jeudi 26 juillet 2018

X. Le voyage et l’arrivée.



X. Le voyage et l’arrivée.

Le voyage de Blondine dura, comme le lui avait dit la Tortue, six mois ; elle fut trois mois avant de sortir de la forêt ; elle se trouva alors dans une plaine aride qu’elle traversa pendant six semaines, et au bout de laquelle elle aperçut un château qui lui rappela celui de Bonne-Biche et de Beau-Minon.
Elles furent un grand mois avant d’arriver à l’avenue de ce château ; Blondine grillait d’impatience. Était-ce le château où elle devait connaître le sort de ses amis ? elle n’osait le demander malgré le désir extrême qu’elle en avait. Si elle avait pu descendre de dessus le dos de la Tortue, elle eût franchi en dix minutes l’espace qui la séparait du château ; mais la Tortue marchait toujours, et Blondine se souvenait qu’on lui avait défendu de dire une parole ni de descendre. Elle se résigna donc à attendre, malgré son extrême impatience. La Tortue semblait ralentir sa marche au lieu de la hâter ; elle mit encore quinze jours, qui semblèrent à Blondine quinze siècles, à parcourir cette avenue. Blondine ne perdait pas de vue ce château et cette porte ; le château paraissait désert ; aucun bruit, aucun
mouvement ne s’y faisait sentir. Enfin, après cent quatre-vingts jours de voyage, la Tortue s’arrêta et dit à Blondine :

« Maintenant, Blondine, descendez ; vous avez gagné par votre courage et votre obéissance la récompense que je vous avais promise ; entrez par la petite porte qui est devant vous ; demandez à la première personne que vous rencontrerez la fée Bienveillante : c’est elle qui vous instruira du sort de vos amis. »

Blondine sauta lestement à terre ; elle craignait qu’une si longue immobilité n’eût raidi ses jambes, mais elle se sentit légère comme au temps où elle vivait heureuse chez Bonne-Biche et Beau-Minon et où elle courait des heures entières, cueillant des fleurs et poursuivant des papillons. Après avoir
remercié avec effusion la Tortue, elle ouvrit précipitamment la porte qui lui avait été indiquée, et se trouva en face d’une jeune  personne vêtue de blanc, qui lui demanda d’une voix douce qui elle désirait voir.

« Je voudrais voir la fée Bienveillante, répondit Blondine ; dites-lui, Mademoiselle, que la princesse Blondine la prie instamment de la recevoir.

– Suivez-moi, princesse, reprit la jeune personne. » Blondine la suivit en tremblant ; elle traversa plusieurs beaux salons, rencontra plusieurs jeunes personnes vêtues comme celle qui la précédait, et qui la regardaient en souriant et d’un air de connaissance ; elle arriva enfin dans un salon semblable
en tous points à celui qu’avait Bonne-Biche dans la forêt des Lilas.

Ce souvenir la frappa si douloureusement qu’elle ne s’aperçut pas de la disparition de la jeune personne blanche ; elle examinait avec tristesse l’ameublement du salon ; elle n’y remarqua qu’un seul meuble que n’avait pas Bonne-Biche dans la forêt des Lilas : c’était une grande armoire en or et en ivoire d’un travail exquis ; cette armoire était fermée. Blondine se sentit attirée vers elle par un sentiment indéfinissable, et elle la contemplait sans en pouvoir détourner les yeux, lorsqu’une
porte s’ouvrit : une dame belle et jeune encore, magnifiquement vêtue, entra et s’approcha de Blondine.

« Que me voulez-vous, mon enfant ? lui dit-elle d’une voix douce et caressante.

– Oh ! Madame, s’écria Blondine en se jetant à ses pieds, on m’a dit que vous pouviez me donner des nouvelles de mes chers et excellents amis Bonne-Biche et Beau-Minon. Vous savez sans doute, Madame, par quelle coupable désobéissance je les ai perdus ; longtemps je les ai pleurés, les croyant morts, mais la Tortue, qui m’a amenée jusqu’ici, m’a donné l’espérance de les retrouver un jour. Dites-moi, Madame, dites-moi s’ils vivent et ce que je dois faire pour mériter le bonheur de les revoir.

– Blondine, dit la fée Bienveillante avec tristesse, vous allez connaître le sort de vos amis ; mais, quoi que vous voyiez, ne perdez pas courage ni espérance. »

En disant ces mots, elle releva la tremblante Blondine et la conduisit devant l’armoire qui avait déjà frappé ses yeux.

« Voici, Blondine, la clef de cette armoire, ouvrez-la vous-même et conservez votre courage. »

Elle remit à Blondine une clef d’or.

Blondine ouvrit l’armoire d’une main tremblante… Que devint-elle quand elle vit dans cette armoire les peaux de Bonne-Biche et de Beau-Minon, attachées avec des clous de diamant ? À cette vue, la malheureuse Blondine poussa un cri déchirant et tomba évanouie dans les bras de la fée.

La porte s’ouvrit encore une fois, et un prince beau comme le jour se précipita vers Blondine en disant :

« Oh ! ma mère, l’épreuve est trop forte pour notre chère Blondine.

