lundi 30 avril 2018

Poil de Carotte - La mèche



La mèche

Le dimanche, madame Lepic exige que ses fils aillent à la messe. On
les fait beaux et sœur Ernestine préside elle-même à leur toilette, au risque
d’être en retard pour la sienne. Elle choisit les cravates, lime les ongles,
distribue les paroissiens et donne le plus gros à Poil de Carotte. Mais surtout
elle pommade ses frères.
C’est une rage qu’elle a.
Si Poil de Carotte, comme un Jean Fillou, se laisse faire, grand frère Félix
prévient sa sœur qu’il finira par se fâcher : aussi elle triche :
– Cette fois, dit-elle, je me suis oubliée, je ne l’ai pas fait exprès, et je te
jure qu’à partir de dimanche prochain, tu n’en auras plus.
Et toujours elle réussit à lui en mettre un doigt.
– Il arrivera malheur, dit grand frère Félix.
Ce matin, roulé dans sa serviette, la tête basse, comme sœur Ernestine
ruse encore, il ne s’aperçoit de rien.
– Là, dit-elle, je t’obéis, tu ne bougonneras point, regarde le pot fermé
sur la cheminée. Suis-je gentille ? D’ailleurs je n’ai aucun mérite. Il faudrait
du ciment pour Poil de Carotte, mais avec toi, la pommade est inutile. Tes
cheveux frisent et bouffent tout seuls. Ta tête ressemble à un chou-fleur et
cette raie durera jusqu’à la nuit.
– Je te remercie, dit grand frère Félix.
Il se lève sans défiance. Il néglige de vérifier comme d’ordinaire, en
passant sa main sur ses cheveux.
Sœur Ernestine achève de l’habiller, le pomponne et lui met des gants de
filoselle blanche.
– Ça y est ? dit grand frère Félix.
– Tu brilles comme un prince, dit sœur Ernestine, il ne te manque que ta
casquette. Va la chercher dans l’armoire.
Mais grand frère Félix se trompe. Il passe devant l’armoire. Il court au
buffet, l’ouvre, empoigne une carafe pleine d’eau et la vide sur sa tête, avec
tranquillité.
– Je t’avais prévenue, ma sœur, dit-il. Je n’aime pas qu’on se moque de
moi. Tu es encore trop petite pour rouler un vieux de la vieille. Si jamais tu
recommences, j’irai noyer ta pommade dans la rivière.
Ses cheveux aplatis, son costume du dimanche ruissellent, et tout trempé,
il attend qu’on le change ou que le soleil le sèche, au choix : ça lui est égal.
– Quel type ! se dit Poil de Carotte, immobile d’admiration. Il ne craint
personne, et si j’essayais de l’imiter, on rirait bien. Mieux vaut laisser croire
que je ne déteste pas la pommade.
Mais tandis que Poil de Carotte se résigne d’un cœur habitué, ses cheveux
le vengent à son insu.
Couchés de force, quelque temps, sous la pommade, ils font les morts ;
puis ils se dégourdissent, et par une invisible poussée, bossellent leur léger
moule luisant, le fendillent, le crèvent.
On dirait un chaume qui dégèle.
Et bientôt la première mèche se dresse en l’air, droite, libre.

dimanche 29 avril 2018

Poil de Carotte - La trompette



La trompette

M. Lepic arrive de Paris ce matin même. Il ouvre sa malle. Des cadeaux
en sortent pour grand frère Félix et sœur Ernestine, de beaux cadeaux, dont
précisément (comme c’est drôle !) ils ont rêvé toute la nuit. Ensuite M. Lepic,
les mains derrière son dos, regarde malignement Poil de Carotte et lui dit :
– Et toi, qu’est-ce que tu aimes le mieux : une trompette ou un pistolet ?
En vérité, Poil de Carotte est plutôt prudent que téméraire. Il préférerait
une trompette, parce que ça ne part pas dans les mains ; mais il a toujours
entendu dire qu’un garçon de sa taille ne peut jouer sérieusement qu’avec
des armes, des sabres, des engins de guerre. L’âge lui est venu de renifler
de la poudre et d’exterminer des choses. Son père connaît les enfants : il a
apporté ce qu’il faut.
– J’aime mieux un pistolet, dit-il hardiment, sûr de deviner.
Il va même un peu loin et ajoute :
– Ce n’est plus la peine de le cacher ; je le vois !
– Ah ! dit M. Lepic embarrassé, tu aimes mieux un pistolet ! tu as donc
bien changé ?
Tout de suite Poil de Carotte se reprend :
– Mais non, va, mon papa, c’était pour rire. Sois tranquille, je les déteste,
les pistolets. Donne-moi vite ma trompette, que je te montre comme ça
m’amuse de souffler dedans.
MADAME LEPIC
Alors pourquoi mens-tu ? pour faire de la peine à ton père, n’est-ce pas ?
Quand on aime les trompettes, on ne dit pas qu’on aime les pistolets, et
surtout on ne dit pas qu’on voit des pistolets, quand on ne voit rien. Aussi,
pour t’apprendre, tu n’auras ni pistolet ni trompette. Regarde-la bien : elle a
trois pompons rouges et un drapeau à franges d’or. Tu l’as assez regardée.
Maintenant, va voir à la cuisine si j’y suis ; déguerpis, trotte et flûte dans
tes doigts.
Tout en haut de l’armoire, sur une pile de linge blanc, roulée dans ses
trois pompons rouges et son drapeau à franges d’or, la trompette de Poil de
Carotte attend qui souffle, imprenable, invisible, muette, comme celle du
jugement dernier.

samedi 28 avril 2018

Poil de Carotte - La mie de pain



La mie de pain

M. Lepic, s’il est d’humeur gaie, ne dédaigne pas d’amuser lui-même
ses enfants. Il leur raconte des histoires dans les allées du jardin, et il arrive
que grand frère Félix et Poil de Carotte se roulent par terre, tant ils rient.
Ce matin, ils n’en peuvent plus. Mais sœur Ernestine vient leur dire que
le déjeuner est servi, et les voilà calmés. À chaque réunion de famille, les
visages se renfrognent.
On déjeune comme d’habitude, vite et sans souffler, et déjà rien
n’empêcherait de passer la table à d’autres, si elle était louée, quand madame
Lepic dit :
– Veux-tu me donner une mie de pain, s’il te plaît, pour finir ma
compote ?
À qui s’adresse-t-elle ?
Le plus souvent, madame Lepic se sert seule, et elle ne parle qu’au chien.
Elle le renseigne sur le prix des légumes, et lui explique la difficulté, par le
temps qui court, de nourrir avec peu d’argent six personnes et une bête.
– Non, dit-elle à Pyrame qui grogne d’amitié et bat le paillasson de sa
queue, tu ne sais pas le mal que j’ai à tenir cette maison. Tu te figures, comme
les hommes, qu’une cuisinière a tout pour rien. Ça t’est bien égal que le
beurre augmente et que les œufs soient inabordables.
Or, cette fois, madame Lepic fait évènement. Par exception, elle s’adresse
à M. Lepic d’une manière directe. C’est à lui, bien à lui qu’elle demande
une mie de pain pour finir sa compote. Nul ne peut en douter. D’abord elle
le regarde. Ensuite M. Lepic a le pain près de lui. Étonné, il hésite, puis, du
bout des doigts, il prend au creux de son assiette une mie de pain, et, sérieux,
noir, il la jette à madame Lepic.
Farce ou drame ? Qui le sait ?
Sœur Ernestine, humiliée pour sa mère, a vaguement le trac.
– Papa est dans un de ses bons jours, se dit grand frère Félix qui galope,
effréné, sur les bâtons de sa chaise.
Quant à Poil de Carotte, hermétique, des bousilles aux lèvres, l’oreille
pleine de rumeurs et les joues gonflées de pommes cuites, il se contient, mais
il va péter, si madame Lepic ne quitte à l’instant la table, parce qu’au nez de
ses fils et de sa fille on la traite comme la dernière des dernières !

vendredi 27 avril 2018

Poil de Carotte - La timbale



La timbale

Poil de Carotte ne boira plus à table. Il perd l’habitude de boire, en
quelques jours, avec une facilité qui surprend sa famille et ses amis. D’abord,
il dit un matin à madame Lepic qui lui verse du vin comme d’ordinaire.
– Merci, maman, je n’ai pas soif.
Au repas du soir, il dit encore :
– Merci, maman, je n’ai pas soif.
– Tu deviens économique, dit madame Lepic. Tant mieux pour les autres.
Ainsi il reste toute cette première journée sans boire, parce que la
température est douce et que simplement il n’a pas soif.
Le lendemain, madame Lepic, qui met le couvert, lui demande :
– Boiras-tu aujourd’hui, Poil de Carotte ?
– Ma foi, dit-il, je n’en sais rien.
– Comme il te plaira, dit madame Lepic ; si tu veux ta timbale, tu iras la
chercher dans le placard.
Il ne va pas la chercher. Est-ce caprice, oubli ou peur de se servir soimême
?
On s’étonne déjà :
– Tu te perfectionnes, dit madame Lepic ; te voilà une faculté de plus.
– Une rare, dit M. Lepic. Elle te servira surtout plus tard, si tu te trouves
seul, égaré dans un désert, sans chameau.
Grand frère Félix et sœur Ernestine parient :
SŒUR ERNESTINE
Il restera une semaine sans boire.
GRAND FRÈRE FÉLIX
Allons donc, s’il tient trois jours, jusqu’à dimanche, ce sera beau.
– Mais, dit Poil de Carotte qui sourit finement je ne boirai plus jamais,
si je n’ai jamais soif. Voyez les lapins et les cochons d’Inde, leur trouvezvous
du mérite ?
– Un cochon d’Inde et toi, ça fait deux, dit grand frère Félix.
Poil de Carotte, piqué, leur montrera ce dont il est capable. Madame
Lepic continue d’oublier sa timbale. Il se défend de la réclamer. Il accepte
avec une égale indifférence les ironiques compliments et les témoignages
d’admiration sincère.
– Il est malade ou fou, disent les uns.
Les autres disent :
– Il boit en cachette.
Mais tout nouveau, tout beau. Le nombre de fois que Poil de Carotte tire
la langue, pour prouver qu’elle n’est point sèche, diminue peu à peu.
Parents et voisins se blasent. Seuls quelques étrangers lèvent encore les
bras au ciel, quand on les met au courant :
– Vous exagérez : nul n’échappe aux exigences de la nature.
Le médecin consulté déclare que le cas lui semble bizarre, mais qu’en
somme rien n’est impossible.
Et Poil de Carotte surpris, qui craignait de souffrir, reconnaît qu’avec
un entêtement régulier, on fait ce qu’on veut. Il avait cru s’imposer une
privation douloureuse, accomplir un tour de force, et il ne se sent même
pas incommodé. Il se porte mieux qu’avant. Que ne peut-il vaincre sa faim
comme sa soif ! Il jeûnerait, il vivrait d’air.
Il ne se souvient même plus de sa timbale. Longtemps elle est inutile.
Puis la servante Honorine a l’idée de l’emplir de tripoli rouge pour nettoyer
les chandeliers.

