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mercredi 13 novembre 2019

Fais-moi un Conte 2020 - 26e concours d’expression - itinERRANCEs

itinERRANCEs

Pour prendre part à ce 26e concours, Fais-moi un Conte vous embarque sur les grands chemins. Ceux de ou des itinERRANCEs. Mot-valise qui rassemble « itinéraires » et « errances », itinERRANCEs se conjugue(nt) à l’échelle personnelle comme au niveau planétaire.

Nous avons tous un parcours temporel : depuis la naissance jusqu’à la mort, du moins physique. Il en va de même dans l’espace. Du casanier au globe-trotteur. Du réfugié à l’hébergeur. Chacun sa façon d’avancer et de tracer son itinéraire.

Qu’il s’agisse d’un individu ou d’un peuple, nos trajets sont souvent peu rectilignes. Carrefours et bifurcations interrogent tantôt la perplexité, tantôt la force, tantôt la faiblesse de l’homme, en cheminement perpétuel. Pour d’aucuns, l’errance prendra la forme radicale et violente d’un déracinement au bout duquel il n’y aura peut-être pas d’accomplissement…

A la merci des errements, nos certitudes font souvent place aux errances. En effet, les parcours tombent dans les mêmes ornières que les apprentissages, jalonnés par des balais d’aller-retour plus ou moins longs, plus ou moins concluants. La marche arrière n’est jamais bien loin. Sans oublier que nos itinERRANCEs sont aussi régulièrement intellectuelles et pas uniquement géographiques. Et si l’errance était une respiration ? Un droit ? Le rêve et épanouissement sont peut-être à ce prix…

 Echéancier

Envoi des textes pour le 31.01.2020

Présélections connues pour le 21.02.2020 (indicatif)

Formations individuelles les 1.3, 8.3. et 15.3.2020 (des modifications restent possibles)

Finales : 20 et 21 mars 2020

 La réception du conte fait office d’inscription. Elle est gratuite. Chaque participant enverra :

     1- son texte dactylographié en six exemplaires ; (même s’il est aussi envoyé par mail)

     2- une enveloppe timbrée à son adresse ;

     3- un formulaire d’inscription (un par conte) dûment complété   à “Fais-moi un Conte”, rue de France, 1a - 5600 Philippeville.

Org. : La Surizée asbl & Centre Culturel de Philippeville

Infos au 071-66.23.01 ou sur http://www.culture-philippeville.be/

Le thème itinERRANCEs attend donc les migrateurs amoureux de l’écriture mais surtout de l’oralité au tournant de la créativité. Les finales qui se tiendront les 20 et 21 mars 2020 ponctueront ce 26e voyage artistique. Pour certains, cet aboutissement sera seulement un point de départ. Fais-moi un Conte reste une aventure susceptible de se prolonger. Le concours organisé par le festival de Chiny est une escale possible.

jeudi 13 juin 2019

Chimères - 24 spectacles contés à Braine-le-Comte du 12 au 15 septembre 2019


Pendant quatre jours, venez découvrir 24 spectacles pour tous les publics, présentés lors de « Chimères », le nouveau festival de Contes qui se déroulera du 12 au 15 septembre prochain à Braine-le-Comte (à 20 minutes de Bruxelles). 

Récits de vie, patrimoine de nos régions, fictions contemporaines, contes coquins… L’art du conte n’est pas réservé aux enfants ! Et aborde parfois des sujets graves ou brûlants d’actualité. 

Naturellement, les tout-petits seront gâtés, eux aussi, avec une programmation qui leur est tout spécialement réservées. Quant aux familles, elles sont attendues tout spécialement le week-end. « Chimères » se logera dans divers lieux uniques et contrastés de la ville.

mercredi 12 juin 2019

Spectacle La Genèse en gros sabots - Marie-Claire Desmette


Le 12 septembre prochain, mon amie Marie-Claire Desmette sera en spectacle à Braine-le-Comte.
Pensez à réserver pour ce moment haut en couleurs !


La Genèse en gros sabots

contée par Marie-Claire Desmette

Où 

comment Abraham s’enrichit,

où Jahveh pratique la fécondation de femmes ménopausées,

où quatre mères engendrent les 12 fils de Jacob
tandis que Rachel invente les mères porteuses,

où la gourmandise change le cours de l’histoire,
,
où Joseph prend son temps pour pardonner,

sans oublier que

Jahveh est plus indulgent pour l’inceste
que pour l’homosexualité

et qu’Il écrit droit avec des cronques lignes ...


avec l’accent de son village du Hainaut, son court bon sens et son impertinence, en français patoisé compréhensible par tout le monde, Marie-Claire Desmette vous emmène à travers la Genèse, d’Abraham à Joseph (chap. XII v.1 au chap. XLVII v.12)
pas pour jeunes oreilles !



Le 12 septembre à 11h, 
salle du Bailli (ancien Hôtel de ville), Grand place, 7090 Braine-le-Comte
entrée : 5€

vendredi 26 octobre 2018

Fais-moi un Conte - 25e concours d’expression

Surice (Philippeville)
Fais-moi un Conte
25e concours d’expression
Comment tu oses !?
Comment tu oses… dire, écrire, rêver, crier ?  Comment tu oses… y penser, en reparler, y faire allusion ? Comment tu oses…  y aller, y retourner ? Comment tu oses…  en redemander, en remettre une couche ? Comment tu oses…  regarder ça, réclamer ça, photographier ça, montrer ça ? Comment tu oses…  t’imposer, t’inviter, t’ingérer, t’immiscer ? Comment tu oses…  te gausser, t‘exhiber, te moquer, t’esclaffer ?

Ce 25e concours marqué du sceau de l’audace sous toutes ses formes, des plus contenues aux plus extravagantes, vous invite donc à saisir la plume ou le clavier.
Les finales qui se tiendront les 15 et 16 mars 2019 ponctueront cette opération. Pour d’aucuns, cet aboutissement sera seulement un point de départ. L’aventure artistique qu’ils oseront entreprendre est en effet susceptible de connaître des prolongements. Le regard du futur lauréat ne manquera pas de se tourner vers le festival de Chiny et son concours.
Démarche d’oralité (moins que d’écriture), Fais-moi un Conte interpellera avant tout ceux qui ont des choses… à dire ; ceux qui auront à cœur de transmettre les idées dont ils débordent et non de proposer une énième interprétation d’un conte existant.

Echéancier
Envoi des textes pour le 31.01.2019
Présélections connues pour le 22.02.2019 (indicatif)
Formations individuelles les 24.2, 3.3. et 10.3.2019 (des modifications restent possibles)
Finales : 15 et 16 mars 2019
 La réception du conte fait office d’inscription. Elle est gratuite. Chaque participant enverra :
     1- son texte dactylographié en six exemplaires; (même s’il est aussi envoyé par mail)
     2- une enveloppe timbrée à son adresse ;
     3- un formulaire d’inscription (un par conte) dûment complété   à “Fais-moi un Conte”, rue de France, 1a - 5600 Philippeville.

