qui sanglotait à genoux près de son lit. Dans son désespoir, il s’écria :
« Fée Bienfaisante, venez à mon secours, sauvez ma pauvre maman ! »
À peine eut-il prononcé ces mots, que la fenêtre s’ouvrit, et qu’il vit entrer une dame richement vêtue qui lui demanda d’une voix douce :
« Que désirez-vous de moi, mon petit ami ? Vous m’avez appelée ; me voici.
– Madame, s’écria Henri en se jetant à ses genoux et en joignant les mains, si vous êtes la fée Bienfaisante, sauvez ma pauvre maman, qui va mourir et me laisser seul en ce monde. »
La fée regarda Henri d’un air attendri ; puis, sans mot dire, elle s’approcha de la pauvre femme, se pencha sur elle, l’examina attentivement, souffla sur son visage, et dit :
« Il n’est pas en mon pouvoir de guérir ta maman, mon pauvre enfant ; c’est à toi seul qu’est réservée sa guérison, si tu as le courage d’entreprendre le voyage que je vais t’indiquer.
– Parlez, Madame, parlez ; il n’est rien que je ne fasse pour sauver maman.
– Il faut, dit la fée, que tu ailles chercher la plante de vie qui croît au haut de la montagne que tu vois par cette fenêtre ; quand tu auras cette plante, tu en exprimeras le suc dans la bouche de ta maman, qui reviendra immédiatement à la vie.
– Je vais partir tout de suite, Madame ; mais qui est-ce qui soignera ma pauvre maman pendant mon absence ? et, d’ailleurs, ajouta-t-il en sanglotant plus fort, elle sera morte bien avant mon retour.
– Sois tranquille, pauvre enfant : si tu vas chercher la plante de vie, ta mère n’aura besoin de rien jusqu’à ton retour, et elle restera dans l’état où tu la vois actuellement. Mais tu courras bien des dangers, tu subiras bien des fatigues avant d’avoir cette plante ; il te faudra un grand courage et une grande persévérance pour la rapporter.
– Je ne crains pas, Madame, de manquer de courage et de persévérance. Dites-moi seulement comment je reconnaîtrai cette plante parmi toutes celles qui couvrent la montagne.
– Si tu arrives jusqu’en haut, tu appelleras le docteur chargé de la garde de cette plante ; tu diras que c’est moi qui t’ai envoyé, et il t’en remettra une tige. »
Henri remercia la fée en lui baisant les mains, prit congé de sa mère, la couvrit de baisers, mit un pain dans sa poche, et sortit après avoir salué respectueusement la fée.
La fée sourit en regardant ce pauvre enfant de sept ans qui partait tout seul pour gravir une montagne si dangereuse que tous ceux qui avaient tenté d’en atteindre le sommet avaient péri
vendredi 27 juillet 2018
MA VIE
MA VIE .......J'ai eu vingt ans et bientôt trente,
les quarante ont suivi et aussi les cinquante,
avec quelques unités pour perturber les comptes.
J'ai lu des magazines qui parlaient de mes rides,
de bouchers qui taillaient dans les bides
et remontaient des seins à la file
comme dans les usines pour les automobiles.
Rester jeune, peu importe le prix !
Info, intox, il paraît même que le botox...
Alors, là, moi, j'dis stop.
Remonter le temps? Avoir encore vingt ans ?
Ça va pas, non ? Tu sais quoi ? J'ai pas le temps !
Demain, dans un mois, dans un an,
j'irai me balader pas très loin sur la plage
et je ramasserai des galets arrondis
que je colorierai aux couleurs du bonheur.
Je lirai des légendes, écouterai des contes
et puis les offrirai à qui voudra entendre.
Je me ferai des amis, au hasard
sur la toile, dans la rue ou au bar;
on discutera jusqu'au bout de la nuit
de la vie, de l'amour et de la mort aussi.
Demain, dans un mois, dans un an,
j'aurai les bras câlins de mes petits enfants
à mon cou enroulés pour mieux me protéger.
Mes enfants seront là et nous nous sourirons,
heureux d'avoir su traverser sans sombrer
les tempêtes, les naufrages et puis quelques orages.
Il m'arrivera encore de chanter, de danser
et de me régaler de gâteaux, de bonbons,
de p'tits plats mijotés
sans penser aux kilos ou bien à ma santé.
Demain, dans un mois, dans un an,
Je sortirai la nuit avec tous les hiboux
et verrai le soleil sur la mer se lever.
Je marcherai longtemps en goûtant le silence
J'aimerai les odeurs de la mousse en automne
et du foin en été
et le chant des cigales et le soleil brûlant.
J'écouterai toujours le malheur qui se plaint.
J'éprouverai encore les bouffées de colère
face à la bêtise et la haine étalées.
Jamais ni l'injustice ni l'infamie je n'accepterai
et lèverai en l'air, mon poing avec rage.
Demain, dans un mois, dans un an...
Et si la mort survient,
car elle survient toujours, la garce,
elle me trouvera debout, occupée et ridée.
Texte de Mireille Bergès...❤
jeudi 26 juillet 2018
X. Le voyage et l’arrivée.
X. Le voyage et l’arrivée.
Le voyage de Blondine dura, comme le lui avait dit la Tortue, six mois ; elle fut trois mois avant de sortir de la forêt ; elle se trouva alors dans une plaine aride qu’elle traversa pendant six semaines, et au bout de laquelle elle aperçut un château qui lui rappela celui de Bonne-Biche et de Beau-Minon.
Elles furent un grand mois avant d’arriver à l’avenue de ce château ; Blondine grillait d’impatience. Était-ce le château où elle devait connaître le sort de ses amis ? elle n’osait le demander malgré le désir extrême qu’elle en avait. Si elle avait pu descendre de dessus le dos de la Tortue, elle eût franchi en dix minutes l’espace qui la séparait du château ; mais la Tortue marchait toujours, et Blondine se souvenait qu’on lui avait défendu de dire une parole ni de descendre. Elle se résigna donc à attendre, malgré son extrême impatience. La Tortue semblait ralentir sa marche au lieu de la hâter ; elle mit encore quinze jours, qui semblèrent à Blondine quinze siècles, à parcourir cette avenue. Blondine ne perdait pas de vue ce château et cette porte ; le château paraissait désert ; aucun bruit, aucun
mouvement ne s’y faisait sentir. Enfin, après cent quatre-vingts jours de voyage, la Tortue s’arrêta et dit à Blondine :
« Maintenant, Blondine, descendez ; vous avez gagné par votre courage et votre obéissance la récompense que je vous avais promise ; entrez par la petite porte qui est devant vous ; demandez à la première personne que vous rencontrerez la fée Bienveillante : c’est elle qui vous instruira du sort de vos amis. »
Blondine sauta lestement à terre ; elle craignait qu’une si longue immobilité n’eût raidi ses jambes, mais elle se sentit légère comme au temps où elle vivait heureuse chez Bonne-Biche et Beau-Minon et où elle courait des heures entières, cueillant des fleurs et poursuivant des papillons. Après avoir
remercié avec effusion la Tortue, elle ouvrit précipitamment la porte qui lui avait été indiquée, et se trouva en face d’une jeune personne vêtue de blanc, qui lui demanda d’une voix douce qui elle désirait voir.
« Je voudrais voir la fée Bienveillante, répondit Blondine ; dites-lui, Mademoiselle, que la princesse Blondine la prie instamment de la recevoir.
– Suivez-moi, princesse, reprit la jeune personne. » Blondine la suivit en tremblant ; elle traversa plusieurs beaux salons, rencontra plusieurs jeunes personnes vêtues comme celle qui la précédait, et qui la regardaient en souriant et d’un air de connaissance ; elle arriva enfin dans un salon semblable
en tous points à celui qu’avait Bonne-Biche dans la forêt des Lilas.
Ce souvenir la frappa si douloureusement qu’elle ne s’aperçut pas de la disparition de la jeune personne blanche ; elle examinait avec tristesse l’ameublement du salon ; elle n’y remarqua qu’un seul meuble que n’avait pas Bonne-Biche dans la forêt des Lilas : c’était une grande armoire en or et en ivoire d’un travail exquis ; cette armoire était fermée. Blondine se sentit attirée vers elle par un sentiment indéfinissable, et elle la contemplait sans en pouvoir détourner les yeux, lorsqu’une
porte s’ouvrit : une dame belle et jeune encore, magnifiquement vêtue, entra et s’approcha de Blondine.
« Que me voulez-vous, mon enfant ? lui dit-elle d’une voix douce et caressante.
– Oh ! Madame, s’écria Blondine en se jetant à ses pieds, on m’a dit que vous pouviez me donner des nouvelles de mes chers et excellents amis Bonne-Biche et Beau-Minon. Vous savez sans doute, Madame, par quelle coupable désobéissance je les ai perdus ; longtemps je les ai pleurés, les croyant morts, mais la Tortue, qui m’a amenée jusqu’ici, m’a donné l’espérance de les retrouver un jour. Dites-moi, Madame, dites-moi s’ils vivent et ce que je dois faire pour mériter le bonheur de les revoir.