jeudi 26 avril 2018

Poil de Carotte - La luzerne



La luzerne

Poil de Carotte et grand frère Félix reviennent de vêpres et se hâtent
d’arriver à la maison, car c’est l’heure du goûter de quatre heures.
Grand frère Félix aura une tartine de beurre ou de confitures, et Poil de
Carotte une tartine de rien, parce qu’il a voulu faire l’homme trop tôt, et
déclaré, devant témoins, qu’il n’est pas gourmand. Il aime les choses nature,
mange d’ordinaire son pain sec avec affectation et, ce soir encore, marche
plus vite que grand frère Félix, afin d’être servi le premier.
Parfois le pain sec semble dur. Alors Poil de Carotte se jette dessus,
comme on attaque un ennemi l’empoigne, lui donne des coups de dents, des
coups de tête, le morcelle, et fait voler des éclats. Rangés autour de lui, ses
parents le regardent avec curiosité.
Son estomac d’autruche digérerait des pierres, un vieux sou taché de vertde-gris.
En résumé, il ne se montre point difficile à nourrir.
Il pèse sur le loquet de la porte. Elle est fermée.
– Je crois que nos parents n’y sont pas. Frappe du pied, toi, dit-il.
Grand frère Félix, jurant le nom de Dieu, se précipite sur la lourde porte
garnie de clous et la fait longtemps retentir. Puis tous deux, unissant leurs
efforts, se meurtrissent en vain les épaules.
POIL DE CAROTTE
Décidément, ils n’y sont pas.
GRAND FRÈRE FÉLIX
Mais où sont-ils ?
POIL DE CAROTTE
On ne peut pas tout savoir. Asseyons-nous.
Les marches de l’escalier froides sous leurs fesses, ils se sentent une
faim inaccoutumée. Par des bâillements, des chocs de poing au creux de la
poitrine, ils en expriment toute la violence.
GRAND FRÈRE FÉLIX
S’ils s’imaginent que je les attendrai !
POIL DE CAROTTE
C’est pourtant ce que nous avons de mieux à faire.
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GRAND FRÈRE FÉLIX
Je ne les attendrai pas. Je ne veux pas mourir de faim, moi. Je veux manger
tout de suite, n’importe quoi, de l’herbe.
POIL DE CAROTTE
De l’herbe ! c’est une idée, et nos parents seront attrapés.
GRAND FRÈRE FÉLIX
Dame ! on mange bien de la salade. Entre nous, de la luzerne, par exemple,
c’est aussi tendre que de la salade. C’est de la salade sans l’huile et le
vinaigre.
POIL DE CAROTTE
On n’a pas besoin de la retourner.
GRAND FRÈRE FÉLIX
Veux-tu parier que j’en mange, moi, de la luzerne, et que tu n’en manges
pas, toi ?
POIL DE CAROTTE
Pourquoi toi et pas moi ?
GRAND FRÈRE FÉLIX
Blague à part, veux-tu parier ?
POIL DE CAROTTE
Mais si d’abord nous demandions aux voisins chacun une tranche de pain
avec du lait caillé pour écarter dessus ?
GRAND FRÈRE FÉLIX
Je préfère la luzerne.
POIL DE CAROTTE
Partons ! dit Poil de Carotte.
Bientôt le champ de luzerne déploie sous leurs yeux sa verdure
appétissante. Dès l’entrée, ils se réjouissent de traîner les souliers, d’écraser
les tiges molles, de marquer d’étroits chemins qui inquiéteront longtemps
et feront dire :
– Quelle bête a passé par ici ?
À travers leurs culottes, une fraîcheur pénètre jusqu’aux mollets peu à
peu engourdis.
Ils s’arrêtent au milieu du champ et se laissent tomber à plat ventre.
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– On est bien, dit grand frère Félix.
Le visage chatouillé, ils rient comme autrefois quand ils couchaient
ensemble dans le même lit et que M. Lepic leur criait de la chambre voisine :
– Dormirez-vous, sales gars ?
Ils oublient leur faim et se mettent à nager en marin, en chien, en
grenouille. Les deux têtes seules émergent. Ils coupent de la main, refoulent
du pied les petites vagues vertes aisément brisées. Mortes, elles ne se
referment plus.
– J’en ai jusqu’au menton, dit grand frère Félix.
– Regarde comme j’avance, dit Poil de Carotte.
Ils doivent se reposer, savourer avec plus de calme leur bonheur.
Accoudés, ils suivent du regard les galeries soufflées que creusent les
taupes et qui zigzaguent à fleur de sol, comme à fleur de peau les veines
des vieillards. Tantôt ils les perdent de vue, tantôt elles débouchent dans
une clairière, où la cuscute rongeuse, parasite méchante, choléra des bonnes
luzernes, étend sa barbe de filaments roux. Les taupinières y forment un
minuscule village de huttes dressées à la mode indienne.
– Ce n’est pas tout ça, dit grand frère Félix, mangeons. Je commence.
Prends garde de toucher à ma portion.
Avec son bras comme rayon, il décrit un arc de cercle.
– J’ai assez du reste, dit Poil de Carotte.
Les deux têtes disparaissent. Qui les devinerait ?
Le vent souffle de douces haleines, retourne les minces feuilles de
luzerne, en montre les dessous pâles, et le champ tout entier est parcouru
de frissons.
Grand frère Félix arrache des brassées de fourrage, s’en enveloppe la tête,
feint de se bourrer, imite le bruit de mâchoires d’un veau inexpérimenté qui
se gonfle. Et tandis qu’il fait semblant de dévorer tout, les racines même,
car il connaît la vie, Poil de Carotte le prend au sérieux et, plus délicat, ne
choisit que les belles feuilles.
Du bout de son nez il les courbe, les amène à sa bouche et les mâche
posément.
Pourquoi se presser ?
La table n’est pas louée. La foire n’est pas sur le pont.
Et les dents crissantes, la langue amère, le cœur soulevé, il avale, se
régale.

mercredi 25 avril 2018

Poil de Carotte - La taupe



La taupe

Poil de Carotte trouve dans son chemin une taupe, noire comme un
ramonat. Quand il a bien joué avec, il se décide à la tuer. Il la lance en l’air
plusieurs fois, adroitement, afin qu’elle puisse retomber sur une pierre.
D’abord, tout va bien et rondement.
Déjà la taupe s’est brisé les pattes, fendu la tête, cassé le dos, et elle
semble n’avoir pas la vie dure.
Puis, stupéfait, Poil de Carotte s’aperçoit qu’elle s’arrête de mourir. Il a
beau la lancer assez haut pour couvrir une maison, jusqu’au ciel, ça n’avance
plus.
– Mâtin de mâtin ! elle n’est pas morte, dit-il.
En effet, sur la pierre tachée de sang, la taupe se pétrit ; son ventre plein
de graisse tremble comme une gelée, et, par ce tremblement, donne l’illusion
de la vie.
– Mâtin de mâtin ! crie Poil de Carotte qui s’acharne, elle n’est pas encore
morte !
Il la ramasse, l’injurie et change de méthode.
Rouge, les larmes aux yeux, il crache sur la taupe et la jette de toutes ses
forces, à bout portant, contre la pierre.
Mais le ventre informe bouge toujours.
Et plus Poil de Carotte enragé tape, moins la taupe lui paraît mourir.