Org. : La Surizée asbl & Centre Culturel de Philippeville

Infos au 071-66.23.01 ou sur http://www.culture-philippeville.be/


samedi 8 septembre 2018

VI. Maladie et sacrifice



MALADIE ET SACRIFICE


Quand l’heure du dîner fut venue, Violette se leva, s’habilla et vint dans la salle où l’attendaient Agnella et Passerose. Ourson n’y était pas.
« Ourson n’est pas avec vous, mère ? demanda Violette.
— Je ne l’ai pas revu, dit Agnella.
— Ni moi, dit Passerose. Je vais le chercher. »
Elle alla dans la chambre d’Ourson ; elle le trouva assis près de son lit, la tête appuyée sur son bras.
« Venez, Ourson, venez vite ; on vous attend pour dîner.
— Je ne puis, dit Ourson d’une voix affaiblie ; j’ai la tête trop pesante. »
Passerose alla prévenir Agnella et Violette qu’Ourson était malade ; elles coururent toutes deux auprès de lui. Ourson voulut se lever pour les rassurer, mais il tomba sur sa chaise. Agnella lui trouva de la fièvre et le fit coucher. Violette refusa résolument de le quitter.
« C’est à cause de moi qu’il est malade, dit-elle : je ne le quitterai que lorsqu’il sera guéri. Je mourrai d’inquiétude si vous m’éloignez de mon frère chéri. »
Agnella et Violette s’installèrent donc près de leur cher malade. Bientôt le pauvre Ourson ne les reconnut plus ; il avait le délire ; à chaque instant il appelait sa mère et Violette, et il continuait à les appeler et à se plaindre de leur absence pendant qu’elles le soutenaient dans leurs bras.
Agnella et Violette ne le quittèrent ni jour ni nuit pendant toute la durée de la maladie : le huitième jour Agnella, épuisée de fatigue, s’était assoupie près du lit du pauvre Ourson, dont la respiration haletante, l’œil éteint, semblaient annoncer une fin prochaine. Violette, à genoux près de son lit et tenant entre ses mains une des mains velues d’Ourson, la couvrait de larmes et de baisers.
Au milieu de cette désolation, un chant doux et clair vint interrompre le lugubre silence de la chambre du mourant. Violette tressaillit. Ce chant si doux semblait apporter la consolation et le bonheur ; elle leva la tête et vit une Alouette perchée sur la croisée ouverte.
« Violette ! » dit l’Alouette.
Violette tressaillit.
« Violette, continua la petite voix douce de l’Alouette, aimes-tu Ourson ?
— Si je l’aime ! Ah ! je l’aime,… je l’aime plus que tout au monde, plus que moi-même.
— Rachèterais-tu sa vie au prix de ton bonheur ?
— Je la rachèterais au prix de mon bonheur et de ma propre vie !
— Écoute, Violette, je suis la fée Drôlette ; j’aime Ourson, je t’aime, j’aime ta famille. Le venin que ma sœur Rageuse a soufflé sur la tête d’Ourson doit le faire mourir… Cependant, si tu es sincère, si tu éprouves réellement pour Ourson le sentiment de tendresse et de reconnaissance que tu exprimes, sa vie est entre tes mains… Il t’est permis de la racheter ; mais souviens-toi que tu seras bientôt appelée à lui donner une preuve terrible de ton attachement, et que, s’il vit, tu payeras son existence par un terrible dévouement.
— Oh ! madame ! Vite, vite, dites-moi ce que je dois faire pour sauver mon cher Ourson ! Rien ne me sera terrible, tout me sera joie et bonheur si vous m’aidez à le sauver.
— Bien, mon enfant ; très bien, dit la fée. Baise-lui trois fois l’oreille gauche en disant à chaque baiser : « À toi… Pour toi… Avec toi… » Réfléchis encore avant d’entreprendre sa guérison. Si tu n’es pas prête aux plus durs sacrifices, il t’en arrivera malheur. Ma sœur Rageuse serait maîtresse de ta vie. »
Pour toute réponse, Violette croisa les mains sur son cœur, jeta sur la fée qui s’envolait un regard de tendre reconnaissance, et, se précipitant sur Ourson, elle lui baisa trois fois l’oreille en disant d’un accent pénétré : « À toi… Pour toi… Avec toi… » À peine eut-elle fini qu’Ourson poussa un profond soupir, ouvrit les yeux, aperçut Violette, et, lui saisissant les mains, les porta à ses lèvres en disant :
« Violette,… chère Violette,… il me semble que je sors d’un long rêve ! Raconte-moi ce qui s’est passé… Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi es-tu pâlie, maigrie ?… Tes joues sont creuses comme si tu avais veillé,… tes yeux sont rouges comme si tu avais pleuré…
— Chut ! dit Violette ; n’éveille pas notre mère qui dort. Voilà bien longtemps qu’elle n’avait dormi ; elle est fatiguée ; tu as été bien malade !
— Et toi, Violette, t’es-tu reposée ? »
Violette rougit, hésita.
« Comment aurais-je pu dormir, cher Ourson, quand j’étais cause de tes souffrances ? »
Ourson se tut à son tour ; il la regarda d’un œil attendri et lui baisa les mains. Il lui demanda encore ce qui s’était passé, elle le lui raconta ; mais elle était trop modeste et trop réellement dévouée pour lui révéler le prix que la fée avait attaché à sa guérison. Ourson n’en sut donc rien.
Ourson, qui se sentait revenu à la santé, se leva et, s’approchant doucement de sa mère, l’éveilla par un baiser. Agnella crut qu’il avait le délire ; elle cria, appela Passerose et fut fort étonnée quand Violette lui raconta comment Ourson avait été sauvé par la bonne petite fée Drôlette.
À partir de ce jour, Ourson et Violette s’aimèrent plus tendrement que jamais : ils ne se quittaient que lorsque leurs occupations l’exigeaient impérieusement.

mardi 4 septembre 2018

XIII. La récompense.



Le prince regarda Violette et soupira. Violette regarda le prince et sourit.

« Comme tu es beau, cher cousin ! Que je suis heureuse de t’avoir rendu ta beauté ! Moi, je vais verser quelques gouttes d’huile de senteur sur mes mains ; puisque je ne peux te plaire, je veux du moins t’embaumer », ajouta-t-elle en riant.

Et, débouchant le flacon, elle pria Merveilleux de lui en verser quelques gouttes sur le front et sur le visage. Le prince avait le cœur trop gros pour parler. Il prit le flacon et exécuta l’ordre de sa cousine. Aussitôt que l’huile eut touché le front de Violette, quelles ne furent pas sa joie et sa surprise en voyant tous ses poils disparaître et sa peau reprendre sa blancheur et sa finesse premières !