– Blondine, dit la fée Bienveillante avec tristesse, vous allez connaître le sort de vos amis ; mais, quoi que vous voyiez, ne perdez pas courage ni espérance. »
En disant ces mots, elle releva la tremblante Blondine et la conduisit devant l’armoire qui avait déjà frappé ses yeux.
« Voici, Blondine, la clef de cette armoire, ouvrez-la vous-même et conservez votre courage. »
Elle remit à Blondine une clef d’or.
Blondine ouvrit l’armoire d’une main tremblante… Que devint-elle quand elle vit dans cette armoire les peaux de Bonne-Biche et de Beau-Minon, attachées avec des clous de diamant ? À cette vue, la malheureuse Blondine poussa un cri déchirant et tomba évanouie dans les bras de la fée.
La porte s’ouvrit encore une fois, et un prince beau comme le jour se précipita vers Blondine en disant :
« Oh ! ma mère, l’épreuve est trop forte pour notre chère Blondine.
– Hélas ! mon fils, mon cœur saigne pour elle ; mais tu sais que cette dernière punition était indispensable pour la délivrer à jamais du joug cruel du génie de la forêt des Lilas. »
En disant ces mots, la fée Bienveillante toucha Blondine de sa baguette. Blondine revint immédiatement à elle ; mais, désolée, sanglotante, elle s’écria :
« Laissez-moi mourir, la vie m’est odieuse ; plus d’espoir, plus de bonheur pour la pauvre Blondine ; mes amis, mes chers amis, je vous rejoindrai bientôt.
– Blondine, chère Blondine, dit la fée en la serrant dans ses bras, tes amis vivent et t’aiment : je suis Bonne-Biche, et voici mon fils Beau-Minon. Le méchant génie de la forêt des Lilas, profitant d’une négligence de mon fils, était parvenu à s’emparer de nous et à nous donner les formes sous lesquelles
vous nous avez connus ; nous ne devions reprendre nos formes premières que si vous enleviez la Rose que je savais être votre mauvais génie et que je retenais captive. Je l’avais placée aussi
loin que possible de mon palais, afin de la soustraire à vos regards ; je savais les malheurs auxquels vous vous exposeriez en délivrant votre mauvais génie de sa prison, et le ciel m’est témoin que mon fils et moi nous eussions volontiers resté toute notre vie Bonne-Biche et Beau-Minon à vos yeux, pour vous épargner les cruelles douleurs par lesquelles vous avez passé. Le Perroquet est parvenu jusqu’à vous malgré nos soins ; vous savez le reste, ma chère enfant ; mais ce que vous ne savez pas,
c’est tout ce que nous avons souffert de vos larmes et de votre isolement. »
Blondine ne se lassait pas d’embrasser la fée, de la remercier, ainsi que le prince ; elle leur adressait mille questions :
« Que sont devenues, dit-elle, les gazelles qui nous servaient ?
– Vous les avez vues, chère Blondine : ce sont les jeunes personnes qui vous ont accompagnée jusqu’ici ; elles avaient, comme nous, subi cette triste métamorphose.
– Et la bonne vache qui m’apportait du lait tous les jours ?
– C’est nous qui avons obtenu de la reine des fées de vous envoyer ce léger adoucissement ; les paroles encourageantes du Corbeau, c’est encore de nous qu’elles venaient.
– C’est donc vous, Madame, qui m’avez aussi envoyé la Tortue ?
– Oui, Blondine ; la reine des fées, touchée de votre douleur, retira au génie de la forêt tout pouvoir sur vous, à la condition d’obtenir de vous une dernière preuve de soumission en vous obligeant à ce voyage si long et si ennuyeux, et de vous infliger une dernière punition en vous faisant croire à la mort de mon fils et à la mienne. J’ai prié, supplié la reine des fées de vous épargner au moins cette dernière douleur, mais elle a été inflexible. »
Blondine ne se lassait pas d’écouter, de regarder, d’embrasser ses amis perdus depuis si longtemps, qu’elle avait cru ne jamais revoir. Le souvenir de son père se présenta à son esprit. Le prince Parfait devina le désir de Blondine et en fit part à la fée.
« Préparez-vous, chère Blondine, à revoir votre père ; prévenu par moi, il vous attend. »
Au même moment, Blondine se trouva dans un char de perles et d’or ; à sa droite était la fée ; à ses pieds était le prince Parfait qui la regardait avec bonheur et tendresse ; le char était traîné par quatre cygnes d’une blancheur éblouissante ; ils volèrent avec une telle rapidité qu’il ne leur fallut que cinq
minutes pour arriver au palais du roi Bénin.
Toute la cour du roi était assemblée près de lui : on attendait Blondine ; lorsque le char parut, ce furent des cris de joie tellement étourdissants, que les cygnes faillirent en perdre la tête et se tromper de chemin. Le prince, qui les menait, rappela heureusement leur attention, et le char s’abattit au pied
du grand escalier.
Le roi Bénin s’élança vers Blondine, qui, sautant à terre, se jeta dans ses bras. Ils restèrent longtemps embrassés. Tout le monde pleurait, mais c’était de joie.
Quand le roi se fut un peu remis, il baisa tendrement la main de la fée, qui lui rendait Blondine après l’avoir élevée et protégée. Il embrassa le prince Parfait qu’il trouva charmant.
Il y eut huit jours de fêtes pour le retour de Blondine ; au bout de ces huit jours, la fée voulut retourner chez elle, le prince Parfait et Blondine étaient si tristes de se séparer que le roi convint avec la fée qu’ils ne se quitteraient plus ; le roi épousa la fée, et Blondine épousa le prince Parfait qui fut toujours pour elle le Beau-Minon de la forêt des Lilas.
Brunette, ayant fini par se corriger, vint souvent voir Blondine.
Le prince Violent, son mari, devint plus doux à mesure que Brunette devenait meilleure, et ils furent assez heureux.
Quant à Blondine, elle n’eut jamais un instant de chagrin ; elle donna le jour à des filles qui lui ressemblèrent, à des fils qui ressemblèrent au prince Parfait. Tout le monde les aimait, et autour d’eux tout le monde fut heureux.
mercredi 25 juillet 2018
IX. La tortue.
IX. La tortue.
Un jour qu’elle était assise à l’entrée de sa cabane, rêvant tristement comme de coutume à ses amis, à son père, elle vit devant elle une énorme Tortue.
« Blondine, lui dit la Tortue d’une vieille voix éraillée, Blondine, si tu veux te mettre sous ma garde, je te ferai sortir de cette forêt.
– Et pourquoi, Madame la Tortue, chercherais-je à sortir de la forêt ? C’est ici que j’ai causé la mort de mes amis, et c’est ici que je veux mourir.
– Es-tu bien certaine de leur mort, Blondine ?
– Comment ? il se pourrait ?… Mais non, j’ai vu leur château en ruine ; le Perroquet et le Crapaud m’ont dit qu’ils n’existaient plus ; vous voulez me consoler par bonté sans doute ; mais, hélas ! je ne puis espérer les revoir. S’ils vivaient, m’auraient-ils laissée seule, avec le désespoir affreux d’avoir causé leur mort ?
– Qui te dit, Blondine, que cet abandon n’est pas forcé, qu’eux-mêmes ne sont pas assujettis à un pouvoir plus grand que le leur ? Tu sais, Blondine, que le repentir rachète bien des fautes.
– Ah ! Madame la Tortue, si vraiment ils existent encore, si vous pouvez me donner de leurs nouvelles, dites-moi que je n’ai pas leur mort à me reprocher, dites-moi que je les reverrai un
jour ! Il n’est pas d’expiation que je n’accepte pour mériter ce bonheur.
– Blondine, il ne m’est pas permis de te dire le sort de tes amis ; mais si tu as le courage de monter sur mon dos, de ne pas en descendre pendant six mois et de ne pas m’adresser une question jusqu’au terme de notre voyage, je te mènerai dans un endroit où tout te sera révélé.
– Je promets tout ce que vous voulez, Madame la Tortue, pourvu que je sache ce que sont devenus mes chers amis.
– Prends garde, Blondine : six mois sans descendre de dessus mon dos, sans m’adresser une parole ! Une fois que nous serons parties, si tu n’as pas le courage d’aller jusqu’au bout, tu resteras éternellement au pouvoir de l’enchanteur Perroquet et de sa sœur la Rose, et je ne pourrai même plus te continuer les petits secours auxquels tu dois la vie pendant six semaines.
– Partons, Madame la Tortue, partons sur-le-champ, j’aime mieux mourir de fatigue et d’ennui que de chagrin et d’inquiétude ; depuis que vos paroles on fait naître l’espoir dans mon cœur, je me sens du courage pour entreprendre un voyage bien plus difficile que celui dont vous me parlez.