mardi 24 avril 2018

Poil de carotte - La carabine



La carabine

M. Lepic dit à ses fils :
– Vous avez assez d’une carabine pour deux. Des frères qui s’aiment
mettent tout en commun.
– Oui papa, répond grand frère Félix, nous nous partagerons la carabine.
Et même il suffira que Poil de Carotte me la prête de temps en temps.
Poil de Carotte ne dit ni oui ni non, il se méfie.
M. Lepic tire du fourreau vert la carabine et demande :
– Lequel des deux la portera le premier ? Il semble que ce doit être l’aîné.
GRAND FRÈRE FÉLIX
Je cède l’honneur à Poil de Carotte. Qu’il commence !
MONSIEUR LEPIC
Félix, tu te conduis gentiment, ce matin. Je m’en souviendrai.
M. Lepic installe la carabine sur l’épaule de Poil de Carotte.
MONSIEUR LEPIC
Allez, mes enfants, amusez-vous sans vous disputer.
POIL DE CAROTTE
Emmène-t-on le chien ?
MONSIEUR LEPIC
Inutile. Vous ferez le chien chacun à votre tour. D’ailleurs, des chasseurs
comme vous ne blessent pas : ils tuent raide.
Poil de Carotte et grand frère Félix s’éloignent. Leur costume simple
est celui de tous les jours. Ils regrettent de n’avoir pas de bottes, mais
M. Lepic leur déclare souvent que le vrai chasseur les méprise. La culotte
du vrai chasseur traîne sur ses talons. Il ne la retrousse jamais. Il marche
ainsi dans la patouille, les terres labourées, et des bottes se forment bientôt,
montent jusqu’aux genoux, solides, naturelles, que la servante a la consigne
de respecter.
– Je pense que tu ne reviendras pas bredouille, dit grand frère Félix.
– J’ai bon espoir, dit Poil de Carotte.
Il éprouve une démangeaison au défaut de l’épaule et se refuse d’y coller
la crosse de son arme à feu.
– Hein ! dit grand frère Félix, je te la laisse porter tout ton soûl !
– Tu es mon frère, dit Poil de Carotte.
Quand une bande de moineaux s’envole, il s’arrête et fait signe à grand
frère Félix de ne plus bouger. La bande passe d’une haie à l’autre. Le dos
voûté, les deux chasseurs s’approchent sans bruit, comme si les moineaux
dormaient. La bande tient mal, et pépiante, va se poser ailleurs. Les deux
chasseurs se redressent ; grand frère Félix jette des insultes. Poil de Carotte,
bien que son cœur batte, paraît moins impatient. Il redoute l’instant où il
devra prouver son adresse.
S’il manquait ! Chaque retard le soulage.
Or, cette fois, les moineaux semblent l’attendre.
GRAND FRÈRE FÉLIX
Ne tire pas, tu es trop loin.
POIL DE CAROTTE
Crois-tu ?
GRAND FRÈRE FÉLIX
Pardine ! Ça trompe de se baisser. On se figure qu’on est dessus ; on en est
très loin.
Et grand frère Félix se démasque afin de montrer qu’il a raison. Les
moineaux, effrayés, repartent.
Mais il en reste un, au bout d’une branche qui plie et le balance. Il hoche
la queue, remue la tête, offre son ventre.
POIL DE CAROTTE
Vraiment, je peux le tirer, celui-là, j’en suis sûr.
GRAND FRÈRE FÉLIX
Ôte-toi voir. Oui, en effet, tu l’as beau. Vite, prête-moi ta carabine.
Et déjà Poil de Carotte, les mains vides, désarmé, bâille : à sa place,
devant lui, grand frère Félix épaule, vise, tire, et le moineau tombe.
C’est comme un tour d’escamotage. Poil de Carotte tout à l’heure serrait
la carabine sur son cœur. Brusquement, il l’a perdue, et maintenant il la
retrouve, car grand frère Félix vient de la lui rendre, puis, faisant le chien,
court ramasser le moineau et dit :
– Tu n’en finis pas, il faut te dépêcher un peu.
POIL DE CAROTTE
Un peu beaucoup.
GRAND FRÈRE FÉLIX
Bon, tu boudes !
POIL DE CAROTTE
Dame, veux-tu que je chante ?
GRAND FRÈRE FÉLIX
Mais puisque nous avons le moineau, de quoi te plains-tu ? Imagine-toi que
nous pouvions le manquer.
POIL DE CAROTTE
Oh ! moi...
GRAND FRÈRE FÉLIX
Toi ou moi, c’est la même chose. Je l’ai tué aujourd’hui, tu le tueras demain.
POIL DE CAROTTE
Ah ! demain.
GRAND FRÈRE FÉLIX
Je te le promets.
POIL DE CAROTTE
Je sais ? tu me le promets, la veille.
GRAND FRÈRE FÉLIX
Je te le jure ; es-tu content ?
POIL DE CAROTTE
Enfin !… Mais si tout de suite nous cherchions un autre moineau ;
j’essaierais la carabine.
GRAND FRÈRE FÉLIX
Non, il est trop tard. Rentrons, pour que maman fasse cuire celui-ci. Je te le
donne. Fourre-le dans ta poche, gros bête, et laisse passer le bec.
Les deux chasseurs retournent à la maison. Parfois ils rencontrent un
paysan qui les salue et dit :
– Garçons, vous n’avez pas tué le père, au moins ?
Poil de Carotte, flatté, oublie sa rancune. Ils arrivent, raccommodés,
triomphants, et M. Lepic, dès qu’il les aperçoit, s’étonne :
– Comment, Poil de Carotte, tu portes encore la carabine ! Tu l’as donc
portée tout le temps ?
– Presque, dit Poil de Carotte.


lundi 23 avril 2018

Poil de Carotte - La pioche



La pioche

Grand frère Félix et Poil de Carotte travaillent côte à côte. Chacun a sa
pioche. Celle de grand frère Félix a été faite sur mesure, chez le maréchalferrant,
avec du fer. Poil de Carotte a fait la sienne tout seul, avec du bois. Ils
jardinent, abattent de la besogne et rivalisent d’ardeur. Soudain, au moment
où il s’y attend le moins, (c’est toujours à ce moment précis que les malheurs
arrivent), Poil de Carotte reçoit un coup de pioche en plein front.
Quelques instants après, il faut transporter, coucher avec précaution, sur
le lit, grand frère Félix qui vient de se trouver mal à la vue du sang de son
petit frère. Toute la famille est là, debout, sur la pointe du pied, et soupire,
appréhensive.
– Où sont les sels ?
– Un peu d’eau bien fraîche, s’il vous plaît, pour mouiller les tempes.
Poil de Carotte monte sur une chaise afin de voir par-dessus les épaules,
entre les têtes. Il a le front bandé d’un linge déjà rouge, où le sang suinte
et s’écarte.
M. Lepic lui a dit :
– Tu t’es joliment fait moucher !
Et sa sœur Ernestine qui a pansé la blessure :
– C’est entré comme dans du beurre.
Il n’a pas crié, car on lui a fait observer que cela ne sert à rien.
Mais voici que grand frère Félix ouvre un œil, puis l’autre. Il en est
quitte pour la peur, et comme son teint graduellement se colore, l’inquiétude,
l’effroi se retirent des cœurs.
– Toujours le même, donc ! dit madame Lepic à Poil de Carotte ; tu ne
pouvais pas faire attention, petit imbécile !

dimanche 22 avril 2018

Poil de Carotte - Les lapins



Les lapins

– Il ne reste plus de melon pour toi, dit madame Lepic ; d’ailleurs, tu es
comme moi, tu ne l’aimes pas.
– Ça se trouve bien, se dit Poil de Carotte.
On lui impose ainsi ses goûts et ses dégoûts. En principe, il doit aimer
seulement ce qu’aime sa mère. Quand arrive le fromage :
– Je suis bien sûre, dit madame Lepic, que Poil de Carotte n’en mangera
pas.
Et Poil de Carotte pense :
– Puisqu’elle en est sûre, ce n’est pas la peine d’essayer.
En outre, il sait que ce serait dangereux.
Et n’a-t-il pas le temps de satisfaire ses plus bizarres caprices dans des
endroits connus de lui seul ? Au dessert, madame Lepic lui dit :
– Va porter ces tranches de melon à tes lapins.
Poil de Carotte fait la commission au petit pas, en tenant l’assiette bien
horizontale afin de ne rien renverser.
À son entrée sous leur toit, les lapins, coiffés en tapageurs, les oreilles
sur l’oreille, le nez en l’air, les pattes de devant raides comme s’ils allaient
jouer du tambour, s’empressent autour de lui.
– Oh ! attendez, dit Poil de Carotte ; un moment, s’il vous plaît,
partageons.
S’étant assis d’abord sur un tas de crottes, de seneçon rongé jusqu’à la
racine, de trognons de choux, de feuilles de mauves, il leur donne les graines
de melon et boit le jus lui-même : c’est doux comme du vin doux.
Puis il racle avec les dents ce que sa famille a laissé aux tranches de jaune
sucré, tout ce qui peut fondre encore, et il passe le vert aux lapins en rond
sur leur derrière.
La porte du petit toit est fermée.
Le soleil des siestes enfile les trous des tuiles et trempe le bout de ses
rayons dans l’ombre fraîche.

samedi 21 avril 2018

Poil de Carotte - Le pot



Le pot

I
Comme il lui est arrivé déjà plus d’un malheur au lit, Poil de Carotte
a bien soin de prendre ses précautions chaque soir. En été, c’est facile. À
9 heures, quand madame Lepic l’envoie se coucher, Poil de Carotte fait
volontiers un tour dehors ; et il passe une nuit tranquille.
L’hiver, la promenade devient une corvée. Il a beau prendre, dès que la
nuit tombe et qu’il ferme les poules, une première précaution, il ne peut
espérer qu’elle suffira jusqu’au lendemain matin. On dîne, on veille, 9 heures
sonnent, il y a longtemps que c’est la nuit, et la nuit va durer encore une
éternité. Il faut que Poil de Carotte prenne une deuxième précaution.
Et ce soir, comme tous les soirs, il s’interroge.
– Ai-je envie ? se dit-il ; n’ai-je pas envie ?
D’ordinaire il se répond « oui », soit que, sincèrement, il ne puisse reculer,
soit que la lune l’encourage par son éclat. Quelquefois M. Lepic et grand
frère Félix lui donnent l’exemple. D’ailleurs la nécessité ne l’oblige pas
toujours à s’éloigner de la maison, jusqu’au fossé de la rue, presque en pleine
campagne. Le plus souvent il s’arrête au bas de l’escalier ; c’est selon.
Mais, ce soir, la pluie crible les carreaux, le vent a éteint les étoiles et les
noyers ragent dans les prés.
– Ça se trouve bien, conclut Poil de Carotte, après avoir délibéré sans
hâte, je n’ai pas envie.
Il dit bonsoir à tout le monde, allume une bougie, et gagne au fond du
corridor, à droite, sa chambre nue et solitaire. Il se déshabille, se couche
et attend la visite de madame Lepic. Elle le borde serré, d’un unique
renfoncement, et souffle la bougie. Elle lui laisse la bougie et ne lui laisse
point d’allumettes. Et elle l’enferme à clef parce qu’il est peureux. Poil de
Carotte goûte d’abord le plaisir d’être seul. Il se plaît à songer dans les
ténèbres. Il repasse sa journée, se félicite de l’avoir fréquemment échappé
belle, et compte, pour demain, sur une chance égale. Il se flatte que, deux
jours de suite, madame Lepic ne fera pas attention à lui, et il essaie de
s’endormir avec ce rêve.
À peine a-t-il fermé les yeux qu’il éprouve un malaise connu.
– C’était inévitable, se dit Poil de Carotte.
Un autre se lèverait. Mais Poil de Carotte sait qu’il n’y a pas de pot sous
le lit. Quoique madame Lepic puisse jurer le contraire, elle oublie toujours
d’en mettre un. D’ailleurs, à quoi bon ce pot, puisque Poil de Carotte prend
ses précautions ?
Et Poil de Carotte raisonne, au lieu de se lever.
– Tôt ou tard, il faudra que je cède, se dit-il. Or, plus je résiste, plus
j’accumule. Mais si je fais pipi tout de suite, je ferai peu, et mes draps auront
le temps de sécher à la chaleur de mon corps. Je suis sûr, par expérience,
que maman n’y verra goutte.
Poil de Carotte se soulage, referme ses yeux en toute sécurité et
commence un bon somme.