Le prince et Violette, en voyant la vertu de cette huile merveilleuse, poussèrent un cri de joie, et, courant vers l’étable où étaient la reine et Passerose, ils leur firent voir l’heureux effet de l’huile de la fée. Toutes deux partagèrent leur bonheur. Le prince Merveilleux ne pouvait en croire ses yeux. Rien désormais ne s’opposait à son union avec Violette, si bonne, si dévouée, si tendre, si bien faite pour assurer le bonheur de son cousin.

La reine songeait au lendemain, à son retour dans son royaume, qu’elle avait abandonné depuis vingt ans : elle aurait voulu que son fils, que Violette et qu’elle-même eussent des vêtements convenables pour une si grande cérémonie ; mais elle n’avait ni le temps ni les moyens de s’en procurer : il fallait donc conserver leurs habits de drap grossier et se montrer ainsi à leurs peuples. Violette et Merveilleux riaient de l’inquiétude de leur mère.

« Ne trouvez-vous pas, mère, que notre beau Merveilleux est bien assez paré de sa beauté, et qu’un habit somptueux ne le rendra ni plus beau ni plus aimable ?

– Et ne trouvez-vous pas, comme moi, mère, que la beauté de notre chère Violette la pare mieux que les plus riches vêtements ; que l’éclat de ses yeux l’emporte sur les plus brillantes pierreries ; que la blancheur de ses dents ferait pâlir les perles les plus belles ; que la richesse de sa blonde chevelure la coiffe mieux qu’une couronne de diamants ?

– Oui, oui, mes enfants, sans doute, vous êtes tous deux beaux et charmants ; mais un peu de toilette ne gâte rien ; quelques bijoux, un peu de broderie, de riches étoffes, ne feraient aucun tort à votre beauté. Et moi qui suis vieille…

– Mais pas laide, Madame, interrompit vivement Passerose ; vous êtes encore belle et aimable, malgré votre petit bonnet de fermière, votre jupe de drap rayé, votre corsage de camelot rouge et votre guimpe de simple toile. D’ailleurs, une fois rentrée dans votre royaume, vous achèterez toutes les robes qui vous feront plaisir. »

La soirée se passa ainsi gaiement et sans inquiétude de l’avenir. La fée avait pourvu à leur souper ; ils passèrent leur dernière nuit sur les bottes de paille de l’étable, et, comme ils étaient tous fatigués des émotions de la journée, ils dormirent si profondément que le jour brillait depuis longtemps et que la fée était au milieu d’eux avant qu’ils fussent éveillés.

Un léger hem ! hem ! de la fée les tira de leur sommeil ; le prince fut le premier à ouvrir les yeux : il se jeta aux genoux de la fée et lui adressa des remerciements tellement vifs qu’elle en fut attendrie.

Violette aussi était aux genoux de la fée, la remerciant avec le prince.

« Je ne doute pas de votre reconnaissance, leur dit la fée, mais j’ai beaucoup à faire ; on m’attend dans le royaume du roi Bénin, où je dois assister à la naissance du troisième fils de la princesse Blondine ; le fils doit être le mari de votre fille aînée, prince Merveilleux, et je tiens à le douer de toutes les qualités qui pourront le faire aimer de votre fille. Il faut que je vous mène dans votre royaume ; plus tard, je reviendrai assister à vos noces… Reine, continua-t-elle en s’adressant à Aimée qui venait de s’éveiller, nous allons partir immédiatement pour le royaume de votre fils ; êtes-vous prête, ainsi que votre fidèle Passerose ?

– Madame, répondit la reine avec un léger embarras, nous sommes prêtes à vous suivre, mais ne rougirez-vous pas de notre toilette si peu digne de notre rang ?

– Ce ne sera pas moi qui en rougirai, reine, répliqua la fée en souriant ; c’est vous qui seriez disposée à en rougir. Mais je puis porter remède à ce mal. »

En disant ces mots, elle décrivit avec sa baguette un cercle au-dessus de la tête de la reine, qui au même moment, se trouva vêtue d’une robe de brocart d’or, coiffée d’un chaperon de plumes rattachées par un cordon de diamants, et chaussée de brodequins de velours pailletés d’or.

La reine regardait sa robe d’un air de complaisance. « Et Violette ? dit-elle, et mon fils ? N’étendrez-vous pas sur eux vos bontés, Madame ?

– Violette ne me l’a pas demandé, ni votre fils non plus. Je suivrai en cela leurs désirs. Parlez, Violette, désirez-vous changer de costume ?

– Madame, répondit Violette en baissant les yeux et en rougissant, j’ai été heureuse sous cette simple robe de toile ; c’est dans ce costume que mon frère m’a connue, m’a aimée ; souffrez que je le conserve tant que le permettront les convenances, et que je le garde toujours en souvenir des heureuses années de mon enfance. »

Le prince remercia Violette en lui serrant tendrement les mains.

La fée approuva Violette d’un signe de tête amical, fit approcher son équipage qui attendait à quelques pas, y monta, et plaça près d’elle la reine, Violette, le prince et Passerose. En moins d’une heure, les alouettes franchirent les trois mille lieues qui les séparaient du royaume de Merveilleux ; tout le peuple et toute la cour, prévenus par la fée, attendaient dans les rues et dans le palais. À l’aspect du char, le peuple poussa des cris de joie qui redoublèrent lorsque, le char s’arrêtant sur la grande place du palais, on en vit descendre la reine Aimée, un peu vieillie sans doute, mais toujours jolie et gracieuse ; le prince Merveilleux dont la beauté et la grâce étaient rehaussées par la richesse de ses vêtements, éblouissants d’or et de pierreries : c’était encore une gracieuseté de la fée. Mais les acclamations devinrent frénétiques, lorsque le prince, prenant la main de Violette, la présenta au peuple. Son doux et charmant visage, sa taille fine et élégante, étaient encore embellis par la toilette dont la fée l’avait revêtue d’un coup de baguette. Sa robe était en dentelle d’or, son corsage, ses épaules et ses bras étaient ornés d’une foule d’alouettes en diamants, pas plus grosses que des oiseaux-mouches ; sur la tête, elle avait aussi une couronne de petites alouettes en pierreries de toutes couleurs. Son air doux et vif, sa grâce, sa beauté, lui gagnèrent tous les cœurs. On cria tant et si longtemps : Vive le roi Merveilleux ! vive la reine Violette ! que plusieurs personnes dans la foule en devinrent sourdes. La fée, qui ne voulait que joie et bonheur dans tout le royaume, les guérit tous, à la prière de Violette. Il y eut un grand repas pour la cour et pour le peuple. Un million trois cent quarante-six mille huit cent vingt-deux personnes dînèrent aux frais de la fée, et chacun emporta de quoi manger pendant huit jours. Pendant le repas, la fée partit pour aller chez le roi Bénin, promettant de revenir pour les noces de Merveilleux et de Violette. Pendant les huit jours que dura son absence, Merveilleux, qui voyait sa mère un peu triste de ne plus être reine, la pria avec tant d’instance d’accepter le royaume de Violette, qu’elle consentit à y régner, à la condition toutefois que le roi Merveilleux et la reine Violette viendraient tous les ans passer trois mois chez elle.