– Qu’il soit fait selon tes désirs, Blondine ; monte sur mon dos et ne crains ni la faim, ni la soif, ni le sommeil, ni aucun accident pendant notre long voyage ; tant qu’il durera, tu n’auras aucun de ces inconvénients à redouter.
Blondine monta sur le dos de la Tortue. « Maintenant, silence ! dit celle-ci ; pas un mot avant que nous soyons arrivées et que je te parle la première. »
mardi 24 juillet 2018
VIII. Le repentir.
VIII. Le repentir.
Blondine était stupéfaite ; sa conduite lui apparut dans toute son horreur : elle avait été ingrate envers des amis qui s’étaient dévoués à elle, qui avaient passé sept ans à soigner son éducation. Ces amis voudraient-ils la recevoir, lui pardonner ? Que deviendrait-elle si leur porte lui était fermée ? Et puis, que signifiaient les paroles du méchant Perroquet : « Tu as causé la perte de tes amis » ?
Elle voulut se remettre en route pour retourner chez Bonne-Biche : les ronces et les épines lui déchiraient les bras, les jambes et le visage ; elle continua pourtant à se faire jour à travers les broussailles, et, après trois heures de marche pénible, elle arriva devant le palais de Bonne-Biche et de Beau-Minon.
Que devint-elle quand, à la place du magnifique palais, elle ne vit que des ruines ; quand, au lieu des fleurs et des beaux arbres qui l’entouraient, elle n’aperçut que des ronces, des chardons et des orties ? Terrifiée, désolée, elle voulut pénétrer dans les ruines pour savoir ce qu’étaient devenus ses amis. Un
gros Crapaud sortit d’un tas de pierres, se mit devant elle et lui dit :
« Que cherches-tu ? N’as-tu pas causé, par ton ingratitude, la mort de tes amis ? Va-t’en ; n’insulte pas à leur mémoire par ta présence.
– Ah ! s’écria Blondine, mes pauvres amis, Bonne-Biche, Beau-Minon, que ne puis-je expier par ma mort les malheurs que j’ai causés ! »
Et elle se laissa tomber, en sanglotant, sur les pierres et les chardons ; l’excès de sa douleur l’empêcha de sentir les pointes aiguës des pierres et les piqûres des chardons. Elle pleura longtemps, longtemps ; enfin elle se leva et regarda autour d’elle pour tâcher de découvrir un abri où elle pourrait se réfugier ; elle ne vit rien que des pierres et des ronces.
« Eh bien, dit-elle, qu’importe qu’une bête féroce me déchire ou que je meure de faim et de douleur, pourvu que j’expire ici sur le tombeau de Bonne-Biche et de Beau-Minon ? »
Comme elle finissait ces mots, elle entendit une voix qui disait : « Le repentir peut racheter bien des fautes. » Elle leva la tête et ne vit qu’un gros Corbeau noir qui voltigeait au-dessus d’elle. « Hélas ! dit-elle, mon repentir, quelque amer qu’il soit, rendra-t-il la vie à Bonne-Biche et à Beau-Minon ?
– Courage, Blondine, reprit la voix ; rachète ta faute par ton repentir ; ne te laisse pas abattre par la douleur. »
La pauvre Blondine se leva et s’éloigna de ce lieu de désolation ; elle suivit un petit sentier qui la mena dans une partie de la forêt où les grands arbres avaient étouffé les ronces ; la terre était couverte de mousse. Blondine, qui était épuisée de fatigue et de chagrin, tomba au pied d’un de ces beaux arbres et recommença à sangloter.
« Courage, Blondine, espère ! » lui cria encore une voix.
Elle ne vit qu’une Grenouille qui était près d’elle et qui la regardait avec compassion.
« Pauvre Grenouille, dit Blondine, tu as l’air d’avoir pitié de ma douleur. Que deviendrais-je, mon Dieu ! à présent que me voilà seule au monde ?
– Courage et espérance ! » reprit la voix. Blondine soupira ; elle regarda autour d’elle, tâcha de découvrir quelque fruit pour étancher sa soif et apaiser sa faim.
Elle ne vit rien et recommença de verser des larmes.
Un bruit de grelots la tira de ses douloureuses pensées ; elle aperçut une belle vache qui approchait doucement, et puis, étant arrivée près d’elle, s’arrêta, s’inclina et lui fit voir une écuelle pendue à son cou. Blondine, reconnaissante de ce secours inattendu, détacha l’écuelle, se mit à traire la vache, et
but avec délices deux écuelles de son lait. La vache lui fit signe de remettre l’écuelle à son cou, ce que fit Blondine ; elle baisa la vache sur le cou et lui dit tristement :
« Merci, Blanchette ; c’est sans doute à mes pauvres amis que je dois ce secours charitable ; peut-être voient-ils d’un autre monde le repentir de leur pauvre Blondine, et veulent-ils adoucir son affreuse position.
– Le repentir fait bien pardonner des fautes, reprit la voix.
– Ah ! dit Blondine, quand je devrais passer des années à pleurer ma faute, je ne me la pardonnerais pas encore ; je ne me la pardonnerai jamais. »
Cependant la nuit approchait. Malgré son chagrin, Blondine songea à ce qu’elle ferait pour éviter les bêtes féroces dont elle croyait déjà entendre les rugissements. Elle vit à quelques pas d’elle une espèce de cabane formée par plusieurs arbustes dont les branches étaient entrelacées ; elle y entra en se baissant un peu, et elle vit qu’en relevant et rattachant quelques branches elle s’y ferait une petite maisonnette très gentille ; elle employa ce qui restait de jour à arranger son petit réduit : elle y porta
une quantité de mousse dont elle se fit un matelas et un oreiller ; elle cassa quelques branches qu’elle piqua en terre pour cacher l’entrée de sa cabane, et elle se coucha brisée de fatigue.
Elle s’éveilla au grand jour. Dans le premier moment elle eut peine à rassembler ses idées, à se rendre compte de sa position ; mais la triste vérité lui apparut promptement, et elle recommença les pleurs et les gémissements de la veille.
La faim se fit pourtant sentir. Blondine commença à s’inquiéter de sa nourriture, quand elle entendit les grelots de la vache. Quelques instants après, Blanchette était près d’elle. Comme la veille, Blondine détacha l’écuelle, tira du lait et en but tant qu’elle en voulut. Elle remit l’écuelle, baisa Blanchette et la vit partir avec l’espérance de la voir revenir dans la journée.
En effet, chaque jour, le matin, à midi et au soir, Blanchette venait présenter à Blondine son frugal repas.
Blondine passait son temps à pleurer ses pauvres amis, à se reprocher amèrement ses fautes.
« Par ma désobéissance, se disait-elle, j’ai causé de cruels malheurs qu’il n’est pas en mon pouvoir de réparer ; non seulement j’ai perdu mes bons et chers amis, mais je me suis privée du seul moyen de retrouver mon père, mon pauvre père qui attend peut-être sa Blondine, sa malheureuse Blondine,
condamnée à vivre et à mourir seule dans cette affreuse forêt où règne mon mauvais génie ! »
Blondine cherchait à se distraire et à s’occuper par tous les moyens possibles ; elle avait arrangé sa cabane, s’était fait un lit de mousse et de feuilles ; elle avait relié ensemble des branches dont elle avait formé un siège ; elle avait utilisé quelques épines longues et fines pour en faire des épingles et des aiguilles ; elle s’était fabriqué une espèce de fil avec des brins de chanvre qu’elle avait cueillis près de sa cabane, et elle avait ainsi réussi à raccommoder les lambeaux de sa chaussure, que les ronces avaient mise en pièces. Elle vécut de la sorte pendant six semaines. Son chagrin était toujours le même, et il faut dire à sa louange que ce n’était pas sa vie triste et solitaire qui entretenait
cette douleur, mais le regret sincère de sa faute : elle eût volontiers consenti à passer toute sa vie dans cette forêt, si par là elle avait pu racheter la vie de Bonne-Biche et de Beau-Minon.
lundi 23 juillet 2018
VII. Le perroquet.
VII. Le perroquet.
Il y avait près de six mois que Blondine s’était réveillée de son sommeil de sept années ; le temps lui semblait long ; le souvenir de son père lui revenait souvent et l’attristait. Bonne-Biche et Beau-Minon semblaient deviner ses pensées. Beau-Minon miaulait plaintivement, Bonne-Biche soupirait profondément. Blondine parlait rarement de ce qui occupait si souvent son esprit, parce qu’elle craignait d’offenser Bonne-Biche, qui lui avait répondu trois ou quatre fois : « Vous reverrez votre père, Blondine, quand vous aurez quinze ans, si vous continuez à être sage ; mais croyez-moi, ne vous occupez pas de l’avenir, et surtout ne cherchez pas à nous quitter. »
Un matin, Blondine était triste et seule ; elle réfléchissait à sa singulière et monotone existence. Elle fut distraite de sa rêverie par trois petits coups frappés doucement à sa fenêtre. Levant la tête, elle aperçut un Perroquet du plus beau vert, avec la gorge et la poitrine orange. Surprise de l’apparition d’un être inconnu et nouveau, elle alla ouvrir sa fenêtre et fit entrer le Perroquet. Quel ne fut pas son étonnement quand l’oiseau lui dit d’une petite voix aigrelette :
« Bonjour, Blondine ; je sais que vous vous ennuyez quelquefois, faute de trouver à qui parler, et je viens causer avec vous. Mais, de grâce, ne dites pas que vous m’avez vu, car Bonne-Biche me tordrait le cou.