II

Brusquement il s’éveille et écoute son ventre.
– Oh ! oh ! dit-il, ça se gâte !
Tout à l’heure il se croyait quitte. C’était trop de veine. Il a péché par
paresse hier soir. Sa vraie punition approche.
Il s’assied sur son lit et tâche de réfléchir. La porte est fermée à clef. La
fenêtre a des barreaux. Impossible de sortir.
Pourtant il se lève et va tâter la porte et les barreaux de la fenêtre. Il rampe
par terre et ses mains rament sous le lit à la recherche d’un pot qu’il sait
absent.
Il se couche et se lève encore. Il aime mieux remuer, marcher, trépigner
que dormir et ses deux poings refoulent son ventre qui se dilate.
– Maman ! maman ! dit-il d’une voix molle, avec la crainte d’être
entendu, car si madame Lepic surgissait, Poil de Carotte, guéri net, aurait
l’air de se moquer d’elle. Il ne veut que pouvoir dire demain, sans mentir,
qu’il appelait.
Et comment crierait-il ? Toutes ses forces s’usent à retarder le désastre.
Bientôt une douleur suprême met Poil de Carotte en danse. Il se cogne au
mur et rebondit. Il se cogne au fer du lit. Il se cogne à la chaise, il se cogne à
la cheminée, dont il lève violemment le tablier et il s’abat entre les chenets,
tordu, vaincu, heureux d’un bonheur absolu.
Le noir de la chambre s’épaissit.

III

Poil de Carotte ne s’est endormi qu’au petit jour, et il fait la grasse
matinée, quand madame Lepic pousse la porte et grimace, comme si elle
reniflait de travers.
– Quelle drôle d’odeur ! dit-elle.
– Bonjour, maman, dit Poil de Carotte.
11
Madame Lepic arrache les draps, flaire les coins de la chambre et n’est
pas longue à trouver.
– J’étais malade et il n’y avait pas de pot, se dépêche de dire Poil de
Carotte, qui juge que c’est là son meilleur moyen de défense.
– Menteur ! menteur ! dit madame Lepic.
Elle se sauve, rentre avec un pot qu’elle cache et qu’elle glisse prestement
sous le lit, flanque Poil de Carotte debout, ameute la famille et s’écrie :
– Qu’est-ce que j’ai donc fait au ciel pour avoir un enfant pareil ?
Et tantôt elle apporte des torchons, un seau d’eau, elle inonde la cheminée
comme si elle éteignait le feu, elle secoue la literie et elle demande de l’air !
de l’air ! affairée et plaintive.
Et tantôt elle gesticule au nez de Poil de Carotte :
– Misérable tu perds donc le sens ! Te voilà donc dénaturé ! Tu vis donc
comme les bêtes ! On donnerait un pot à une bête, qu’elle saurait s’en servir.
Et toi, tu imagines de te vautrer dans les cheminées. Dieu m’est témoin que
tu me rends imbécile, et que je mourrai folle, folle, folle !
Poil de Carotte, en chemise et pieds nus, regarde le pot. Cette nuit il n’y
avait pas de pot, et maintenant il y a un pot, là, au pied du lit. Ce pot vide et
blanc l’aveugle, et s’il s’obstinait encore à ne rien voir, il aurait du toupet.
Et, comme sa famille désolée, les voisins goguenards qui défilent le
facteur qui vient d’arriver, le tarabustent et le pressent de questions :
– Parole d’honneur ! répond enfin Poil de Carotte, les yeux sur le pot,
moi je ne sais plus. Arrangez-vous.

vendredi 20 avril 2018

Poil de Carotte - Sauf votre respect




Sauf votre respect


Peut-on, doit-on le dire ? Poil de carotte, à l’âge où les autres
communient, blancs de cœur et de corps, est resté malpropre. Une nuit, il a
trop attendu, n’osant demander.
Il espérait, au moyen de tortillements gradués, calmer le malaise.
Quelle prétention !
Une autre nuit, il s’est rêvé commodément installé contre une borne, à
l’écart, puis il a fait dans ses draps, tout innocent, bien endormi. Il s’éveille.
Pas plus de borne près de lui qu’à son étonnement !
Madame Lepic se garde de s’emporter. Elle nettoie, calme, indulgente,
maternelle. Et même, le lendemain matin, comme un enfant gâté, Poil de
Carotte déjeune avant de se lever.
Oui, on lui apporte sa soupe au lit, une soupe soignée, où madame Lepic,
avec une palette de bois, en a délayé un peu, oh ! très peu.
À son chevet, grand frère Félix et sœur Ernestine observent Poil de
Carotte d’un air sournois, prêts à éclater de rire au premier signal. Madame
Lepic, petite cuillerée par petite cuillerée, donne la becquée à son enfant. Du
coin de l’œil, elle semble dire à grand frère Félix et à sœur Ernestine :
– Attention ! préparez-vous !
– Oui, maman.
Par avance, ils s’amusent des grimaces futures. On aurait dû inviter
quelques voisins. Enfin, madame Lepic, avec un dernier regard aux aînés
comme pour leur demander :
– Y êtes-vous ?
lève lentement, lentement la dernière cuillerée, l’enfonce jusqu’à la
gorge, dans la bouche grande ouverte de Poil de Carotte, le bourre, le gave,
et lui dit, à la fois goguenarde et dégoûtée :
– Ah ! ma petite salissure, tu en as mangé, tu en as mangé, et de la tienne
encore, de celle d’hier.
– Je m’en doutais, répond simplement Poil de Carotte, sans faire la figure
espérée.
Il s’y habitue, et quand on s’habitue à une chose, elle finit par n’être plus
drôle du tout.

jeudi 19 avril 2018

Poil de Carotte - Le cauchemar



Le cauchemar

Poil de Carotte n’aime pas les amis de la maison. Ils le dérangent, lui
prennent son lit et l’obligent à coucher avec sa mère. Or, si le jour il possède
tous les défauts, la nuit il a principalement celui de ronfler. Il ronfle exprès,
sans aucun doute.
La grande chambre, glaciale même en août, contient deux lits. L’un est
celui de M. Lepic, et dans l’autre Poil de Carotte va reposer, à côté de sa
mère, au fond.
Avant de s’endormir, il toussote sous le drap, pour déblayer sa gorge.
Mais peut-être ronfle-t-il du nez ? Il fait souffler en douceur ses narines afin
de s’assurer qu’elles ne sont pas bouchées. Il s’exerce à ne point respirer
trop fort.
Mais dès qu’il dort, il ronfle. C’est comme une passion.
Aussitôt madame Lepic lui entre deux ongles, jusqu’au sang, dans le plus
gras d’une fesse. Elle a fait choix de ce moyen.
Le cri de Poil de Carotte réveille brusquement M. Lepic, qui demande :
– Qu’est-ce que tu as ?
– Il a le cauchemar, dit madame Lepic.
Et elle chantonne, à la manière des nourrices, un air berceur qui semble
indien.
Du front, des genoux poussant le mur, comme s’il voulait l’abattre, les
mains plaquées sur ses fesses pour parer le pinçon qui va venir au premier
appel des vibrations sonores, Poil de Carotte se rendort dans le grand lit où
il repose, à côté de sa mère, au fond.

mercredi 18 avril 2018

Poil de Carotte - C'est le chien



C’est le chien

M. Lepic et sœur Ernestine, accoudés sous la lampe, lisent, l’un le journal,
l’autre son livre de prix ; madame Lepic tricote, grand frère Félix grille ses
jambes au feu et Poil de Carotte par terre se rappelle des choses.
Tout à coup Pyrame, qui dort sous le paillasson, pousse un grognement
sourd.
– Chtt ! fait M. Lepic.
Pyrame grogne plus fort.
– Imbécile ! dit madame Lepic.
Mais Pyrame aboie avec une telle brusquerie que chacun sursaute.
Madame Lepic porte la main à son cœur. M. Lepic regarde le chien de
travers, les dents serrées. Grand frère Félix jure et bientôt on ne s’entend
plus.
– Veux-tu te taire, sale chien ! tais-toi donc, bougre !
Pyrame redouble. Madame Lepic lui donne des claques. M. Lepic le
frappe de son journal, puis du pied. Pyrame hurle à plat ventre, le nez bas,
par peur des coups, et on dirait que rageur, la gueule heurtant le paillasson,
il casse sa voix en éclats.
La colère suffoque les Lepic. Ils s’acharnent, debout, contre le chien
couché qui leur tient tête.
Les vitres crissent, le tuyau du poêle chevrote et sœur Ernestine même
jappe.
Mais Poil de Carotte, sans qu’on le lui ordonne, est allé voir ce qu’il y
a. Un chemineau attardé passe dans la rue peut-être et rentre tranquillement
chez lui, à moins qu’il n’escalade le mur du jardin pour voler.
Poil de Carotte, par le long corridor noir, s’avance, les bras tendus vers la
porte. Il trouve le verrou et le tire avec fracas, mais il n’ouvre pas la porte.
Autrefois il s’exposait, sortait dehors, et sifflant, chantant, tapant du pied,
il s’efforçait d’effrayer l’ennemi.
Aujourd’hui il triche.
Tandis que ses parents s’imaginent qu’il fouille hardiment les coins et
tourne autour de la maison en gardien fidèle, il les trompe et reste collé
derrière la porte.
Un jour il se fera pincer, mais depuis longtemps sa ruse lui réussit.
Il n’a peur que d’éternuer et de tousser. Il retient son souffle et s’il lève
les yeux, il aperçoit par une petite fenêtre, au-dessus de la porte, trois ou
quatre étoiles dont l’étincelante pureté le glace.
Mais l’instant est venu de rentrer. Il ne faut pas que le jeu se prolonge
trop. Les soupçons s’éveilleraient.
De nouveau, il secoue avec ses mains frêles le lourd verrou qui grince
dans les crampons rouillés et il le pousse bruyamment jusqu’au fond de la
gorge. À ce tapage, qu’on juge s’il revient de loin et s’il a fait son devoir !
Chatouillé au creux du dos, il court vite rassurer sa famille.
Or, comme la dernière fois, pendant son absence, Pyrame s’est tu,
les Lepic calmés ont repris leurs places inamovibles et, quoiqu’on ne lui
demande rien, Poil de Carotte dit tout de même par habitude :
– C’est le chien qui rêvait.