La reine Aimée, avant de quitter ses enfants, voulut assister à leur union. La fée Drôlette, plusieurs fées et génies de ses amis furent convoqués aux noces. Ils eurent tous des présents magnifiques, et ils furent si satisfaits de l’accueil que leur avaient fait le roi Merveilleux et la reine Violette, qu’ils promirent de revenir toutes les fois qu’ils seraient appelés. Deux ans après, ils reçurent tous une nouvelle invitation pour assister à la naissance du premier enfant des jeunes époux. Violette mit au jour une fille qui fut, comme son père et sa mère, une merveille de bonté et de beauté.

Le roi et la reine ne purent exécuter la promesse qu’ils avaient faite à leur mère. Un des génies qui avait été invité aux noces de Merveilleux et de Violette, et qui s’appelait Bienveillant, trouva à la reine Aimée tant de douceur, de bonté et de beauté qu’il l’aima ; il alla la visiter plusieurs fois quand elle fut dans son nouveau royaume ; se voyant affectueusement accueilli par la reine, il l’enleva un beau jour dans un tourbillon. La reine Aimée pleura un peu, mais comme elle aimait aussi le génie, elle se consola promptement et consentit à l’épouser. Le roi des génies lui accorda, comme présent de noces, de participer à tous les privilèges de son mari, de ne jamais mourir, de ne jamais vieillir, de se transporter en un clin d’œil partout où elle voudrait. Elle usa souvent de cette faculté pour voir son fils et ses petits-enfants. Le roi et la reine eurent huit fils et quatre filles ; tous sont charmants ; ils seront heureux sans doute, car ils s’aiment tendrement ; et leur grand-mère, qui les gâte un peu, dit-on, leur fait donner par leur grand-père, le génie Bienveillant, tout ce qui peut contribuer à leur bonheur.

Passerose qui était tendrement attachée à la reine Aimée, l’avait suivie dans son nouveau royaume ; mais quand le génie enleva la reine dans un tourbillon, Passerose, se voyant oubliée et ne pouvant la suivre, fut si triste de l’isolement dans lequel la laissait le départ de sa chère maîtresse, qu’elle pria la fée Drôlette de la transporter près du roi Merveilleux et de la reine Violette. Elle y resta pour soigner leurs enfants, auxquels elle racontait souvent les aventures d’Ourson et de Violette ; elle y est encore, dit-on, malgré les excuses que lui firent le génie et la reine de ne l’avoir pas fait entrer dans le tourbillon.

« Non, non, leur répondit Passerose ; restons comme nous sommes. Vous m’avez oublié une fois, vous pourriez bien m’oublier encore. Ici, mon cher Ourson et ma douce Violette n’oublient jamais leur vieille bonne. Je les aime ; je leur resterai. Ils m’aiment, ils me garderont. »

Quant au fermier, à l’intendant, au maître de forge, qui avaient été si cruels envers Ourson, ils furent sévèrement punis par la fée Drôlette.

Le fermier fut dévoré par un ours quelques heures après avoir chassé Ourson.

L’intendant fut chassé par son maître pour avoir fait lâcher les chiens, qu’on ne put jamais retrouver. La nuit même, il fut piqué par un serpent venimeux, et expira quelques instants après.

Le maître de forge ayant réprimandé trop brutalement ses ouvriers, ils se saisirent de lui et le précipitèrent dans le fourneau ardent, où il périt en quelques secondes.

lundi 3 septembre 2018

XII. Le combat.



Violette allait répondre, lorsqu’une espèce de mugissement se fit entendre dans l’air. On vit descendre lentement un char de peau de crocodile, attelé de cinquante énormes crapauds. Tous ces crapauds soufflaient, sifflaient et auraient lancé leur venin infect, si la fée Drôlette ne le leur eût défendu.

Quand le char fut à terre, il en sortit une grosse et lourde créature : c’était la fée Rageuse ; ses gros yeux semblaient sortir de sa tête ; son large nez épaté couvrait ses joues ridées et flétries ; sa bouche allait d’une oreille à l’autre ; quand elle l’ouvrait, on voyait une langue noire et pointue qui léchait sans cesse de vilaines dents écornées et couvertes d’un enduit de bave verdâtre. Sa taille, haute de trois pieds à peine, était épaisse ; sa graisse flasque et jaune avait principalement envahi son gros ventre tendu comme un tambour ; sa peau grisâtre était gluante et froide comme celle d’une limace ; ses rares cheveux rouges tombaient de tous côtés en mèches inégales le long d’un cou plissé et goitreux ; ses mains larges et plates semblaient être des nageoires de requin. Sa robe était en peaux de limaces et son manteau en peaux de crapauds. Elle s’avança lentement vers Ourson, que nous appellerons désormais de son vrai nom, le prince Merveilleux. Elle s’arrêta en face de lui, jeta un coup d’œil furieux sur la fée Drôlette, un coup d’œil de triomphe moqueur sur Violette, croisa ses gros bras gluants sur son ventre énorme, et dit d’une voix aigre et enrouée :

« Ma sœur l’a emporté sur moi, prince Merveilleux. Il me reste pourtant une consolation ; tu ne seras pas heureux, parce que tu as retrouvé ta beauté première aux dépens du bonheur de cette petite sotte qui est affreuse, ridicule, et dont tu ne voudras plus approcher. Oui, oui, pleure, ma belle Oursine ; tu pleureras longtemps et tu regretteras amèrement, si tu ne le regrettes déjà, d’avoir donné au prince Merveilleux ta belle peau blanche.

– Jamais, Madame, jamais ; mon seul regret est de n’avoir pas su plus tôt ce que je pouvais faire pour lui témoigner ma reconnaissance. »

La fée Drôlette, dont le visage avait pris une expression de sévérité et d’irritation inaccoutumée, brandit sa baguette et dit :

« Silence, ma sœur ; vous n’aurez pas longtemps à triompher du malheur de Violette ; j’y porterai remède ; son dévouement mérite récompense.

– Je vous défends de lui venir en aide sous peine de ma colère.

– Je ne redoute pas votre colère, ma sœur, et je dédaigne de vous en punir.