– Et pourquoi cela, beau Perroquet ? Bonne-Biche ne fait de mal à personne, elle ne hait que les méchants.
– Blondine, si vous ne me promettez pas de cacher ma visite à Bonne-Biche et à Beau-Minon, je m’envole pour ne jamais revenir.
– Puisque vous le voulez, beau Perroquet, je vous le promets. Causons un peu : il y a si longtemps que je n’ai causé ! Vous me semblez gai et spirituel ; vous m’amuserez, je n’en doute pas. »
Blondine écouta les contes du Perroquet, qui lui fit force compliments sur sa beauté, sur ses talents, sur son esprit. Blondine était enchantée ; au bout d’une heure, le Perroquet s’envola, promettant de revenir le lendemain. Il revint ainsi pendant plusieurs jours et continua à la complimenter et à
l’amuser. Un matin il frappa à la fenêtre en disant :
« Blondine, Blondine, ouvrez-moi, je viens vous donner des nouvelles de votre père ; mais surtout pas de bruit, si vous ne voulez pas me voir tordre le cou. »
Blondine ouvrit sa croisée et dit au Perroquet : « Est-il bien vrai, mon beau Perroquet, que tu veux me donner des nouvelles de mon père ? Parle vite ; que fait-il ? comment va-t-il ?
– Votre père va bien, Blondine ; il pleure toujours votre absence ; je lui ai promis d’employer tout mon petit pouvoir à vous délivrer de votre prison ; mais je ne puis le faire que si vous m’y aidez.
– Ma prison ! dit Blondine. Mais vous ignorez donc toutes les bontés de Bonne-Biche et de Beau-Minon pour moi, les soins qu’ils ont donnés à mon éducation, leur tendresse pour moi ! Ils seront enchantés de connaître un moyen de me réunir à mon père. Venez avec moi, beau Perroquet, je vous en prie, je vous présenterai à Bonne-Biche.
– Ah ! Blondine, reprit de sa petite voix aigre le Perroquet, vous ne connaissez pas Bonne-Biche ni Beau-Minon. Ils me détestent parce que j’ai réussi quelquefois à leur arracher leurs victimes. Jamais vous ne verrez votre père, Blondine, jamais vous ne sortirez de cette forêt, si vous n’enlevez pas vous-même le talisman qui vous y retient.
– Quel talisman ? dit Blondine, je n’en connais aucun ; et quel intérêt Bonne-Biche et Beau-Minon auraient-ils à me retenir prisonnière ?
– L’intérêt de désennuyer leur solitude, Blondine. Et quant au talisman, c’est une simple Rose ; cueillie par vous, elle vous délivrera de votre exil et vous ramènera dans les bras de votre père.
– Mais il n’y a pas une seule Rose dans le jardin, comment donc pourrais-je en cueillir ?
– Je vous dirai cela un autre jour, Blondine ; aujourd’hui je ne puis vous en dire davantage, car Bonne-Biche va venir ; mais pour vous assurer des vertus de la Rose, demandez-en une à Bonne-Biche ; vous verrez ce qu’elle vous dira. À demain, Blondine, à demain. »
Et le Perroquet s’envola, bien content d’avoir jeté dans le cœur de Blondine les premiers germes d’ingratitude et de désobéissance.
À peine le Perroquet fut-il parti, que Bonne-Biche entra ; elle paraissait agitée. « Avec qui causiez-vous donc, Blondine ? dit Bonne-Biche en jetant sur la croisée ouverte un regard méfiant.
– Avec personne, Madame, répondit Blondine.
– Je suis certaine d’avoir entendu parler.
– Je me serai sans doute parlé à moi-même. » Bonne-Biche ne répliqua pas ; elle était triste, quelques larmes même roulaient dans ses yeux. Blondine était aussi préoccupée ; les paroles du Perroquet lui faisaient envisager sous un jour nouveau les obligations qu’elle avait à Bonne-Biche et à Beau-Minon. Au lieu de se dire qu’une biche qui parle, qui a la puissance de rendre intelligentes les bêtes, de faire dormir un enfant pendant sept ans, qu’une biche qui a consacré ces sept années à l’éducation ennuyeuse d’une petite fille ignorante, qu’une biche qui est logée et servie comme une reine n’est pas
une biche ordinaire ; au lieu d’éprouver de la reconnaissance de tout ce que Bonne-Biche avait fait pour elle, Blondine crut aveuglément ce Perroquet, cet inconnu dont rien ne garantissait la véracité, et qui n’avait aucun motif de lui porter intérêt au point de risquer sa vie pour lui rendre service ; elle le crut, parce qu’il l’avait flattée. Elle ne regarda plus du même œil reconnaissant l’existence douce et heureuse que lui avaient faite Bonne-Biche et Beau-Minon : elle résolut de suivre les conseils du Perroquet. « Pourquoi, Bonne-Biche, lui demanda-t-elle dans la journée, pourquoi ne vois-je pas parmi toutes vos fleurs la plus belle, la plus charmante de toutes, la Rose ? » Bonne-Biche
frémit, se troubla et dit : « Blondine, Blondine, ne me demandez pas cette fleur perfide qui pique ceux qui la touchent. Ne me parlez jamais de la Rose, Blondine ; vous ne savez pas ce qui vous menace dans cette fleur. »
L’air de Bonne-Biche était si sévère, que Blondine n’osa pas insister.
La journée s’acheva assez tristement. Blondine était gênée ; Bonne-Biche était mécontente ; Beau-Minon était triste.
Le lendemain, Blondine courut à sa fenêtre ; à peine l’eut-elle ouverte que le Perroquet entra.
« Eh bien, Blondine, vous avez vu le trouble de Bonne-Biche quand vous avez parlé de la Rose ? Je vous ai promis de vous indiquer le moyen d’avoir une de ces fleurs charmantes ; le voici : vous sortirez du parc, vous irez dans la forêt, je vous accompagnerai, et je vous mènerai dans un jardin où se trouve la plus belle Rose du monde.
– Mais comment pourrai-je sortir du parc ? Beau-Minon m’accompagne toujours dans mes promenades.
– Tâchez de le renvoyer, dit le Perroquet ; et s’il insiste, eh bien, sortez malgré lui.
– Si cette Rose est bien loin, on s’apercevra de mon absence.
– Une heure de marche au plus. Bonne-Biche a eu soin de vous placer loin de la Rose, afin que vous ne puissiez pas vous affranchir de son joug.
– Mais pourquoi me retient-elle captive ? Puissante comme elle est, ne pouvait-elle se donner d’autres plaisirs que l’éducation d’un enfant ?
– Ceci vous sera expliqué plus tard, Blondine, quand vous serez retournée près de votre père. Soyez ferme ; débarrassez-vous de Beau-Minon après déjeuner, sortez dans la forêt ; je vais vous y attendre. »
Blondine promit et ferma la fenêtre, de crainte que Bonne-Biche ne la surprît.
Après le déjeuner, Blondine descendit dans le jardin selon sa coutume. Beau-Minon la suivit, malgré quelques rebuffades qu’il reçut avec des miaulements plaintifs. Parvenue à l’allée qui menait à la sortie du parc, Blondine voulut encore renvoyer Beau-Minon.
« Je veux être seule, dit-elle ; va-t’en, Beau-Minon. »
Beau-Minon fit semblant de ne pas comprendre. Blondine, impatientée, s’oublia au point de frapper Beau-Minon du pied.
Quand le pauvre Beau-Minon eut reçu le coup de pied de Blondine, il poussa un cri lugubre et s’enfuit du côté du palais. Blondine frémit en entendant ce cri ; elle s’arrêta, fut sur le point de rappeler Beau-Minon, de renoncer à la Rose, de tout raconter à Bonne-Biche ; mais une fausse honte l’arrêta, elle marcha vers la porte, l’ouvrit non sans trembler, et se trouva dans la forêt.
Le Perroquet ne tarda pas à la rejoindre.
« Courage, Blondine ! Encore une heure et vous aurez la Rose, et vous reverrez votre père. »
Ces mots rendirent à Blondine la résolution qu’elle commençait à perdre ; elle marcha dans le sentier que lui indiquait le Perroquet en volant de branche en branche devant elle. La forêt, qu’elle avait crue si belle, près du parc de Bonne-Biche, devint de plus en plus difficile : les ronces et les pierres encombraient le sentier ; on n’entendait plus d’oiseaux ; les fleurs avaient disparu ; Blondine se sentit gagner par un malaise inexplicable ; le Perroquet la pressait vivement d’avancer.