mardi 17 avril 2018

Poil de Carotte - Les perdrix



Les perdrix


Comme à l’ordinaire, M. Lepic vide sur la table sa carnassière. Elle
contient deux perdrix. Grand frère Félix les inscrit sur une ardoise pendue
au mur. C’est sa fonction. Chacun des enfants a la sienne. Sœur Ernestine
dépouille et plume le gibier. Quant à Poil de Carotte, il est spécialement
chargé d’achever les pièces blessées. Il doit ce privilège à la dureté bien
connue de son cœur sec.
Les deux perdrix s’agitent, remuent le col.
MADAME LEPIC
Qu’est-ce que tu attends pour les tuer ?
POIL DE CAROTTE
Maman, j’aimerais autant les marquer sur l’ardoise, à mon tour.
MADAME LEPIC
L’ardoise est trop haute pour toi.
POIL DE CAROTTE
Alors, j’aimerais autant les plumer.
MADAME LEPIC
Ce n’est pas l’affaire des hommes.
Poil de Carotte prend les deux perdrix. On lui donne obligeamment les
indications d’usage :
– Serre-les là, tu sais bien, au cou, à rebrousse-plume.
Une pièce dans chaque main derrière son dos, il commence.
MONSIEUR LEPIC
Deux à la fois, mâtin !
POIL DE CAROTTE
C’est pour aller plus vite.
MADAME LEPIC
Ne fais donc pas ta sensitive ; en dedans, tu savoures ta joie.
Les perdrix se défendent, convulsives, et, les ailes battantes, éparpillent
leurs plumes. Jamais elles ne voudront mourir. Il étranglerait plus aisément,
d’une main, un camarade. Il les met entre ses deux genoux, pour les contenir,
et, tantôt rouge, tantôt blanc, en sueur, la tête haute afin de ne rien voir, il
serre plus fort.
Elles s’obstinent.
Pris de la rage d’en finir, il les saisit par les pattes et leur cogne la tête
sur le bout de son soulier.
– Oh ! le bourreau ! le bourreau ! s’écrient grand frère Félix et sœur
Ernestine.
– Le fait est qu’il raffine, dit madame Lepic. Les pauvres bêtes ! je ne
voudrais pas être à leur place, entre ses griffes.
M. Lepic, un vieux chasseur pourtant, sort écœuré.
– Voilà ! dit Poil de Carotte, en jetant les perdrix mortes sur la table.
Madame Lepic les tourne, les retourne. Des petits crânes brisés du sang
coule, un peu de cervelle.
– Il était temps de les lui arracher, dit-elle. Est-ce assez cochonné ?
Grand frère Félix dit :
– C’est positif qu’il ne les a pas réussies comme les autres fois.

lundi 16 avril 2018

Poil de Carotte - Les poules



Les poules

– Je parie, dit madame Lepic, qu’Honorine a encore oublié de fermer les
poules.
C’est vrai. On peut s’en assurer par la fenêtre. Là-bas, tout au fond de la
grande cour, le petit toit aux poules découpe, dans la nuit, le carré noir de
sa porte ouverte.
– Félix, si tu allais les fermer ? dit madame Lepic à l’aîné de ses trois
enfants.
– Je ne suis pas ici pour m’occuper des poules, dit Félix, garçon pâle,
indolent et poltron.
– Et toi, Ernestine ?
– Oh ! moi, maman, j’aurais trop peur !
Grand frère Félix et sœur Ernestine lèvent à peine la tête pour répondre.
Ils lisent, très intéressés, les coudes sur la table, presque front contre front.
– Dieu, que je suis bête ! dit madame Lepic. Je n’y pensais plus. Poil de
Carotte, va fermer les poules !
Elle donne ce petit nom d’amour à son dernier-né, parce qu’il a les
cheveux roux et la peau tachée. Poil de Carotte, qui joue à rien sous la table,
se dresse et dit avec timidité :
– Mais, maman, j’ai peur aussi, moi.
– Comment ? répond madame Lepic, un grand gars comme toi ! c’est
pour rire. Dépêchez-vous, s’il te plaît !
– On le connaît ; il est hardi comme un bouc, dit sa sœur Ernestine.
– Il ne craint rien ni personne, dit Félix, son grand frère.
Ces compliments enorgueillissent Poil de Carotte, et, honteux d’en être
indigne, il lutte déjà contre sa couardise. Pour l’encourager définitivement
sa mère lui promet une gifle.
– Au moins, éclairez-moi, dit-il.
Madame Lepic hausse les épaules, Félix sourit avec mépris. Seule
pitoyable, Ernestine prend une bougie et accompagne petit frère jusqu’au
bout du corridor.
– Je t’attendrai là, dit-elle.
Mais elle s’enfuit tout de suite, terrifiée, parce qu’un fort coup de vent
fait vaciller la lumière et l’éteint.
Poil de Carotte, les fesses collées, les talons plantés, se met à trembler
dans les ténèbres. Elles sont si épaisses qu’il se croit aveugle. Parfois une
rafale l’enveloppe, comme un drap glacé, pour l’emporter. Des renards, des
loups même, ne lui soufflent-ils pas dans ses doigts, sur sa joue ? Le mieux
est de se précipiter, au juger, vers les poules, la tête en avant, afin de trouer
l’ombre. Tâtonnant, il saisit le crochet de la porte. Au bruit de ses pas, les
poules effarées s’agitent en gloussant sur leur perchoir. Poil de Carotte leur
crie :
– Taisez-vous donc, c’est moi !
ferme la porte et se sauve, les jambes, les bras comme ailés. Quand il
rentre, haletant, fier de lui, dans la chaleur et la lumière, il lui semble qu’il
échange des loques pesantes de boue et de pluie contre un vêtement neuf
et léger. Il sourit, se tient droit, dans son orgueil, attend les félicitations, et
maintenant hors de danger, cherche sur le visage de ses parents la trace des
inquiétudes qu’ils ont eues.
Mais grand frère Félix et sœur Ernestine continuent tranquillement leur
lecture, et madame Lepic lui dit, de sa voix naturelle :
– Poil de Carotte, tu iras les fermer tous les soirs.

dimanche 15 avril 2018

Poil de carotte - Jules renard




Poil de carotte est une longue nouvelle ou un roman autobiographique de Jules Renard publiée en 1894, qui raconte l'enfance et les déboires d'un garçon roux mal aimé.



Poil de carotte est un enfant mal aimé, qui, pour lutter contre les humiliations quotidiennes et la haine maternelle, n'a que la ruse, cette arme des faibles. Sans doute est-ce dans cette enfance malheureuse qu'il faut chercher les sources du scepticisme et de l'ironie de Jules Renard (1864-1910), son art de la litote, son style dense et précis, sa cruauté d'observation.Le récit se présente comme une suite de courts récits, sans ordre chronologique.

François Lepic, surnommé « Poil de carotte » à cause de ses cheveux roux et ses taches de rousseur, grandit entre une mère qui le hait et un père indifférent. Il est également victime des humiliations de son frère Félix et de sa sœur Ernestine. Il est lui-même bourreau, lorsqu'il massacre de petits animaux...


1. Les poules
2. Les perdrix
3. C'est le chien
4. Le cauchemar
5. Sauf votre respect
6. Le pot
7. Les lapins
8. La pioche
9. La carabine
10. La taupe
11. La luzerne
12. La timbale
13. La mie de pain
14. La trompette
15. La mèche
16. Le bain
17. Honorine
18. La marmite
19. Réticence
20. Agathe
21. Le programme
22. L'aveugle
23. Le jour de l'an
24. Aller et retour
25. Le porte-plume
26. Les joues rouges
27. Les poux
28. Comme Brutus
29. Lettres choisies de Poil de Carotte à M. Lepic et quelques réponses de M. Lepic à Poil de Carotte
30. Le toiton
31. Le chat
32. Les moutons
33. Parrain
34. La fontaine
35. Les prunes
36. Mathilde
37. Le coffre-fort
38. Les têtards
39. Coup de théâtre
40. En chasse
41. La mouche
42. La première bécasse
43. L'hameçon
44. La pièce d'argent
45 Les idées personnelles
46. La tempête de feuille
47. La révolte
48. Le mot de la fin
49. L'album de Poil de Carotte




samedi 14 avril 2018

Presse papier - Edmond Rostand




C’est un petit chat noir, effronté comme un page.

Je le laisse jouer sur ma table, souvent,

Quelquefois il s’assied sans faire de tapage ;

On dirait un job presse-papier vivant.



Rien de lui, pas un poil de sa toison ne bouge.

Longtemps, il reste là, noir sur un feuillet blanc,

A ces matous, tirant leur langue de draps rouge,

Qu’on fait pour essuyer les plumes, ressemblant.



Mais le voilà qui sort de cette nonchalance,

Et faisant le gros dos, il a l’air d’un manchon ;

Alors, pour l’intriguer un peu, je lui balance,

Au bout d’une ficelle invisible, un bouchon.



Il fuit en galopant et la mine effrayée,

Puis revient au bouchon, le regarde, et d’abord

Tient suspendue en l’air sa patte repliée,

Puis l’abat, et saisit le bouchon, et le mord.



Je tire la ficelle, alors, sans qu’il la voie ;

Et le bouchon s’éloigne, et le chat noir le suit,

Faisant des ronds avec sa patte qu’il envoie,

Puis saute de côté, puis revient, puis s’enfuit.



