dimanche 29 avril 2018

Poil de Carotte - La trompette



La trompette

M. Lepic arrive de Paris ce matin même. Il ouvre sa malle. Des cadeaux
en sortent pour grand frère Félix et sœur Ernestine, de beaux cadeaux, dont
précisément (comme c’est drôle !) ils ont rêvé toute la nuit. Ensuite M. Lepic,
les mains derrière son dos, regarde malignement Poil de Carotte et lui dit :
– Et toi, qu’est-ce que tu aimes le mieux : une trompette ou un pistolet ?
En vérité, Poil de Carotte est plutôt prudent que téméraire. Il préférerait
une trompette, parce que ça ne part pas dans les mains ; mais il a toujours
entendu dire qu’un garçon de sa taille ne peut jouer sérieusement qu’avec
des armes, des sabres, des engins de guerre. L’âge lui est venu de renifler
de la poudre et d’exterminer des choses. Son père connaît les enfants : il a
apporté ce qu’il faut.
– J’aime mieux un pistolet, dit-il hardiment, sûr de deviner.
Il va même un peu loin et ajoute :
– Ce n’est plus la peine de le cacher ; je le vois !
– Ah ! dit M. Lepic embarrassé, tu aimes mieux un pistolet ! tu as donc
bien changé ?
Tout de suite Poil de Carotte se reprend :
– Mais non, va, mon papa, c’était pour rire. Sois tranquille, je les déteste,
les pistolets. Donne-moi vite ma trompette, que je te montre comme ça
m’amuse de souffler dedans.
MADAME LEPIC
Alors pourquoi mens-tu ? pour faire de la peine à ton père, n’est-ce pas ?
Quand on aime les trompettes, on ne dit pas qu’on aime les pistolets, et
surtout on ne dit pas qu’on voit des pistolets, quand on ne voit rien. Aussi,
pour t’apprendre, tu n’auras ni pistolet ni trompette. Regarde-la bien : elle a
trois pompons rouges et un drapeau à franges d’or. Tu l’as assez regardée.
Maintenant, va voir à la cuisine si j’y suis ; déguerpis, trotte et flûte dans
tes doigts.
Tout en haut de l’armoire, sur une pile de linge blanc, roulée dans ses
trois pompons rouges et son drapeau à franges d’or, la trompette de Poil de
Carotte attend qui souffle, imprenable, invisible, muette, comme celle du
jugement dernier.

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