« Vite, vite, Blondine, le temps se passe ; si Bonne-Biche s’aperçoit de votre absence et vous poursuit, elle me tordra le cou et vous ne verrez jamais votre père. »
Blondine, fatiguée, haletante, les bras déchirés, les souliers en lambeaux, allait déclarer qu’elle renonçait à aller plus loin, lorsque le Perroquet s’écria :
« Nous voici arrivés, Blondine ; voici l’enclos où est la Rose. »
Et Blondine vit au détour du sentier un petit enclos, dont la porte lui fut ouverte par le Perroquet. Le terrain y était aride et pierreux, mais au milieu s’élevait majestueusement un magnifique rosier avec une Rose plus belle que toutes les roses du monde.
« Prenez-la, Blondine, vous l’avez bien gagnée », dit le Perroquet.
Blondine saisit la branche, et, malgré les épines qui s’enfonçaient dans ses doigts, elle arracha la Rose.
À peine l’eut-elle dans sa main qu’elle entendit un éclat de rire ; la Rose s’échappa de ses mains en lui criant :
« Merci, Blondine, de m’avoir délivrée de la prison où me retenait la puissance de Bonne-Biche. Je suis ton mauvais génie ; tu m’appartiens maintenant.
– Ha, ha, ha, reprit à son tour le Perroquet, merci, Blondine, je puis maintenant reprendre ma forme d’enchanteur ; j’ai eu moins de peine à te décider que je ne le croyais. En flattant ta vanité, je t’ai facilement rendue ingrate et méchante. Tu as causé la perte de tes amis dont je suis le mortel ennemi. Adieu, Blondine. »
En disant ces mots, le Perroquet et la Rose disparurent, laissant Blondine seule au milieu d’une épaisse forêt.
dimanche 22 juillet 2018
VI. Second réveil de Blondine.
VI. Second réveil de Blondine.
Blondine dormit profondément, et, quand elle se réveilla, il lui sembla qu’elle n’était plus la même que lorsqu’elle s’était couchée ; elle se voyait plus grande ; ses idées lui semblèrent aussi avoir pris du développement ; elle se sentait instruite ; elle se souvenait d’une foule de livres qu’elle croyait avoir lus pendant son sommeil ; elle se souvenait d’avoir écrit, dessiné, chanté, joué du piano et de la harpe.
Pourtant sa chambre était bien celle que lui avait montrée Bonne-Biche et dans laquelle elle s’était couchée la veille.
Agitée, inquiète, elle se leva, courut à une glace, vit qu’elle était grande, et, nous devons l’avouer, se trouva charmante, plus jolie cent fois que lorsqu’elle s’était couchée. Ses beaux cheveux blonds tombaient jusqu’à ses pieds ; son teint blanc et rose, ses jolis yeux bleus, son petit nez arrondi, sa petite bouche vermeille, ses joues rosées, sa taille fine et gracieuse, faisaient d’elle la plus jolie personne qu’elle eût jamais vue.
Émue, presque effrayée, elle s’habilla à la hâte et courut chez Bonne-Biche, qu’elle trouva dans l’appartement où elle l’avait vue la première fois.
« Bonne-Biche ! Bonne-Biche ! s’écria-t-elle, expliquez-moi de grâce la métamorphose que je vois et que je sens en moi. Je me suis couchée hier au soir enfant, je me réveille ce matin grande personne ; est-ce une illusion ? ou bien ai-je véritablement grandi ainsi dans une nuit ?
– Il est vrai, ma chère Blondine, que vous avez aujourd’hui quatorze ans ; mais votre sommeil dure depuis sept ans. Mon fils Beau-Minon et moi, nous avons voulu vous épargner les ennuis des premières études ; quand vous êtes venue chez moi; vous ne saviez rien, pas même lire. Je vous ai endormie pour sept ans, et nous avons passé ces sept années, vous à apprendre en dormant, Beau-Minon et moi à vous instruire. Je vois dans vos yeux que vous doutez de votre savoir ; venez avec moi dans votre salle d’étude, et assurez-vous par vous-même de tout ce que vous savez. »
Blondine suivit Bonne-Biche dans la salle d’étude ; elle courut au piano, se mit à en jouer, et vit qu’elle jouait très bien ; elle alla essayer sa harpe et en tira des sons ravissants ; elle chanta merveilleusement ; elle prit des crayons, des pinceaux, et dessina et peignit avec une facilité qui dénotait un vrai talent ; elle essaya d’écrire et se trouva aussi habile que pour le reste ; elle parcourut des yeux ses livres et se souvint de les avoir presque tous lus : surprise, ravie, elle se jeta au cou de Bonne-Biche, embrassa tendrement Beau-Minon, et leur dit :
« Oh ! mes bons, mes chers, mes vrais amis, que de reconnaissance ne vous dois-je pas pour avoir ainsi soigné mon enfance, développé mon esprit et mon cœur ! car je le sens, tout est amélioré en moi, et c’est à vous que je le dois. »
Bonne-Biche lui rendit ses caresses. Beau-Minon lui léchait délicatement les mains. Quand les premiers moments de bonheur furent passés, Blondine baissa les yeux et dit timidement :
« Ne me croyez pas ingrate, mes bons et excellents amis, si je demande d’ajouter un nouveau bienfait à ceux que j’ai reçus de vous. Dites-moi, que fait mon père ? Pleure-t-il encore mon absence ? Est-il heureux depuis qu’il m’a perdue ?
– Votre désir est trop légitime pour ne pas être satisfait. Regardez dans cette glace, Blondine, et vous y verrez tout ce qui s’est passé depuis votre départ, et comment est votre père actuellement. »
Blondine leva les yeux et vit dans la glace l’appartement de son père ; le roi s’y promenait d’un air agité. Il paraissait attendre quelqu’un. La reine Fourbette entra et lui raconta que Blondine, malgré les instances de Gourmandinet, avait voulu diriger elle-même les autruches qui s’étaient emportées, avaient couru vers la forêt des Lilas et versé la voiture ; que Blondine avait été lancée dans la forêt des Lilas à travers la grille ; que Gourmandinet avait perdu la tête d’effroi et de chagrin ; qu’elle
l’avait renvoyé chez ses parents. Le roi parut au désespoir de cette nouvelle ; il courut dans la forêt des Lilas, et il fallut qu’on employât la force pour l’empêcher de s’y précipiter à la recherche de sa chère Blondine. On le ramena chez lui, où il se livra au plus affreux désespoir, appelant sans cesse sa Blondine, sa chère enfant. Enfin il s’endormit et vit en songe Blondine dans le palais de Bonne-Biche et de Beau-Minon. Bonne-Biche lui donna l’assurance que Blondine lui serait rendue un jour et que son enfance serait calme et heureuse.
La glace se ternit ensuite ; tout disparut. Puis elle redevint claire, et Blondine vit de nouveau son père, il était vieilli, ses cheveux avaient blanchi, il était triste ; il tenait à la main un petit portrait de Blondine et le baisait souvent en répandant quelques larmes. Il était seul ; Blondine ne vit ni la reine ni Brunette.
La pauvre Blondine pleura amèrement.
« Pourquoi, dit-elle, mon père n’a-t-il personne près de lui ? Où sont donc ma sœur Brunette et la reine ?
– La reine témoigna si peu de chagrin de votre mort (car on vous croit morte, chère Blondine), que le roi la prit en horreur et la renvoya au roi Turbulent son père, qui la fit enfermer dans une tour, où elle ne tarda pas à mourir de rage et d’ennui. Quant à votre sœur Brunette, elle devint si méchante, si insupportable, que le roi se dépêcha de la donner en mariage l’année dernière au prince Violent, qui se chargea de réformer le caractère méchant et envieux de la princesse Brunette. Il la maltraite
rudement ; elle commence à voir que sa méchanceté ne lui donne pas le bonheur, et elle devient un peu meilleure. Vous la reverrez un jour, et vous achèverez de la corriger par votre exemple. »
Blondine remercia tendrement Bonne-Biche de ces détails ; elle eût bien voulu lui demander :
« Quand reverrai-je mon père et ma sœur ? » Mais elle eut peur d’avoir l’air pressée de la quitter et de paraître ingrate ; elle attendit donc une autre occasion pour faire cette demande.
Les journées de Blondine se passaient sans ennui parce qu’elle s’occupait beaucoup, mais elle s’attristait quelquefois ; elle ne pouvait causer qu’avec Bonne-Biche, et Bonne-Biche n’était avec elle qu’aux heures des leçons et des repas. Beau-Minon ne pouvait répondre et se faire comprendre que par des signes. Les gazelles servaient Blondine avec zèle et intelligence, mais aucune d’elles ne pouvait parler.