Mais dès que je lui dis : « Il faut que je travaille ;

Venez-vous asseoir là, sans faire le méchant ! »

Il s’assied … Et j’entends, pendant que j’écrivaille,

Le petit bruit mouillé qu’il fait en se léchant.

vendredi 13 avril 2018

Le chat noir Edgar Allan Poe



Traduction de Charles Baudelaire

Relativement à la très étrange et pourtant très familière histoire que je
vais coucher par écrit, je n’attends ni ne sollicite la créance. Vraiment, je
serais fou de m’y attendre dans un cas où mes sens eux-mêmes rejettent
leur propre témoignage. Cependant, je ne suis pas fou, - et très
certainement je ne rêve pas. Mais demain je meurs, et aujourd’hui je
voudrais décharger mon âme. Mon dessein immédiat est de placer devant
le monde, clairement, succinctement et sans commentaires, une série de
simples événements domestiques. Dans leurs conséquences, ces
événements m’ont terrifié, - m’ont torturé, - m’ont anéanti. – Cependant,
je n’essayerai pas de les élucider. Pour moi, ils ne m’ont guère présenté
que de l’horreur : - à beaucoup de personnes ils paraîtront moins terribles
que baroques. Plus tard peut-être, il se trouvera une intelligence qui
réduira mon fantôme à l’état de lieu commun, - quelque intelligence plus
calme, plus logique et beaucoup moins excitable que la mienne, qui ne
trouvera dans les circonstances que je raconte avec terreur qu’une
succession ordinaire de causes et d’effets très naturels.
Dès mon enfance, j’étais noté pour la docilité et l’humanité de mon
caractère. Ma tendresse de cœur était même si remarquable qu’elle avait
fait de moi le jouet de mes camarades. J’étais particulièrement fou des
animaux, et mes parents m’avaient permis de posséder une grande
variété de favoris. Je passais presque tout mon temps avec eux, et je
n’étais jamais si heureux que quand je les nourrissais et les caressais.
Cette particularité de mon caractère s’accrut avec ma croissance, et,
quand je devins homme, j’en fis une de mes principales sources de plaisir.
Pour ceux qui ont voué une affection à un chien
Je me mariai de bonne heure, et je fus heureux de trouver dans ma
femme une disposition sympathique à la mienne. Observant mon goût
pour ces favoris domestiques, elle ne perdit aucune occasion de me
procurer ceux de l’espèce la plus agréable. Nous eûmes des oiseaux, un
poisson doré, un beau chien, des lapins, un petit singe et un chat.
Ce dernier était un animal remarquablement fort et beau, entièrement
noir, et d’une sagacité merveilleuse. En parlant de son intelligence, ma
femme, qui au fond n’était pas peu pénétrée de superstition, faisait de
fréquentes allusions à l’ancienne croyance populaire qui regardait tous les
chats noirs comme des sorcières déguisées. Ce n’est pas qu’elle fût
toujours sérieuse sur ce point, - et, si je mentionne la chose, c’est
simplement parce que cela me revient, en ce moment même, à la
mémoire.
Pluton –c’était le nom du chat- était mon préféré, mon camarade. Moi
seul, je le nourrissais, et il me suivait dans la maison partout où j’allais.
Ce n’était même pas sans peine que je parvenais à l’empêcher de me
suivre dans les rues.
Notre amitié subsista ainsi plusieurs années, durant lesquelles l’ensemble
de mon caractère et de mon tempérament, -par l’opération du Démon
Intempérance, je rougis de le confesser,- subit une altération
radicalement mauvaise. Je devins de jour en jour plus morne, plus
irritable, plus insoucieux des sentiments des autres. Je me permis
d’employer un langage brutal à l’égard de ma femme. A la longue, je lui
infligeai même des violences personnelles. Mes pauvres favoris,
naturellement, durent ressentir le changement de mon caractère. Non
seulement je les négligeais, mais je les maltraitais. Quant à Pluton,
toutefois, j’avais encore une considération suffisante qui m’empêchait de
le malmener, tandis que je n’éprouvais aucun scrupule à maltraiter les
lapins, le singe et même le chien, quand, par hasard ou par amitié, ils se
jetaient dans mon chemin. Mais mon mal m’envahissait de plus en plus, -
car quel mal est comparable à l’Alcool !- et à la longue Pluton lui-même,
qui maintenant se faisait vieux et qui naturellement devenait quelque peu
maussade, - Pluton lui-même commença à connaître les effets de mon
méchant caractère.
Une nuit, comme je rentrais au logis très ivre, au sortir d’un de mes
repaires habituels des faubourgs, je m’imaginai que le chat évitait ma
présence. Je le saisis ; - mais lui, effrayé de ma violence, il me fit à la
main une légère blessure avec les dents. Une fureur de démon s’empara
soudainement de moi. Je ne me connus plus, mon âme originelle sembla
tout d’un coup s’envoler de mon corps, et une méchanceté
hyperdiabolique, saturée de gin, pénétra chaque fibre de mon être. Je tirai
de la poche de mon gilet un canif, je l’ouvris ; je saisis la pauvre bête par
la gorge, et, délibérément, je fis sauter un de ses yeux de son orbite ! je
rougis, je brûle, je frissonne en écrivant cette damnable atrocité !
Quand la raison me revint avec le matin, -quand j’eus cuvé les vapeurs de
ma débauche nocturne,- j’éprouvai un sentiment moitié d’horreur, moitié
de remords, pour le crime dont je m’étais rendu coupable ; mais c’était
tout au plus un faible et équivoque sentiment, et l’âme n’en subit pas les
atteintes. Je me replongeai dans les excès, et bientôt je noyai dans le vin
tout le souvenir de mon action.
Cependant, le chat guérit lentement. L’orbite de l’œil perdu présentait, il
est vrai, un aspect effrayant, mais il n’en parut plus souffrir désormais. Il
allait et venait dans la maison selon son habitude ; mais, comme je devais
m’y attendre, il fuyait avec une extrême terreur à mon approche. Il me
restait assez de mon ancien cœur pour me sentir d’abord affligé de cette
évidente antipathie de la part d’une créature qui jadis m’avait tant aimé.
Mais ce sentiment fit bientôt place à l’irritation. Et alors apparut, comme
pour ma chute finale et irrévocable, l’esprit de PERVERSITE. De cet esprit
la philosophie ne tient aucun compte. Cependant, aussi sûr que mon âme
existe, je crois que la perversité est une des primitives impulsions du
cœur humain, - une des indivisibles premières facultés, ou sentiments, qui
donne la direction au caractère de l’homme. Qui ne s’est pas surpris cent
fois commettant une action sotte ou vile, par la seule raison qu’il savait
devoir ne pas la commettre ? N’avons-nous pas une perpétuelle
inclination, malgré l’excellence de notre jugement, à violer ce qui est la
Loi, simplement parce que nous comprenons que c’est la Loi ? Cet esprit
de perversité, dis-je, vint causer ma déroute finale. C’est ce désir ardent,
insondable de l’âme de se torturer elle-même, -de violenter sa propre
nature,- de faire le mal pour l’amour du mal seul, - qui me poussait à
continuer, et finalement à consommer le supplice que j’avais infligé à la
bête inoffensive. Un matin, de sang-froid, je glissai un nœud coulant
autour de son cou, et je le pendis à la branche d’un arbre ; - je le pendis
avec des larmes plein mes yeux, - avec le plus amer remords dans le
cœur ; - je le pendis, parce que je savais qu’il m’avait aimé, et parce que
je sentais qu’il ne m’avait donné aucun sujet de colère ; - je le pendis,
parce que je savais qu’en faisant ainsi je commettais un péché, - un péché
mortel qui compromettait mon âme immortelle, au point de la placer, -si
une telle chose était possible,- même au delà de la miséricorde infinie du
Dieu Très-Miséricordieux et Très-Terrible.
Dans la nuit qui suivit le jour où fut commise cette action cruelle, je fus
tiré de mon sommeil par le cri « Au feu ! » Les rideaux de mon lit étaient
en flammes. Toute la maison flambait. Ce ne fut pas sans une grande
difficulté que nous échappâmes à l’incendie, - ma femme, un domestique,
et moi. La destruction fut complète. Toute ma fortune fut engloutie, et je
m’abandonnai dès lors au désespoir.
Je ne cherche pas à établir une liaison de cause à effet entre l’atrocité et
le désastre, je suis au-dessus de cette faiblesse. Mais je rends compte
d’une chaîne de faits, - et je ne veux pas négliger un seul anneau. Le jour
qui suivit l’incendie, je visitai les ruines. Les murailles étaient tombées,
une seule exceptée ; et cette seule exception se trouva être une cloison
intérieure, peu épaisse, située à peu près au milieu de la maison, et
contre laquelle s’appuyait le chevet de mon lit. La maçonnerie avait ici, en
grande partie, résisté à l’action du feu, - fait que j’attribuai à ce qu’elle
avait été récemment remise à neuf. Autour de ce mur, une foule épaisse
était rassemblée, et plusieurs personnes paraissaient en examiner une
portion particulière avec une minutieuse et vive attention. Les mots :
Etrange ! singulier ! et autres semblables expressions, excitèrent ma
curiosité. Je m’approchai, et je vis, semblable à un bas-relief sculpté sur la
surface blanche, la figure d’un gigantesque chat. L’image était rendue
avec une exactitude vraiment merveilleuse. Il y avait une corde autour du
cou de l’animal.
Tout d’abord, en voyant cette apparition, -car je ne pouvais guère
considérer cela que comme une apparition,- mon étonnement et ma
terreur furent extrêmes. Mais, enfin, la réflexion vint à mon aide. Le chat,
je m’en souvenais, avait été pendu dans un jardin adjacent à la maison.
Aux cris d’alarme, ce jardin avait été immédiatement envahi par la foule,
et l’animal avait dû être détaché de l’arbre par quelqu’un, et jeté dans ma
chambre à travers une fenêtre ouverte. Cela avait été fait, sans doute,
dans le but de m’arracher au sommeil. La chute des autres murailles avait
comprimé la victime de ma cruauté dans la substance du plâtre
fraîchement étendu ; la chaux de ce mur, combinée avec les flammes, et
l’ammoniaque du cadavre, avait ainsi opéré l’image telle que je la voyais.
Quoique je satisfisse ainsi lentement ma raison, sinon tout à fait ma
conscience, relativement au fait surprenant que je viens de raconter, il
n’en fit pas moins sur mon imagination une impression profonde. Pendant
plusieurs mois je ne pus me débarrasser du fantôme du chat ; et durant
cette période un demi-sentiment revint dans mon âme, qui paraissait être,
mais qui n’était pas le remords. J’allai jusqu’à déplorer la perte de
l’animal, et à chercher autour de moi, dans les bouges méprisables que
maintenant je fréquentais habituellement, un autre favori de la même
espèce et d’une figure à peu près semblable pour
reposant sur le haut d’un des immenses tonneaux de gin ou de rhum qui
composaient le principal ameublement de la salle. Depuis quelques
minutes, je regardais fixement le haut de ce tonneau, et ce qui me
surprenait maintenant, c’était de n’avoir pas encore aperçu l’objet situé
dessus. Je m’en approchai, et je le touchai avec ma main. C’était un chat
noir, -un très gros chat,- au moins aussi gros que Pluton, lui ressemblant
absolument, excepté en un point. Pluton n’avait aucun poil blanc sur tout
le corps ; celui-ci portait une éclaboussure large et blanche, mais d’une
forme indécise, qui couvrait presque toute la région de la poitrine.
A peine l’eus-je touché, qu’il se leva subitement, ronronna fortement, se
frotta contre ma main, et parut enchanté de mon attention. C’était donc là
la vraie créature dont j’étais en quête. J’offrais tout de suite au
propriétaire de le lui acheter ; mais cet homme ne le revendiqua pas, -ne
le connaissait pas,- ne l’avait jamais vu auparavant.
Je continuai mes caresses, et, quand je me préparai à retourner chez moi,
l’animal se montra disposé à m’accompagner. Je lui permis de le faire, me
baissant de temps à autre, et le caressant en marchant. Quand il fut
arrivé à la maison, il s’y trouva comme chez lui, et devint tout de suite le
grand ami de ma femme.
Pour ma part, je sentis bientôt s’élever en moi une antipathie contre lui.