– M’en punir ! tu oses me menacer ? » Et, sifflant bruyamment, elle fit approcher son équipage, remonta dans son char, s’enleva et voulut fondre sur Drôlette pour l’asphyxier par le venin de ses crapauds. Mais Drôlette connaissait les perfidies de sa sœur ; ses alouettes fidèles tenaient le char à sa portée ; elle sauta dedans. Les alouettes s’élevèrent, planèrent au-dessus des crapauds, et s’abaissèrent rapidement sur eux ; ceux-ci, malgré leur pesanteur, esquivèrent le coup en se jetant de côté, ils purent même lancer leur venin sur les alouettes les plus rapprochées qui moururent immédiatement ; la fée les détela avec la rapidité de la foudre, s’éleva encore et vint retomber si adroitement sur les crapauds, que les alouettes leur crevèrent les yeux avec leurs griffes avant que Rageuse eût le temps de secourir son armée. Les cris des crapauds, les sifflements des alouettes faisaient un bruit à rendre sourd ; aussi la fée Drôlette eut-elle l’attention de crier à ses amis, qui regardaient le combat avec terreur : « Éloignez-vous et bouchez-vous les oreilles ». Ce qu’ils firent immédiatement. Rageuse tenta un dernier effort ; elle dirigea ses crapauds aveugles vers les alouettes afin de les prendre en face et de leur lancer du venin ; mais Drôlette s’élevait, s’élevait toujours ; Rageuse restait toujours au-dessous. Enfin, ne pouvant contenir sa colère, elle s’écria : « Tu es soutenue par la reine des fées, une vieille drôlesse que je voudrais voir au fond des enfers ! »

À peine eut-elle prononcé ces paroles, que son char retomba pesamment à terre ; les crapauds crevèrent, le char disparut ; Rageuse resta seule sous la forme d’un gros crapaud. Elle voulut parler, elle ne put que mugir et souffler ; elle regardait avec fureur Drôlette et ses alouettes, le prince Merveilleux, Violette et Agnella, mais son pouvoir était détruit.

La fée Drôlette abaissa son char, descendit à terre et dit :

« La reine des fées t’a punie de ton audace, ma sœur. Repens-toi si tu veux obtenir ta grâce. »

Pour toute réponse, le crapaud lança son venin, qui, heureusement, n’atteignit personne. Drôlette étendit vers lui sa baguette.

« Je te commande de disparaître et de ne plus jamais te montrer aux yeux du prince, de Violette et de leur mère. »

À peine avait-elle achevé ces mots, que le crapaud disparut sans qu’il restât le moindre vestige de son attelage et de son char. La fée Drôlette demeura pendant quelques instants immobile ; elle passa la main sur son front, comme pour en chasser une triste pensée, et, s’approchant du prince Merveilleux, elle lui dit :

« Prince, le titre que je vous donne vous indique votre naissance : vous êtes le fils du roi Féroce et de la reine Aimée, cachée jusqu’ici sous l’apparence d’une modeste fermière. Le nom de votre père indique assez son caractère ; votre mère l’ayant empêché de tuer son frère Indolent et sa belle-sœur Nonchalante, il tourna contre elle sa fureur : ce fut moi qui la sauvai dans une nuée avec sa fidèle Passerose. Et vous, princesse Violette, votre naissance égale celle du prince Merveilleux ; votre père et votre mère sont ce même roi Indolent et cette reine Nonchalante, qui, sauvés une fois par votre mère, finirent par périr victimes de leur apathie.

Depuis ce temps le roi Féroce a été massacré par ses sujets qui ne pouvaient plus supporter son joug cruel ; ils vous attendent, prince, pour régner sur eux ; je leur ai révélé votre existence, et je leur ai promis que vous prendriez une épouse digne de vous. Votre choix peut s’arrêter sur une des douze princesses que votre père retenait captives après avoir égorgé leurs parents ; toutes sont belles et sages, et toutes vous apportent en dot un royaume. »

La surprise avait rendu muet le prince Merveilleux ; aux dernières paroles de la fée, il se tourna vers Violette, et, la voyant pleurer :

« Pourquoi pleures-tu, Violette ? Crains-tu que je rougisse de toi, que je n’ose pas témoigner devant toute ma cour la tendresse que tu m’inspires, que je cache ce que tu as fait pour moi, que j’oublie les liens qui m’attachent à toi pour jamais ? Crois-tu que je puisse être assez ingrat pour chercher une autre affection que la tienne, et te remplacer par une de ces princesses retenues captives par mon père ? Non, chère Violette ; jusqu’ici je n’ai vu en toi qu’une sœur ; désormais tu seras la compagne de ma vie, ma seule amie, ma femme en un mot.

– Ta femme, cher frère ! C’est impossible. Comment assoirais-tu sur ton trône une créature aussi laide que ta pauvre Violette ? Comment oserais-tu braver les railleries de tes sujets et des rois voisins ? Moi-même, comment pourrais-je me montrer au milieu des fêtes de ton retour ? Non, mon ami, mon frère, laisse-moi vivre auprès de toi, près de notre mère, seule, ignorée, couverte d’un voile, afin que personne ne me voie et ne puisse te blâmer d’avoir fait un triste choix. »

Le prince Merveilleux insista longuement et fortement ; Violette avait peine à se commander, mais néanmoins elle résistait avec autant de fermeté que de dévouement. Agnella ne disait rien ; elle eût voulu que son fils acceptât ce dernier sacrifice de la malheureuse Violette, et qu’il la laissât vivre près d’elle et près de lui, mais cachée à tous les regards. Passerose pleurait et encourageait tout bas le prince dans son insistance.

« Violette, dit enfin le prince, puisque tu te refuses de monter sur le trône avec moi, j’abandonne ce trône et la puissance royale pour vivre avec toi comme par le passé, dans la solitude et le bonheur. Sans toi, le sceptre me serait un trop lourd fardeau ; avec toi, notre petite ferme me sera un paradis. Dis, Violette, le veux-tu ainsi ?

– Tu l’emportes, cher frère ; oui, vivons ici comme nous avons vécu depuis tant d’années, modestes dans nos goûts, heureux par notre affection.

– Noble prince et généreuse princesse, dit la fée, vous aurez la récompense de votre tendresse si dévouée et si rare. Prince, dans le puits où je vous ai transporté pendant l’incendie, il y a un trésor sans prix pour vous et pour Violette. Descendez-y, cherchez ; et quand vous l’aurez trouvé, apportez-le : je vous en ferai connaître la valeur. »

Le prince ne se le fit pas dire deux fois ; il courut vers le puits ; l’échelle y était encore, il descendit lestement ; arrivé au fond, il ne vit rien que le tapis qu’il avait trouvé la première fois. Il examina les parois du puits : rien n’indiquait un trésor. Il leva le tapis et aperçut une pierre noire avec un anneau ; il tira l’anneau, la pierre s’enleva et découvrit une cassette qui brillait comme une réunion d’étoiles. « Ce doit être le trésor dont parle la fée », dit-il. Il saisit la cassette ; elle était légère comme une coquille de noix. Il s’empressa de remonter, la tenant soigneusement dans ses bras.

On attendait son retour avec impatience ; il remit la cassette à la fée. Agnella s’écria :

« C’est la cassette que vous m’aviez confiée, Madame, et que je croyais perdue dans l’incendie.