Blondine se promenait accompagnée toujours de Beau-Minon, qui lui indiquait les plus jolies promenades, les plus belles fleurs. Bonne-Biche avait fait promettre à Blondine que jamais elle ne franchirait l’enceinte du parc et qu’elle n’irait jamais dans la forêt. Plusieurs fois Blondine avait demandé à Bonne-Biche la cause de cette défense. Bonne-Biche avait toujours répondu en soupirant :
« Ah ! Blondine, ne demandez pas à pénétrer dans la forêt ; c’est une forêt de malheur. Puissiez-vous ne jamais y entrer ! »
Quelquefois Blondine montait dans un pavillon qui était sur une éminence au bord de la forêt ; elle voyait des arbres magnifiques, des fleurs charmantes, des milliers d’oiseaux qui chantaient et voltigeaient comme pour l’appeler. « Pourquoi, se disait-elle, Bonne-Biche ne veut-elle pas me laisser promener dans cette forêt ? Quel danger puis-je y courir sous sa protection ? »
Toutes les fois qu’elle réfléchissait ainsi, Beau-Minon, qui paraissait comprendre ce qui se passait en elle, miaulait, la tirait par sa robe et la forçait à quitter le pavillon.
Blondine souriait, suivait Beau-Minon et reprenait sa promenade dans le parc solitaire.
samedi 21 juillet 2018
V. Bonne-Biche.
V. Bonne-Biche.
Beau-Minon était entré par un petit passage qui semblait fait exprès pour lui, et il avait probablement averti quelqu’un du château, car la grille s’ouvrit sans que Blondine eût appelé. Elle entra dans la cour et ne vit personne ; la porte du château s’ouvrit d’elle-même. Blondine pénétra dans un vestibule tout en marbre blanc et rare ; toutes les portes s’ouvrirent seules comme la première, et Blondine parcourut une suite de beaux salons. Enfin elle aperçut, au fond d’un joli salon bleu et or, une biche blanche couchée sur un lit d’herbes fines et odorantes. Beau-Minon était près d’elle. La biche vit Blondine, se leva, alla à elle et lui dit :
« Soyez la bienvenue, Blondine ; il y a longtemps que moi et mon fils Beau-Minon nous vous attendons. »
Et comme Blondine paraissait effrayée :
« Rassurez-vous, Blondine, vous êtes avec des amis ; je connais le roi votre père, et je l’aime ainsi que vous. »
– Oh ! Madame, dit Blondine, si vous connaissez le roi mon père, ramenez-moi chez lui ; il doit être bien triste de mon absence.
– Ma chère Blondine, reprit Bonne-Biche en soupirant, il n’est pas en mon pouvoir de vous rendre à votre père ; vous êtes sous la puissance de l’enchanteur de la forêt des Lilas. Moi-même je suis soumise à son pouvoir, supérieur au mien ; mais je puis envoyer à votre père des songes qui le rassureront sur votre sort et qui lui apprendront que vous êtes chez moi.
– Comment ! Madame, s’écria Blondine avec effroi, ne reverrai-je jamais mon père, mon pauvre père que j’aime tant ?
– Chère Blondine, ne nous occupons pas de l’avenir ; la sagesse est toujours récompensée. Vous reverrez votre père, mais pas encore. En attendant, soyez docile et bonne. Beau-Minon et moi nous ferons tout notre possible pour que vous soyez heureuse. »
Blondine soupira et répandit quelques larmes. Puis elle pensa que c’était mal reconnaître la bonté de Bonne-Biche que de s’affliger d’être avec elle ; elle se contint donc et s’efforça de causer gaiement.
Bonne-Biche et Beau-Minon la menèrent voir l’appartement qui lui était destiné. La chambre de Blondine était toute tapissée de soie rose brodée en or : les meubles étaient en velours blanc, brodés admirablement avec les soies les plus brillantes. Tous les animaux, les oiseaux, les papillons, les insectes y étaient représentés. Près de la chambre de Blondine était son cabinet de travail. Il était tendu en damas bleu de ciel brodé en perles fines. Les meubles étaient en moire d’argent rattachée avec de gros clous en turquoise. Sur le mur étaient accrochés deux magnifiques portraits représentant une jeune et superbe femme et un charmant jeune homme ; leurs costumes indiquaient qu’ils étaient de race royale.
« De qui sont ces portraits, Madame ? demanda Blondine à Bonne-Biche.
– Il m’est défendu de répondre à cette question, chère Blondine. Plus tard vous le saurez. Mais voici l’heure du dîner ; venez, Blondine, vous devez avoir appétit. »
Blondine, en effet, mourait de faim ; elle suivit Bonne-Biche et entra dans une salle à manger où était une table servie bizarrement. Il y avait un énorme coussin en satin blanc, placé par terre pour Bonne-Biche ; devant elle, sur la table, était une botte d’herbes choisies, fraîches et succulentes. Près des herbes était une auge en or, pleine d’une eau fraîche et limpide. En face de Bonne-Biche était un petit tabouret élevé, pour Beau-Minon ; devant lui était une écuelle en or, pleine de petits poissons frits et de bécassines ; à côté, une jatte en cristal de roche, pleine de lait tout frais.
Entre Bonne-Biche et Beau-Minon était le couvert de Blondine ; elle avait un petit fauteuil en ivoire sculpté, garni de velours nacarat rattaché avec des clous en diamant. Devant elle était une assiette en or ciselé, pleine d’un potage délicieux de gélinottes et de becfigues. Son verre et son carafon étaient
taillés dans un cristal de roche ; un petit pain mollet était placé à côté d’une cuillère qui était en or ainsi que la fourchette. La serviette était en batiste si fine, qu’on n’en avait jamais vu de pareille. Le service de table se faisait par des gazelles qui étaient d’une adresse merveilleuse ; elles servaient, découpaient et devinaient tous les désirs de Blondine, de Bonne-Biche et de Beau-Minon.
Le dîner fut exquis : les volailles les plus fines, le gibier le plus rare, les poissons les plus délicats, les pâtisseries, les sucreries les plus parfumées. Blondine avait faim ; elle mangea de tout et trouva tout excellent.
Après le dîner, Bonne-Biche et Beau-Minon menèrent Blondine dans le jardin ; elle y trouva les fruits les plus succulents et des promenades charmantes. Après avoir bien couru, s’être bien promenée, Blondine rentra avec ses nouveaux amis : elle était fatiguée. Bonne-Biche lui proposa d’aller se
coucher, ce que Blondine accepta avec joie.
Elle entra dans sa chambre à coucher, où elle trouva deux gazelles qui devaient la servir : elles la déshabillèrent avec une habileté merveilleuse, la couchèrent et s’établirent près du lit pour la veiller.
Blondine ne tarda pas à s’endormir, non sans avoir pensé à son père et sans avoir amèrement pleuré sur sa séparation d’avec lui.
vendredi 20 juillet 2018
IV. Premier réveil de Blondine. Beau-Minon.
IV. Premier réveil de Blondine. Beau-Minon.
Blondine dormit toute la nuit ; aucune bête féroce ne vint troubler son sommeil ; le froid ne se fit pas sentir ; elle se réveilla le lendemain assez tard ; elle se frotta les yeux, très surprise de se voir entourée d’arbres, au lieu de se trouver dans sa chambre et dans son lit. Elle appela sa bonne ; un miaulement doux lui répondit ; étonnée et presque effrayée, elle regarda à terre et vit à ses pieds un magnifique chat blanc qui la regardait avec douceur et qui miaulait.
« Ah ! Beau-Minon, que tu es joli ! s’écria Blondine en passant la main sur ses beaux poils, blancs comme la neige. Je suis bien contente de te voir, Beau-Minon, car tu me mèneras à ta maison. Mais j’ai bien faim, et je n’aurais pas la force de marcher avant d’avoir mangé. »
À peine eut-elle achevé ces paroles, que Beau-Minon miaula encore et lui montra avec sa petite patte un paquet posé près d’elle et qui était enveloppé dans un linge fin et blanc. Elle ouvrit le paquet et y trouva des tartines de beurre ; elle mordit dans une des tartines, la trouva délicieuse, et en donna quelques morceaux à Beau-Minon, qui eut l’air de les croquer avec délices.
Quand elle et Beau-Minon eurent bien mangé, Blondine se pencha vers lui, le caressa et lui dit :
« Merci, mon Beau-Minon, du déjeuner que tu m’as apporté. Maintenant, peux-tu me ramener à mon père qui doit se désoler de mon absence ? »
Beau-Minon secoua la tête en faisant un miaulement plaintif.
« Ah ! tu me comprends, Beau-Minon, dit Blondine. Alors, aie pitié de moi et mène-moi dans une maison quelconque, pour que je ne périsse pas de faim, de froid et de terreur dans cette affreuse forêt. »
Beau-Minon la regarda, fit avec sa tête blanche un petit signe qui voulait dire qu’il comprenait, se leva, fit plusieurs pas et se retourna pour voir si Blondine le suivait.