– Hélas ! mon fils, mon cœur saigne pour elle ; mais tu sais que cette dernière punition était indispensable pour la délivrer à jamais du joug cruel du génie de la forêt des Lilas. »

En disant ces mots, la fée Bienveillante toucha Blondine de sa baguette. Blondine revint immédiatement à elle ; mais, désolée, sanglotante, elle s’écria :

« Laissez-moi mourir, la vie m’est odieuse ; plus d’espoir, plus de bonheur pour la pauvre Blondine ; mes amis, mes chers amis, je vous rejoindrai bientôt.

– Blondine, chère Blondine, dit la fée en la serrant dans ses bras, tes amis vivent et t’aiment : je suis Bonne-Biche, et voici mon fils Beau-Minon. Le méchant génie de la forêt des Lilas, profitant d’une négligence de mon fils, était parvenu à s’emparer de nous et à nous donner les formes sous lesquelles
vous nous avez connus ; nous ne devions reprendre nos formes premières que si vous enleviez la Rose que je savais être votre mauvais génie et que je retenais captive. Je l’avais placée aussi
loin que possible de mon palais, afin de la soustraire à vos regards ; je savais les malheurs auxquels vous vous exposeriez en délivrant votre mauvais génie de sa prison, et le ciel m’est témoin que mon fils et moi nous eussions volontiers resté toute notre vie Bonne-Biche et Beau-Minon à vos yeux, pour vous épargner les cruelles douleurs par lesquelles vous avez passé. Le Perroquet est parvenu jusqu’à vous malgré nos soins ; vous savez le reste, ma chère enfant ; mais ce que vous ne savez pas,
c’est tout ce que nous avons souffert de vos larmes et de votre isolement. »

Blondine ne se lassait pas d’embrasser la fée, de la remercier, ainsi que le prince ; elle leur adressait mille questions :

« Que sont devenues, dit-elle, les gazelles qui nous servaient ?

– Vous les avez vues, chère Blondine : ce sont les jeunes personnes qui vous ont accompagnée jusqu’ici ; elles avaient, comme nous, subi cette triste métamorphose.

– Et la bonne vache qui m’apportait du lait tous les jours ?

– C’est nous qui avons obtenu de la reine des fées de vous envoyer ce léger adoucissement ; les paroles encourageantes du Corbeau, c’est encore de nous qu’elles venaient.

– C’est donc vous, Madame, qui m’avez aussi envoyé la Tortue ?

– Oui, Blondine ; la reine des fées, touchée de votre douleur, retira au génie de la forêt tout pouvoir sur vous, à la condition d’obtenir de vous une dernière preuve de soumission en vous obligeant à ce voyage si long et si ennuyeux, et de vous infliger une dernière punition en vous faisant croire à la mort de mon fils et à la mienne. J’ai prié, supplié la reine des fées de vous épargner au moins cette dernière douleur, mais elle a été inflexible. »

Blondine ne se lassait pas d’écouter, de regarder, d’embrasser ses amis perdus depuis si longtemps, qu’elle avait cru ne jamais revoir. Le souvenir de son père se présenta à son esprit. Le prince Parfait devina le désir de Blondine et en fit part à la fée.

« Préparez-vous, chère Blondine, à revoir votre père ; prévenu par moi, il vous attend. »

Au même moment, Blondine se trouva dans un char de perles et d’or ; à sa droite était la fée ; à ses pieds était le prince Parfait qui la regardait avec bonheur et tendresse ; le char était traîné par quatre cygnes d’une blancheur éblouissante ; ils volèrent avec une telle rapidité qu’il ne leur fallut que cinq
minutes pour arriver au palais du roi Bénin.

Toute la cour du roi était assemblée près de lui : on attendait Blondine ; lorsque le char parut, ce furent des cris de joie tellement étourdissants, que les cygnes faillirent en perdre la tête et se tromper de chemin. Le prince, qui les menait, rappela heureusement leur attention, et le char s’abattit au pied
du grand escalier.

Le roi Bénin s’élança vers Blondine, qui, sautant à terre, se jeta dans ses bras. Ils restèrent longtemps embrassés. Tout le monde pleurait, mais c’était de joie.

Quand le roi se fut un peu remis, il baisa tendrement la main de la fée, qui lui rendait Blondine après l’avoir élevée et protégée. Il embrassa le prince Parfait qu’il trouva charmant.

Il y eut huit jours de fêtes pour le retour de Blondine ; au bout de ces huit jours, la fée voulut retourner chez elle, le prince Parfait et Blondine étaient si tristes de se séparer que le roi convint avec la fée qu’ils ne se quitteraient plus ; le roi épousa la fée, et Blondine épousa le prince Parfait qui fut toujours pour elle le Beau-Minon de la forêt des Lilas.

Brunette, ayant fini par se corriger, vint souvent voir Blondine.

Le prince Violent, son mari, devint plus doux à mesure que Brunette devenait meilleure, et ils furent assez heureux.

Quant à Blondine, elle n’eut jamais un instant de chagrin ; elle donna le jour à des filles qui lui ressemblèrent, à des fils qui ressemblèrent au prince Parfait. Tout le monde les aimait, et autour d’eux tout le monde fut heureux.

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