– C’est la même, dit la fée ; voici la clef, prince ; ouvrez-la. »

Ourson s’empressa de l’ouvrir. Quel ne fut pas le désappointement général quand, au lieu des trésors qu’on s’attendait à en voir sortir, on n’y trouva que les bracelets qu’avait Violette lorsque son cousin l’avait rencontrée endormie dans la forêt, et un flacon d’huile de senteur.

La fée les regardait tour à tour et riait de leur stupeur ; elle prit les bracelets et les remit à Violette.

« Ceci est mon présent de noces, ma chère enfant, chacun de ces diamants a la propriété de préserver de tout maléfice la personne qui, le porte, et de lui donner toutes les vertus, toutes les richesses, toute la beauté, tout l’esprit et tout le bonheur désirables. Usez-en pour les enfants qui naîtront de votre union avec le prince Merveilleux. »

Prenant ensuite le flacon : « Quant au flacon d’huile de senteur, c’est le présent de noces de votre cousin ; vous aimez les parfums, celui-ci a des vertus particulières ; servez-vous-en aujourd’hui même. Demain je reviendrai vous chercher et vous ramener tous dans votre royaume.

– J’ai renoncé à mon royaume, Madame ; je veux vivre ici avec ma chère Violette…

– Et qui donc gouvernera votre royaume, mon fils ? interrompit la reine Aimée.

– Ce sera vous, ma mère, si vous voulez bien en accepter la charge », répondit le prince. La reine allait refuser la couronne de son fils, quand la fée la prévint :

« Demain nous reparlerons de cela, dit-elle ; en attendant, vous, Madame, qui désirez un peu la couronne que vous alliez pourtant refuser, je vous défends de l’accepter avant mon retour ; et vous, cher et aimable prince, ajouta-t-elle d’une voix douce accompagnée d’un regard affectueux, je vous défends de la proposer avant mon retour. Adieu, à demain. Quand il vous arrivera bonheur, mes chers enfants, pensez à votre amie la fée Drôlette. »

Elle remonta dans son char ; les alouettes s’envolèrent rapidement, et bientôt elle disparut, laissant derrière elle un parfum délicieux.

vendredi 31 août 2018

XI. Le sacrifice.



Ourson marcha vers sa demeure, découragé, triste, abattu. Il allait lentement ; il arriva tard à la ferme. Violette courut audevant de lui, lui prit la main, et, sans dire un mot, l’amena devant sa mère. Là, elle se mit à genoux et dit :

« Ma mère, je sais ce que notre bien-aimé Ourson a souffert aujourd’hui. En son absence, la fée Rageuse m’a tout conté, la fée Drôlette m’a tout confirmé… Ma mère, quand vous avez cru Ourson perdu à jamais pour vous, pour moi, vous m’avez révélé ce que, dans sa bonté, il voulait me cacher. Je sais que je puis, en prenant son enveloppe, lui rendre la beauté qu’il devait avoir. Heureuse, cent fois heureuse de pouvoir reconnaître ainsi la tendresse, le dévouement de ce frère bien-aimé, je demande à faire l’échange permis par la bonne fée Drôlette, et je la supplie de l’opérer immédiatement.

– Violette ! Violette ! s’écria Ourson terrifié. Violette, reprends tes paroles ; tu ne sais pas à quoi tu t’engages, tu ignores la vie d’angoisses et de misère, la vie de solitude et d’isolement à laquelle tu te condamnes, la désolation incessante qu’on éprouve de se voir en horreur à tout le genre humain ! Ah ! Violette, Violette, de grâce, retire tes paroles.

– Cher Ourson, dit Violette avec calme mais avec résolution, en faisant ce que tu crois être un grand sacrifice, j’accomplis le vœu le plus cher à mon cœur, je travaille à mon propre bonheur. Je satisfais à un besoin ardent, impérieux, de te témoigner ma tendresse, ma reconnaissance. Je m’estime en faisant ce que je fais, je me mépriserais en ne le faisant pas.

– Arrête, Violette, un instant encore ; réfléchis, songe à ma douleur quand je ne verrai plus ma belle, ma charmante Violette, quand je craindrai pour toi les railleries, l’horreur des hommes. Oh ! Violette, ne condamne pas ton pauvre Ourson à cette angoisse. »

Le charmant visage de Violette s’attrista ; la crainte de l’antipathie d’Ourson la fit tressaillir ; mais ce sentiment tout personnel fut passager ; il ne put l’emporter sur sa tendresse si dévouée.

Pour toute réponse, elle se jeta dans les bras d’Agnella et dit :

« Mère, embrassez une dernière fois votre Violette blanche et jolie. »

Pendant qu’Agnella, Ourson et Passerose l’embrassaient et la contemplaient avec amour ; pendant qu’Ourson, à genoux, la suppliait de lui laisser sa peau d’ours à laquelle il était habitué depuis vingt ans qu’il en était revêtu, Violette appela encore à haute voix : « Fée Drôlette ! fée Drôlette ! venez recevoir le prix de la santé et de la vie de mon cher Ourson. »

Au même instant apparut la fée Drôlette dans toute sa gloire, sur un char d’or massif traîné par cent cinquante alouettes. Elle était vêtue d’une robe en ailes de papillons des couleurs les plus brillantes ; sur ses épaules tombait un manteau en réseau de diamants, qui traînait à dix pieds derrière elle, et d’un travail si fin qu’il était léger comme la gaze. Ses cheveux, luisants comme des soies d’or, étaient surmontés d’une couronne en escarboucles brillantes comme des soleils. Chacune de ses pantoufles était taillée dans un seul rubis. Son joli visage, doux et gai, respirait le contentement ; elle arrêta sur Violette un regard affectueux :

« Tu le veux donc, ma fille ? dit-elle.

– Madame, s’écria Ourson en tombant à ses pieds, daignez m’écouter. Vous qui m’avez comblé de vos bienfaits, vous qui m’inspirez une si tendre reconnaissance, vous, bonne et juste, exécuterez-vous le vœu insensé de ma chère Violette ? voudrez-vous faire le malheur de ma vie en me forçant d’accepter un pareil sacrifice ? Non, non, fée charmante, fée chérie, vous ne voudrez pas le faire, vous ne le ferez pas. »

Tandis qu’Ourson parlait ainsi, la fée donna un léger coup de sa baguette de perles sur Violette, un second coup sur Ourson et dit :

« Qu’il soit fait selon le vœu de ton cœur, ma fille !… Qu’il soit fait contre tes désirs, mon fils ! »

Au même instant, la figure, les bras, tout le corps de Violette se couvrirent des longs poils soyeux qui avaient quitté Ourson ; et Ourson apparut avec une peau blanche et unie qui faisait ressortir son extrême beauté. Violette le regardait avec admiration, pendant que lui, les yeux baissés et pleins de larmes, n’osait envisager sa pauvre Violette, si horriblement métamorphosée ; enfin il la regarda, se jeta dans ses bras, et tous deux pleurèrent. Ourson était merveilleusement beau ; Violette était ce qu’avait été Ourson, sans forme, sans beauté comme sans laideur. Quand Violette releva la tête et regarda Agnella, celle-ci lui tendit les mains.