« Me voici, Beau-Minon, dit Blondine, je te suis. Mais comment pourrons-nous passer dans ces buissons si touffus ? Je ne vois pas de chemin. »
Beau-Minon, pour toute réponse, s’élança dans les buissons, qui s’ouvrirent d’eux-mêmes pour laisser passer Beau-Minon et Blondine, et qui se refermaient quand ils étaient passés. Blondine marcha ainsi pendant une heure ; à mesure qu’elle avançait, la forêt devenait plus claire, l’herbe était plus fine, les fleurs croissaient en abondance ; on voyait de jolis oiseaux qui chantaient, des écureuils qui grimpaient le long des branches. Blondine, qui ne doutait pas qu’elle allait sortir de la forêt et
qu’elle reverrait son père, était enchantée de tout ce qu’elle voyait ; elle se serait volontiers arrêtée pour cueillir des fleurs, mais Beau-Minon trottait toujours en avant, et miaulait tristement quand Blondine faisait mine de s’arrêter.
Au bout d’une heure, Blondine aperçut un magnifique château. Beau-Minon la conduisit jusqu’à la grille dorée. Blondine ne savait pas comment faire pour y entrer ; il n’y avait pas de sonnette, et la grille était fermée. Beau-Minon avait disparu ; Blondine était seule.
jeudi 19 juillet 2018
III. La forêt des Lilas
III. La forêt des Lilas.
Quand Blondine fut entrée dans la forêt, elle se mit à cueillir de belles branches de lilas, se réjouissant d’en avoir autant et qui sentaient si bon. À mesure qu’elle en cueillait, elle en voyait
de plus beaux ; alors elle vidait son tablier et son chapeau qui en étaient pleins, et elle les remplissait encore.
Il y avait plus d’une heure que Blondine était ainsi occupée ; elle avait chaud ; elle commençait à se sentir fatiguée ; les lilas étaient lourds à porter, et elle pensa qu’il était temps de retourner au palais. Elle se retourna et se vit entourée de lilas ; elle appela Gourmandinet : personne ne lui répondit. « Il paraît que j’ai été plus loin que je ne croyais, dit Blondine : je vais retourner sur mes pas, quoique je sois un peu fatiguée, et Gourmandinet m’entendra et viendra au-devant de moi. »
Elle marcha pendant quelque temps, mais elle n’apercevait pas la fin de la forêt. Bien des fois elle appela Gourmandinet, personne ne lui répondait. Enfin elle commença à s’effrayer.
« Que vais-je devenir dans cette forêt toute seule ? Que va penser mon pauvre papa de ne pas me voir revenir ? Et le pauvre Gourmandinet, comment osera-t-il rentrer au palais sans moi ? Il va être grondé, battu peut-être, et tout cela par ma faute, parce que j’ai voulu descendre et cueillir ces lilas !
Malheureuse que je suis ! je vais mourir de faim et de soif dans cette forêt, si encore les loups ne me mangent pas cette nuit. »
Et Blondine tomba par terre au pied d’un gros arbre et se mit à pleurer amèrement. Elle pleura longtemps ; enfin la fatigue l’emporta sur le chagrin ; elle posa sa tête sur sa botte de lilas et s’endormit.
mercredi 18 juillet 2018
II. Blondine perdue.
II. Blondine perdue.
Blondine avait déjà sept ans et Brunette avait trois ans. Le roi avait donné à Blondine une jolie petite voiture attelée de deux autruches et menée par un petit page de dix ans, qui était un neveu de la nourrice de Blondine. Le page, qui s’appelait Gourmandinet, aimait tendrement Blondine, avec laquelle il jouait depuis sa naissance et qui avait pour lui mille bontés. Mais il avait un terrible défaut ; il était si gourmand et il aimait tant les friandises, qu’il eût été capable de commettre une mauvaise action pour un sac de bonbons. Blondine lui disait souvent :
« Je t’aime bien, Gourmandinet, mais je n’aime pas à te voir si gourmand. Je t’en prie, corrige-toi de ce vilain défaut, qui fait horreur à tout le monde. »
Gourmandinet lui baisait la main et lui promettait de se corriger ; mais il continuait à voler des gâteaux à la cuisine, des bonbons à l’office, et souvent il était fouetté pour sa désobéissance et sa gourmandise.
La reine Fourbette apprit bientôt les reproches qu’on faisait à Gourmandinet, et elle pensa qu’elle pourrait utiliser le vilain défaut du petit page et le faire servir à la perte de Blondine. Voici le projet qu’elle conçut :
Le jardin où Blondine se promenait dans sa petite voiture traînée par des autruches, avec Gourmandinet pour cocher, était séparé par un grillage d’une magnifique et immense forêt, qu’on appelait la forêt des Lilas, parce que toute l’année elle était pleine de lilas toujours en fleur. Personne n’allait dans cette forêt ; on savait qu’elle était enchantée et que, lorsqu’on y entrait une fois, on n’en pouvait plus jamais sortir. Gourmandinet connaissait la terrible propriété de cette forêt ; on lui avait sévèrement défendu de jamais diriger la voiture de Blondine de ce côté, de crainte que par inadvertance Blondine ne franchît la grille et n’entrât dans la forêt des Lilas.
Bien des fois le roi avait voulu faire élever un mur le long de la grille, ou du moins serrer le grillage de manière qu’il ne fût plus possible d’y passer ; mais à mesure que les ouvriers posaient les pierres ou les grillages, une force inconnue les enlevait et les faisait disparaître.
La reine Fourbette commença par gagner l’amitié de Gourmandinet en lui donnant chaque jour des friandises nouvelles ; quand elle l’eut rendu tellement gourmand qu’il ne pouvait plus se passer des bonbons, des gelées, des gâteaux qu’elle lui donnait à profusion, elle le fit venir et lui dit :
« Gourmandinet, il dépend de toi d’avoir un coffre plein de bonbons et de friandises, ou bien de ne plus jamais en manger.
– Ne jamais en manger ! Oh ! Madame, je mourrais de chagrin. Parlez, Madame ; que dois-je faire pour éviter ce malheur ?
– Il faut, reprit la reine en le regardant fixement, que tu mènes la princesse Blondine près de la forêt des Lilas.
– Je ne le puis, Madame, le roi me l’a défendu.
– Ah ! tu ne le peux ? Alors, adieu ; je ne te donnerai plus aucune friandise, et je défendrai que personne dans la maison ne t’en donne jamais.
– Oh ! Madame, dit Gourmandinet en pleurant, ne soyez pas si cruelle ! donnez-moi un autre ordre que je puisse exécuter.
– Je te répète que je veux que tu mènes Blondine près de la forêt des Lilas, et que tu l’encourages à descendre de voiture, à franchir la grille et à entrer dans la forêt.
– Mais, Madame, reprit Gourmandinet en devenant tout pâle, si la princesse entre dans cette forêt, elle n’en sortira jamais ; vous savez que c’est une forêt enchantée ; y envoyer ma princesse, c’est l’envoyer à une mort certaine.
– Une troisième et dernière fois, veux-tu y mener Blondine ? Choisis : ou bien un coffre immense de bonbons que je renouvellerai tous les mois, ou jamais de sucreries ni de pâtisseries.
– Mais comment ferai-je pour échapper à la punition terrible que m’infligera le roi ?
– Ne t’inquiète pas de cela ; aussitôt que tu auras fait entrer Blondine dans la forêt des Lilas, viens me trouver : je te ferai partir avec tes bonbons, et je me charge de ton avenir.
– Oh ! Madame, par pitié, ne m’obligez pas à faire périr ma chère maîtresse, qui a toujours été si bonne pour moi !
– Tu hésites, petit misérable ! Et que t’importe ce que deviendra Blondine ? Plus tard, je te ferai entrer au service de Brunette, et je veillerai à ce que tu ne manques jamais de bonbons. »
Gourmandinet réfléchit encore quelques instants, et se résolut, hélas ! à sacrifier sa bonne petite maîtresse pour quelques livres de bonbons. Tout le reste du jour et toute la nuit il hésita encore à commettre ce grand crime ; mais la certitude de ne pouvoir plus satisfaire sa gourmandise, s’il se refusait à exécuter l’ordre de la reine, l’espoir de retrouver un jour Blondine en s’adressant à quelque fée puissante, firent cesser ces irrésolutions et le décidèrent à obéir à la reine.
Le lendemain, à quatre heures, Blondine commanda sa petite voiture, monta dedans après avoir embrassé le roi et lui avoir promis de revenir dans deux heures. Le jardin était grand. Gourmandinet fit aller les autruches du côté opposé à la forêt des Lilas.
Quand ils furent si loin qu’on ne pouvait plus les voir du palais, il changea de direction et s’achemina vers la grille de la forêt des Lilas. Il était triste et silencieux ; son crime pesait sur son cœur et sur sa conscience.
« Qu’as-tu donc, Gourmandinet ? demanda Blondine ; tu ne parles pas ; serais-tu malade ?
– Non, princesse, je me porte bien.
– Comme tu es pâle ! dis-moi ce que tu as, mon pauvre Gourmandinet. Je te promets de faire mon possible pour te contenter. »
Cette bonté de Blondine fut sur le point de la sauver en amollissant le cœur de Gourmandinet ; mais le souvenir des bonbons promis par Fourbette détruisit ce bon mouvement.