C’était justement le contraire de ce que j’avais espéré ; mais, -je ne sais
ni comment ni pourquoi cela eut lieu,- son évidente tendresse pour moi
me dégoûtait presque et me fatiguait. Par de lents degrés, ces sentiments
de dégoût et d’ennui s’élevèrent jusqu’à l’amertume de la haine. J’évitais
la créature ; une certaine sensation de honte et le souvenir de mon
premier acte de cruauté m’empêchèrent de la maltraiter. Pendant
quelques semaines, je m’abstins de battre le chat ou de le malmener
violemment ; mais graduellement, -insensiblement,- j’en vins à le
considérer avec une indicible horreur, et à fuir silencieusement son
odieuse présence, comme le souffle d’une peste.
Ce qui ajouta sans doute à ma haine contre l’animal, fut la découverte que
je fis le matin, après l’avoir amené à la maison, que, comme Pluton, lui
aussi avait été privé d’un de ses yeux. Cette circonstance, toutefois, ne fit
que le rendre plus cher à ma femme, qui, comme je l’ai déjà dit, possédait
à un haut degré cette tendresse de sentiment qui jadis avait été mon trait
caractéristique et la source fréquente de mes plaisirs les plus simples et
les plus purs.
Néanmoins, l’affection du chat pour moi paraissait s’accroître en raison de
mon aversion contre lui. Il suivait mes pas avec une opiniâtreté qu’il serait
difficile de faire comprendre au lecteur. Chaque fois que je m’asseyais, il
se blottissait sous ma chaise, ou il sautait sur mes genoux, me couvrant
de ses affreuses caresses. Si je me levais pour marcher, il se fourrait dans
mes jambes, et me jetait presque par terre, ou bien, m’enfonçant ses
griffes longues et aiguës dans mes habits, grimpait de cette manière
jusqu’à ma poitrine. Dans ces moments-là, quoique je désirasse le tuer
d’un bon coup, j’en étais empêché, en partie par le souvenir de mon
premier crime, mais principalement, -je dois le confesser tout de suite,-
par une véritable terreur de la bête.
Cette terreur n’était pas positivement la terreur d’un mal physique, - et
cependant je serais fort en peine de la définir autrement. Je suis presque
honteux d’avouer, - oui, même dans cette cellule de malfaiteur, je suis
presque honteux d’avouer que la terreur et l’horreur que m’inspiraient
l’animal avaient été accrues par une des plus parfaites chimères qu’il fût
possible de concevoir. Ma femme avait appelé mon attention plus d’une
fois sur le caractère de la tache blanche dont j’ai parlé, et qui constituait
l’unique différence visible entre l’étrange bête et celle que j’avais tuée. Le
lecteur se rappellera sans doute que cette marque, quoique grande, était
primitivement indéfinie dans sa forme ; mais, lentement, par degrés, -par
des degrés imperceptibles, et que ma raison s’efforça longtemps de
considérer comme imaginaires,- elle avait à la longue pris une rigoureuse
netteté de contours. Elle était maintenant l’image d’un objet que je frémis
de nommer, -et c’était là surtout ce qui me faisait prendre le monstre en
horreur et en dégoût, et m’aurait poussé à m’en délivrer, si je l’avais
osé ;- c’était maintenant, dis-je, l’image d’une hideuse, -d’une sinistre
chose,- l’image du GIBET ! –oh ! lugubre et terrible machine ! machine
d’Horreur et de Crime, - d’Agonie et de Mort !
Et, maintenant, j’étais en vérité misérable au delà de la misère possible de
l’Humanité. Une bête brute –dont j’avais avec mépris détruit le frère,- une
bête brute engendrer pour moi, -pour moi, homme façonné à l’image du
Dieu Très-Haut,- une si grande et si intolérable infortune ! Hélas ! je ne
connaissais plus la béatitude du repos, ni le jour ni la nuit ! Durant le jour,
la créature ne me laissait pas un moment seul ; et, pendant la nuit, à
chaque instant, quand je sortais de mes rêves pleins d’une intraduisible
angoisse, c’était pour sentir la tiède haleine de la chose sur mon visage,
et son immense poids, -incarnation d’un cauchemar que j’étais impuissant
à secouer,- éternellement posé sur mon cœur !
Sous la pression de pareils tourments, le peu de bon qui restait en moi
succomba. De mauvaises pensées devinrent mes seules intimes, - les plus
sombres et les plus mauvaises de toutes les pensées. La tristesse de mon
humeur habituelle s’accrut jusqu’à la haine de toutes choses et de toute
humanité ; cependant, ma femme, qui ne se plaignait jamais, hélas ! était
mon souffre-douleur ordinaire, la plus patiente victime des soudaines,
fréquentes et indomptables éruptions d’une furie à laquelle je
m’abandonnai dès lors aveuglément.
Un jour, elle m’accompagna pour quelque besogne domestique dans la
cave du vieux bâtiment où notre pauvreté nous contraignait d’habiter. Le
chat me suivit sur les marches roides de l’escalier, et, m’ayant presque
culbuté la tête la première, m’exaspéra jusqu’à la folie. Levant une hache,
et oubliant dans ma rage la peur puérile qui jusque-là avait retenu ma
main, j’adressai à l’animal un coup qui eût été mortel, s’il avait porté
comme je voulais ; mais ce coup fut arrêté par la main de ma femme.
Cette intervention m’aiguillonna jusqu’à une rage plus que démoniaque ;
je débarrassai mon bras de son étreinte et lui enfonçai ma hache dans le
crâne. Elle tomba morte sur la place, sans pousser un gémissement.
Cet horrible meurtre accompli, je me mis immédiatement et très
délibérément en mesure de cacher le corps. Je compris que je ne pouvais
pas le faire disparaître de la maison, soit de jour, soit de nuit, sans courir
le danger d’être observé par les voisins. Plusieurs projets traversèrent
mon esprit. Un moment j’eus l’idée de couper le cadavre par petits
morceaux, et de les détruire par le feu. Puis je résolus de creuser une
fosse dans le sol de la cave. Puis je pensai à le jeter dans le puits de la
cour, - puis à l’emballer dans une caisse, comme marchandise, avec les
formes usitées, et à charger un commissionnaire de le porter hors de la
maison. Finalement, je m’arrêtai à un expédient que je considérai comme
le meilleur de tous. Je me déterminai à le murer dans la cave, - comme
les moines du moyen âge muraient, dit-on, leurs victimes.
La cave était fort bien disposée pour un pareil dessein. Les murs étaient
construits négligemment, et avaient été récemment enduits dans toute
leur étendue d’un gros plâtre que l’humidité de l’atmosphère avait
empêché de durcir. De plus, dans l’un des murs, il y avait une saillie
causée par une fausse cheminée, ou espèce d’âtre, qui avait été comblée
et maçonnée dans le même genre que le reste de la cave. Je ne doutais
pas qu’il ne me fût facile de déplacer les briques à cet endroit, et d’y
introduire le corps, et de murer le tout de la même manière, de sorte
qu’aucun œil n’y pût rien découvrir de suspect.
Et je ne fus pas déçu dans mon calcul. A l’aide d’une pince, je délogeai
très aisément les briques, et, ayant soigneusement appliqué le corps
contre le mur intérieur, je le soutins dans cette position jusqu’à ce que
j’eusse rétabli, sans trop de peine, toute la maçonnerie dans son état
primitif. M’étant procuré du mortier, du sable et du poil avec toutes les
précautions imaginables, je préparai un crépi qui ne pouvait pas être
distingué de l’ancien, et j’en recouvris très soigneusement le nouveau
briquetage. Quand j’eus fini, je vis avec satisfaction que tout était pour le
mieux. Le mur ne présentait pas la plus légère trace de dérangement.
J’enlevai tous les gravats avec le plus grand soin, j’épluchai pour ainsi dire
le sol. Je regardai triomphalement autour de moi, et me dis à moi-même :
Ici, au moins, ma peine n’aura pas été perdue !
Mon premier mouvement fut de chercher la bête qui avait été la cause
d’un grand malheur ; car à la fin, j’avais résolu fermement de la mettre à
mort. Si j’avais pu la rencontrer dans ce moment, sa destinée était claire ;
mais il paraît que l’artificieux animal avait été alarmé par la violence de
ma récente colère, et qu’il prenait soin de ne pas se montrer dans l’état
actuel de mon humeur. Il est impossible de décrire ou d’imaginer la
profonde, la béate sensation de soulagement que l’absence de la
détestable créature détermina dans mon cœur. Elle ne se présenta pas de
toute la nuit, - et ainsi ce fut la première bonne nuit, -depuis son
introduction dans la maison,- que je dormis solidement et tranquillement ;
oui, je dormis avec le poids de ce meurtre sur l’âme !
Le second et le troisième jour s’écoulèrent, et cependant mon bourreau ne
vint pas. Une fois encore je respirai comme un homme libre. Le monstre,
dans sa terreur, avait vidé les lieux pour toujours ! Je ne le verrais donc
plus jamais ! Mon bonheur était suprême ! La criminalité de ma
ténébreuse action ne m’inquiétait que fort peu. On avait bien fait une
espèce d’enquête, mais elle s’était satisfaite à bon marché. Une
perquisition avait même été ordonnée, - mais naturellement on ne pouvait
rien découvrir. Je regardais ma félicité à venir comme assurée.
Le quatrième jour depuis l’assassinat, une troupe d’agents de police vint
très inopinément à la maison, et procéda de nouveau à une rigoureuse
investigation des lieux. Confiant, néanmoins, dans l’impénétrabilité de la
cachette, je n’éprouvai aucun embarras. Les officiers me firent les
accompagner dans leur recherche. Ils ne laissèrent pas un coin, pas un
angle inexploré. A la fin, pour la troisième ou quatrième fois, ils
descendirent dans la cave. Pas un muscle en moi ne tressaillit. Mon cœur
battait paisiblement, comme celui d’un homme qui dort dans l’innocence.
J’arpentais la cave d’un bout à l’autre ; je croisais mes bras sur ma
poitrine, et me promenais çà et là avec aisance. La police était pleinement
satisfaite et se préparait à décamper. La jubilation de mon cœur était trop
forte pour être réprimée. Je brûlais de dire au moins un mot, rien qu’un
mot, en manière de triomphe, et de rendre deux fois plus convaincue leur
conviction de mon innocence.
- Gentlemen, -dis-je à la fin,- comme leur troupe remontait l’escalier, -je
suis enchanté d’avoir apaisé vos soupçons. Je vous souhaite à tous une
bonne santé et un peu plus de courtoisie. Soit dit en passant, gentlemen,
voilà – voilà une maison singulièrement bien bâtie (dans mon désir enragé
de dire quelque chose d’un air délibéré, je savais à peine ce que je
débitais) ; - je puis dire que c’est une maison admirablement bien
construite. Les murs, -est-ce que vous partez, gentlemen ?- ces murs sont
solidement maçonnés !
Et ici, par une bravade frénétique, je frappai fortement avec une canne
que j’avais à la main juste sur la partie du briquetage derrière laquelle se
tenait le cadavre de l’épouse de mon cœur.
Ah ! qu’au moins Dieu me protège et me délivre des griffes de
l’Achidémon ! – A peine l’écho de mes coups était-il tombé dans le silence,
qu’une voix me répondit du fond de la tombe ! – une plainte, d’abord
voilée et entrecoupée, comme le sanglotement d’un enfant, puis bientôt,
s’enflant en un cri prolongé, sonore et continu, tout à fait anormal et
antihumain, - un hurlement, - un glapissement, moitié horreur et moitié
triomphe, - comme il en peut monter seulement de l’Enfer, - affreuse
harmonie jaillissant à la fois de la gorge des damnés dans leurs tortures,
et des démons exultant dans la damnation !
Vous dire mes pensées, ce serait folie. Je me sentis défaillir, et je
chancelai contre le mur opposé. Pendant un moment, les officiers placés
sur les marches restèrent immobiles, stupéfiés par la terreur. Un instant
après, une douzaine de bras robustes s’acharnaient sur le mur. Il tomba
tout d’une pièce. Le corps, déjà grandement délabré et souillé de sang
grumelé, se tenait droit devant les yeux des spectateurs. Sur sa tête, avec
la gueule rouge dilatée et l’œil unique flamboyant, était perchée la
hideuse bête dont l’astuce m’avait induit à l’assassinat, et dont la voix
révélatrice m’avait livré au bourreau.
J’avais muré le monstre dans la tombe !