« Merci, ma fille, ma noble et généreuse enfant ! dit Agnella.

– Mère, dit Violette à voix basse, m’aimerez-vous encore ?

– Si je t’aimerai, ma fille chérie ! cent fois, mille fois plus qu’auparavant !

– Violette, dit Ourson, ne crains pas d’être laide à nos yeux. Pour moi, tu es plus belle cent fois que lorsque tu avais toute ta beauté ; pour moi, tu es une sœur, une amie incomparable, tu seras toujours la compagne de ma vie, l’idéal de mon cœur.

jeudi 30 août 2018

X. La ferme, le château, l’usine.



Ourson marcha près d’une heure avant d’arriver à une grande et belle ferme où il espéra trouver le travail qu’il demandait. Il voyait de loin le fermier et sa famille assis devant le seuil de leur porte et prenant leur repas.

Il ne s’en trouvait plus qu’à une petite distance lorsqu’un des enfants, petit garçon de dix ans, l’aperçut. Il sauta de son siège, poussa un cri et s’enfuit dans la maison.

Un second enfant, petite fille de huit ans, entendant le cri de son frère, se retourna également et se mit à jeter des cris perçants.

Toute la famille, imitant alors le mouvement des enfants, se retourna ; à la vue d’Ourson, les femmes poussèrent des cris de terreur, les enfants s’enfuirent, les hommes saisirent des bâtons et des fourches, s’attendant à être attaqués par le pauvre Ourson qu’ils prenaient pour un animal extraordinaire échappé d’une ménagerie.

Ourson, voyant ce mouvement de terreur et d’agression, prit la parole pour dissiper leur frayeur.

« Je ne suis pas un ours, comme vous semblez le croire, Messieurs, mais un pauvre garçon qui cherche de l’ouvrage et qui serait bien heureux si vous vouliez lui en donner. »

Le fermier fut surpris d’entendre parler un ours. Il ne savait trop s’il devait fuir ou l’interroger ; il se décida à lui parler.

« Qui es-tu ? d’où viens-tu ?

– Je viens de la ferme des Bois, et je suis le fils de la fermière Agnella, répondit Ourson.

– Ah ! ah ! c’est toi qui, dans ton enfance, allais au marché et faisais peur à nos enfants ! Tu as vécu dans les bois ; tu t’es passé de notre secours. Pourquoi viens-tu nous trouver maintenant ? Va-t’en vivre en ours comme tu as vécu jusqu’ici.

– Notre ferme est brûlée. Je dois faire vivre ma mère et ma sœur du travail de mes mains ; c’est pourquoi je viens vous demander de l’ouvrage. Vous serez content de mon travail : je suis vigoureux et bien portant, j’ai bonne volonté ; je ferai tout ce que vous me commanderez.

– Tu crois, mon garçon, que je vais prendre à mon service un vilain animal comme toi, qui fera mourir de peur ma femme et mes servantes, tomber en convulsions mes enfants ! Pas si bête, mon garçon, pas si bête… En voilà assez. Va-t’en ; laissenous finir notre dîner.

– Monsieur le fermier, de grâce, veuillez essayer de mon travail ; mettez-moi tout seul ; je ne ferai peur à personne ; je me cacherai pour que vos enfants ne me voient pas.

– Auras-tu bientôt fini, méchant ours ? Pars tout de suite, sinon je te ferai sentir les dents de ma fourche dans tes reins poilus. »

Le pauvre Ourson baissa la tête ; une larme d’humiliation et de douleur brilla dans ses yeux. Il s’éloigna à pas lents, poursuivi des gros rires et des huées du fermier et de ses gens.

Quand il fut hors de leur vue, il ne chercha plus à contenir ses larmes ; mais, dans son humiliation, dans son chagrin, il ne lui vint pas une fois la pensée que Violette pouvait le débarrasser de sa laide fourrure. Il marcha encore et aperçut un château dont les abords étaient animés par une foule d’hommes qui allaient, venaient et travaillaient tous à des ouvrages différents. Les uns ratissaient, les autres fauchaient, ceux-ci pansaient les chevaux, ceux-là bêchaient, arrosaient, semaient.

« Voilà une maison où je trouverai certainement de l’ouvrage, dit Ourson. Je n’y vois ni femmes ni enfants : les hommes n’auront pas peur de moi, je pense. »

Ourson s’approcha sans qu’on le vît ; il ôta son chapeau et se trouva devant un homme qui paraissait devoir être un intendant.

« Monsieur… », dit-il.

L’homme leva la tête, recula d’un pas quand il vit Ourson, et l’examina avec la plus grande surprise.

« Qui es-tu ? Que veux-tu ? dit-il d’une voix rude.

– Monsieur, je suis le fils de la fermière Agnella, maîtresse de la ferme des Bois.

– Eh bien ! pourquoi viens-tu ici ?

– Notre ferme a brûlé, Monsieur. Je cherche de l’ouvrage pour faire vivre ma mère et ma sœur. J’espérais que vous voudriez bien m’en donner.

– De l’ouvrage ? À un ours ?

– Monsieur, je n’ai de l’ours que l’apparence ; sous cette enveloppe qui vous répugne bat un cœur d’homme, un cœur capable de reconnaissance et d’affection. Vous n’aurez à vous plaindre ni de mon travail ni de ma bonne volonté. »

Pendant qu’Ourson parlait et que l’intendant l’écoutait d’un air moqueur, il se fit un grand mouvement du côté des chevaux ; ils se cabraient, ils ruaient. Les palefreniers avaient peine à les retenir ; quelques-uns même s’échappèrent et se sauvèrent dans les champs.

« C’est l’ours, c’est l’ours, criaient les palefreniers ; il fait peur aux chevaux ! Chassez-le, faites-le partir !

– Va-t’en ! lui cria l’intendant. » Ourson, stupéfait, ne bougeait pas. « Ah ! tu ne veux pas t’en aller ! vociféra l’homme.

Attends, méchant vagabond, je vais te régaler d’une chasse ! Holà ! vous autres, courez chercher les chiens… Lâchez-les sur cet animal… Allons, qu’on se dépêche… Le voilà qui détale ! »

En effet, Ourson, plus mort que vif de ce cruel accueil, s’en allait en précipitant sa marche ; il avait hâte de s’éloigner de ces hommes inhumains et méchants. C’était la seconde tentative manquée. Malgré son chagrin, il ne se découragea pas.