Avant qu’il eût pu répondre, les autruches touchèrent à la
grille de la forêt des Lilas. « Oh ! les beaux lilas ! s’écria
Blondine ; quelle douce odeur ! Que je voudrais avoir un gros
bouquet de ces lilas pour les offrir à papa ! Descends,
Gourmandinet et va m’en chercher quelques branches.
– Je ne puis descendre, princesse ; les autruches pourraient s’en aller pendant que je serais absent.
– Eh ! qu’importe ? dit Blondine : je les ramènerai bien seule au palais.
– Mais le roi me gronderait de vous avoir abandonnée, princesse. Il vaut mieux que vous alliez vous-même cueillir et choisir vos fleurs.
– C’est vrai, dit Blondine ; je serais bien fâchée de te faire gronder, mon pauvre Gourmandinet. » Et, en disant ces mots, elle sauta lestement de la voiture, franchit les barreaux de la grille et se mit à cueillir les lilas.
À ce moment, Gourmandinet frémit, se troubla : le remords entra dans son cœur ; il voulut tout réparer en rappelant Blondine, mais, quoique Blondine ne fût qu’à dix pas de lui, quoiqu’il la vît parfaitement, elle n’entendait pas sa voix et s’enfonçait petit à petit dans la forêt enchantée. Longtemps il la vit cueillir des lilas, et enfin elle disparut à ses yeux.
Longtemps encore il pleura son crime, maudit sa gourmandise, détesta la reine Fourbette. Enfin il pensa que l’heure où Blondine devait être de retour au palais approchait ; il rentra aux écuries par les derrières, et courut chez la reine, qui l’attendait. En le voyant pâle et les yeux rouges des larmes
terribles du remords, elle devina que Blondine était perdue.
« Est-ce fait ? » dit-elle.
Gourmandinet fit signe de la tête que oui ; il n’avait pas la force de parler.
« Viens, dit-elle, voilà ta récompense. »
Et elle lui montra un coffre plein de bonbons de toutes sortes. Elle fit enlever ce coffre par un valet, et le fit attacher sur un des mulets qui avaient amené ses bijoux.
« Je confie ce coffre à Gourmandinet, pour qu’il le porte à mon père. Partez, Gourmandinet, et revenez en chercher un autre dans un mois. »
Elle lui remit en même temps une bourse pleine d’or dans la main. Gourmandinet monta sur le mulet sans mot dire. Il partit au galop ; bientôt le mulet, qui était méchant et entêté, impatienté du poids de la caisse, se mit à ruer, à se cambrer, et fit si bien qu’il jeta par terre Gourmandinet et le coffre.
Gourmandinet, qui ne savait pas se tenir sur un cheval ni sur un mulet, tomba la tête sur des pierres et mourut sur le coup. Ainsi il ne retira même pas de son crime le profit qu’il en avait espéré,
puisqu’il n’avait pas encore goûté les bonbons que lui avait donnés la reine.
Personne ne le regretta, car personne ne l’avait aimé, excepté la pauvre Blondine, que nous allons rejoindre dans la forêt des Lilas.
mardi 17 juillet 2018
I. Blondine.
Histoire de Blondine, de Bonne-Biche et de Beau-Minon
I. Blondine.
Il y avait un roi qui s’appelait Bénin ; tout le monde l’aimait, parce qu’il était bon ; les méchants le craignaient, parce qu’il était juste. Sa femme, la reine Doucette, était aussi bonne que lui. Ils avaient une petite princesse qui s’appelait Blondine à cause de ses magnifiques cheveux blonds, et qui était bonne et charmante comme son papa le roi et comme sa maman la reine.
Malheureusement la reine mourut peu de mois après la naissance de Blondine, et le roi pleura beaucoup et longtemps. Blondine était trop petite pour comprendre que sa maman était morte : elle ne pleura donc pas et continua à rire, à jouer, à téter et à dormir paisiblement. Le roi aimait tendrement Blondine, et Blondine aimait le roi plus que personne au monde. Le roi lui donnait les plus beaux joujoux, les meilleurs bonbons, les plus délicieux fruits. Blondine était très heureuse.
Un jour, on dit au roi Bénin que tous ses sujets lui demandaient de se remarier pour avoir un fils qui pût être roi après lui. Le roi refusa d’abord ; enfin il céda aux instances et aux désirs de ses sujets, et il dit à son ministre Léger :
« Mon cher ami, on veut que je me remarie ; je suis encore si triste de la mort de ma pauvre femme Doucette, que je ne veux pas m’occuper moi-même d’en chercher une autre. Chargez-vous de me trouver une princesse qui rende heureuse ma pauvre Blondine : je ne demande pas autre chose. Allez,
mon cher Léger ; quand vous aurez trouvé une femme parfaite, vous la demanderez en mariage et vous l’amènerez. »
Léger partit sur-le-champ, alla chez tous les rois, et vit beaucoup de princesses, laides, bossues, méchantes ; enfin il arriva chez le roi Turbulent, qui avait une fille jolie, spirituelle, aimable et qui paraissait bonne. Léger la trouva si charmante qu’il la demanda en mariage pour son roi Bénin, sans s’informer si elle était réellement bonne. Turbulent, enchanté de se débarrasser de sa fille, qui avait un caractère méchant, jaloux et orgueilleux, et qui d’ailleurs le gênait pour ses voyages, ses chasses, ses courses continuelles, la donna tout de suite à Léger, pour qu’il l’emmenât avec lui dans le royaume du roi Bénin.
Léger partit, emmenant la princesse Fourbette et quatre mille mulets chargés des effets et des bijoux de la princesse.
Ils arrivèrent chez le roi Bénin, qui avait été prévenu de leur arrivée par un courrier ; le roi vint au-devant de la princesse Fourbette. Il la trouva jolie ; mais qu’elle était loin d’avoir l’air doux et bon de la pauvre Doucette ! Quand Fourbette vit Blondine, elle la regarda avec des yeux si méchants, que la
pauvre Blondine, qui avait déjà trois ans, eut peur et se mit à pleurer.
« Qu’a-t-elle ? demanda le roi. Pourquoi ma douce et sage Blondine pleure-t-elle comme un enfant méchant ?
– Papa, cher papa, s’écria Blondine en se cachant dans les bras du roi, ne me donnez pas à cette princesse ; j’ai peur ; elle a l’air si méchant ! »
Le roi, surpris, regarda la princesse Fourbette, qui ne put assez promptement changer son visage pour que le roi n’y aperçût pas ce regard terrible qui effrayait tant Blondine. Il résolut immédiatement de veiller à ce que Blondine vécût séparée de la nouvelle reine, et restât comme avant sous la garde exclusive de la nourrice et de la bonne qui l’avaient élevée et qui l’aimaient tendrement. La reine voyait donc rarement Blondine, et quand elle la rencontrait, par hasard, elle ne pouvait dissimuler entièrement la haine qu’elle lui portait.
Au bout d’un an, elle eut une fille, qu’on nomma Brunette, à cause de ses cheveux, noirs comme du charbon. Brunette était jolie, mais bien moins jolie que Blondine ; elle était, de plus, méchante comme sa maman, et elle détestait Blondine, à laquelle elle faisait toutes sortes de méchancetés : elle la mordait, la pinçait, lui tirait les cheveux, lui cassait ses joujoux, lui tachait ses belles robes. La bonne petite Blondine ne se fâchait jamais ; toujours elle cherchait à excuser Brunette.
« Oh ! papa, disait-elle au roi, ne la grondez pas ; elle est si petite, elle ne sait pas qu’elle me fait de la peine en cassant mes joujoux… C’est pour jouer qu’elle me mord… C’est pour s’amuser qu’elle me tire les cheveux », etc.
Le roi Bénin embrassait sa fille Blondine et ne disait rien, mais il voyait bien que Brunette faisait tout cela par méchanceté et que Blondine l’excusait par bonté. Aussi aimait-il Blondine de plus en plus et Brunette de moins en moins.
La reine Fourbette, qui avait de l’esprit, voyait bien tout cela mais elle haïssait de plus en plus l’innocente Blondine ; et, si elle n’avait craint la colère du roi Bénin, elle aurait rendu Blondine la plus malheureuse enfant du monde. Le roi avait défendu que Blondine fût jamais seule avec la reine, et, comme on savait qu’il était aussi juste que bon et qu’il punissait sévèrement la désobéissance, la reine elle-même n’osait pas désobéir.
lundi 16 juillet 2018
Nouveaux contes de fées pour les petits enfants
NOUVEAUX CONTES DE FÉES
POUR LES PETITS ENFANTS
Mme la Comtesse de Ségur
(née Rostopchine)
1857
Table des matières
Histoire de Blondine, de Bonne-Biche et de Beau-Minon
Le bon petit Henri
Histoire de la princesse Rosette
Ourson
VI. Maladie et sacrifice
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