jeudi 12 avril 2018

Chat alors - vocabulaire, proverbes et expressions sur le chat


Le chat se taille une jolie place dans la langue française. On ne compte plus les proverbes et les expressions qui parlent soit de lui dans son existence féline soit de l'homme qui se prend pour un chat. Entre vocabulaire, expressions, dictons et citations, il y a toujours une place pour qu'un chat ronronne de plaisir.

Vocabulaire du chat :

Petit : chaton
Femelle : chatte
Mâle : chat
Cri : miauler, miaulement, feuler, feulement, ronronner, ronronnement
Alimentation : croquette, pâtée, herbe à chat
Adjectifs : félin, félinité, félinerie
Les noms du chat : chat (mâle) / chatte (femelle), chaton (petit), chatounet, greffier, marcou, matou (mâle), mimi, mine, minet, minou, minouche, minouchet / minouchette, mistigri, moumoute (femelle) (rare), poupousse, raminagrobis, tigre de salon

Mots liés au chat : 

minet : jeune homme un peu maniéré
minette : jeune femme un peu maniérée
chatte, minou, minette (argot) : organes génitaux féminins (par confusion avec chas, fente, orifice).
chattemite (vieilli) : chatte, personne doucereuse
chatteries : manières galantes

Les proverbes du chat :

Quand le chat dort...
« À bon chat, bon rat » : se dit de deux ennemis également pugnaces. Un bon chasseur peut trouver un adversaire à sa mesure.
« À mauvais chat, mauvais rat » : on ne peut qu’être méchant envers les méchants.
« Chat échaudé craint l'eau froide » : après une expérience malheureuse, on en arrive à craindre des choses inoffensives.
« Les chiens ne font pas des chats » : on garde toujours les caractéristiques de ses parents.
« Quand le chat n'est pas là, les souris dansent » : le supérieur absent, les subordonnés en profitent pour ne plus travailler.
« La nuit, tous les chats sont gris » : dans l’obscurité, les détails s’estompent et l’on peut confondre des objets différents. Autre sens : on peut se conduire comme on veut tant qu’on ne se fait pas prendre.
« Il ne faut pas réveiller le chat qui dort » : il faut éviter de réactiver une source de danger lorsqu’elle s’est mise en sommeil.
« Ne faites pas confiance au chat quand il y a du poisson au menu » proverbe malgache.
« Ne faites pas comme un chat qui cache ses ongles » proverbe malgache
« Il est difficile d’attraper un chat noir dans une pièce sombre, surtout quand il n’y est pas » proverbe chinois.
« Peu importe que le chat soit gris ou noir pourvu qu’il attrape les souris » : proverbe chinois et devise de Deng Xiaoping.
« Qui est né chat pourchasse les souris » (proverbe italien) : on ne peut pas lutter contre sa propre nature.
« Le chat aime manger le poisson, mais pas le pêcher » : se dit d’une personne profiteuse.
« Caresses de chats donnent des puces », proverbe belge.

Expressions du chat :

« dès potron-minet » : à l'aube
« avoir des yeux de chat » : bien voir dans l'obscurité
« avoir un chat dans la gorge » : être enroué
« être gourmand(e) comme un(e) chat(te) » : aimer les sucreries, les petits plats fins.
« donner sa langue au chat » : initialement rester sans voix ; par extension, avouer son ignorance, arrêter de réfléchir à un problème et demander la solution
« acheter chat en poche » : acheter sans voir l'objet de la vente. En sens inverse, on peut vendre chat en poche, c’est-à-dire ne pas faire voir ce que l’on vend.
« acheter un chat en sac » ou « Acheter un chat dans un sac » dans le même ordre d’idée.
« avoir d'autres chats à fouetter » : Avoir des choses plus importantes à faire que celles qui nous sont proposées
« il n'y a pas de quoi fouetter un chat » : c'est une affaire sans importance
« être comme chien et chat » : avoir des relations tendues, difficiles
« ne réveillez pas le chat qui dort » : n'allez pas au devant de la difficulté ou du danger
« à bon chat, bon rat » : la défense est d'aussi bonne qualité que l'attaque
« il n'y a pas un chat » ou « il n'y a pas la queue d'un chat » : il n'y a personne.
« appeler un chat un chat » : appeler les choses par leur nom.
« jouer à chat » (vieilli) : jeu de poursuite dans la cour de récréation
« jouer à chat perché » : variante du précédent où un joueur en hauteur est invulnérable
« jouer au chat et à la souris » : s'épier sans vouloir ou pouvoir se rencontrer
« jouer (avec sa victime) comme un chat avec une souris » : faire durer cruellement une situation déplaisante
« jeter le chat aux jambes de quelqu'un » : lui susciter des embarras
« retomber comme un chat sur ses pattes » : se tirer adroitement d'une situation difficile
« emporter le chat » : partir sans dire au revoir
« maladie des griffes du chat » : lymphoréticulomatose bénigne d'inoculation.
« maladie du cri du chat » : ensemble de malformations dues à la délétion d'un bras du chromosome 5
« pipi de chat » : chose de peu de conséquence ou bien boisson, en particulier bière, de mauvais goût
« passer comme un chat sur la braise » : Passer très vite, notamment au figuré lors d'un discours pour passer rapidement sur un fait douteux.
« de la bouillie pour les chats » : travail bâclé, texte incompréhensible.
« faire une toilette de chat » : se laver sommairement, sans trop se mouiller.
« aller comme un chat maigre » : courir beaucoup et très vite.
« une chatte n’y retrouverait pas ses petits » : grand désordre, situation très complexe.
« cela ferait pisser un chat par la patte » ou « à faire pisser un chat par la patte » : se dit de quelque chose qui a un goût (très) acide.
« jeter le bout au chat » : mettre un morceau de viande au rebut. S'emploie aussi pour qualifier une ablation chirurgicale ou accidentelle.
« écrire comme un chat » : avoir une écriture illisible.
« une vie de chat » : une vie facile, confortable.