« Il y a encore trois ou quatre heures de jour, dit-il, j’ai le temps de continuer mes recherches. »

Et il se dirigea vers une forge qui était à trois ou quatre kilomètres de la ferme des Bois. Le maître de la forge employait beaucoup d’ouvriers ; il donnait de l’ouvrage à tous ceux qui lui en demandaient, non par charité, mais dans l’intérêt de sa fortune et pour se rendre nécessaire. Il était craint, mais il n’était pas aimé ; il faisait la richesse du pays ; on ne lui en savait pas gré parce que lui seul en profitait, et qu’il pesait de tout le poids de son avidité et de son opulence sur les pauvres ouvriers qui ne trouvaient de travail que chez ce nouveau marquis de Carabas.

Le pauvre Ourson arriva donc à la forge ; le maître était à la porte, grondant les uns, menaçant les autres, les terrifiant tous.

« Monsieur, dit Ourson en s’approchant, auriez-vous de l’ouvrage à me donner ?

– Certainement. J’en ai toujours et à choisir. Quel ouvrage demand… »

Il leva la tête à ces mots, car il avait répondu sans regarder Ourson. Quand il le vit, au lieu d’achever sa phrase, ses yeux étincelèrent de colère et il continua en balbutiant :

« Quelle est cette plaisanterie ? Sommes-nous en carnaval, pour qu’un ouvrier se permette une si ridicule mascarade ? Veux-tu me jeter à bas ta laide peau d’ours ? ou je te fais passer au feu de ma forge pour rissoler tes poils !

– Ce n’est point une mascarade, répondit tristement Ourson ; c’est, hélas ! une peau naturelle, mais je n’en suis pas moins bon ouvrier, et si vous avez la bonté de me donner de l’ouvrage, vous verrez que ma force égale ma bonne volonté.

– Je vais t’en donner de l’ouvrage, vilain animal ! s’écria le maître de forge écumant de colère. Je vais te fourrer dans un sac et je t’enverrai dans une ménagerie ; on te jettera dans une fosse avec tes frères les ours. Tu en auras, de l’ouvrage, à te défendre de leurs griffes. Arrière, canaille ! disparais, si tu ne veux pas aller à la ménagerie. »

Et, brandissant son bâton, il en eût frappé Ourson, si celui-ci ne se fût promptement esquivé.

mercredi 29 août 2018

IX. Le puits.



Agnella, Violette et Passerose se dirigèrent lentement vers les murs calcinés de la ferme. Avec le courage du désespoir, elles travaillèrent à enlever les décombres fumants ; deux jours se passèrent avant qu’elles eussent tout déblayé ; aucun vestige du pauvre Ourson n’apparaissait ; et pourtant elles avaient enlevé morceau par morceau, poignée par poignée, tout ce qui recouvrait le sol. En soulevant les dernières planches demibrûlées, Violette aperçut avec surprise une ouverture qu’elle dégagea précipitamment : c’était l’orifice d’un puits. Son cœur battit avec violence ; un vague espoir s’y glissait.

« Ourson ! dit-elle d’une voix éteinte.

– Violette, Violette chérie ; je suis là ; je suis sauvé ! » Violette ne répondit que par un cri étouffé ; elle perdit connaissance et tomba dans le puits qui renfermait son cher Ourson. Si la bonne fée Drôlette n’avait protégé sa chute, Violette se serait brisé la tête et les membres contre les parois du puits ; mais la fée Drôlette, qui leur avait déjà rendu tant de services, soutint Violette et la fit arriver doucement aux pieds d’Ourson. La connaissance revint bien vite à Violette. Ni l’un ni l’autre ne pouvait croire à tant de bonheur ! Ni l’un ni l’autre ne se lassait de donner et de recevoir les plus tendres assurances d’affection ! Ils furent tirés de leur extase par les cris de Passerose, qui, ne voyant plus Violette et la cherchant dans les ruines, avait trouvé le puits découvert ; regardant au fond, elle avait aperçu la robe blanche de Violette et s’était figuré que Violette s’était précipitée à dessein dans le puits et y avait trouvé la mort qu’elle cherchait. Passerose criait à se briser les poumons ; Agnella arrivait lentement, pour connaître la cause de ses cris. « Tais-toi, Passerose, lui dit Ourson en élevant la voix ; tu vas effrayer notre mère. Je suis ici avec Violette ; nous sommes bien, nous ne manquons de rien.

– Bonheur, bonheur ! cria Passerose ; les voilà, les voilà !… Madame, Madame, venez donc. Plus vite, plus vite !… Ils sont là, ils sont bien ; ils ne manquent de rien. »

Agnella, pâle, demi-morte, écoutait Passerose sans comprendre. Tombée à genoux, elle n’avait plus la force de se relever. Mais quand elle entendit la voix de son cher Ourson qui appelait : « Mère, chère mère, votre pauvre Ourson vit encore », elle bondit vers l’ouverture du puits, et s’y serait précipitée si Passerose ne l’avait saisie dans ses bras et ne l’avait vivement tirée en arrière.

« Pour l’amour de lui, chère reine, n’allez pas vous jeter dans ce trou ; vous vous y tueriez. Je vais vous l’avoir, ce cher Ourson, avec sa Violette. »

Agnella, tremblante de bonheur, comprit la sagesse du conseil de Passerose. Elle resta immobile, palpitante, pendant que Passerose courait chercher une échelle.

Passerose fut longtemps absente. Il faut l’excuser, car elle aussi était un peu troublée. Au lieu de l’échelle, elle saisissait une corde, puis une fourche, puis une chaise. Elle pensa même, un instant, à faire descendre la vache au fond du puits pour que le pauvre Ourson pût boire du lait tout chaud. Enfin, elle trouva cette échelle qui était là devant elle, sous sa main, et qu’elle ne voyait pas.

Pendant que Passerose cherchait l’échelle, Ourson et Violette ne cessaient de causer de leur bonheur, de se raconter leur désespoir, leurs angoisses.

« Je passai heureusement à travers les flammes, dit Ourson ; je cherchai à tâtons l’armoire de ma mère ; la fumée me suffoquait et m’aveuglait, lorsque je me sentis enlever par les cheveux et précipiter au fond de ce puits où tu es venue me rejoindre, chère Violette. Au lieu d’y trouver de l’eau ou de l’humidité, j’y sentis une douce fraîcheur. Un tapis moelleux en garnissait le fond, comme tu peux le voir encore ; une lumière suffisante m’éclairait ; je trouvai près de moi des provisions que voici, mais auxquelles je n’ai pas touché ; quelques gorgées de vin m’ont suffi. La certitude de ton désespoir et de celui de notre mère me rendait si malheureux que la fée Drôlette eut pitié de moi : elle m’apparut sous tes traits, chère Violette. Je la pris pour toi, et je m’élançai pour te saisir dans mes bras, mais je ne trouvai qu’une forme vague comme l’air, comme la vapeur. Je pouvais la voir, mais je ne pouvais la toucher.

« – Ourson, me dit la fée en riant, je ne suis pas Violette ; j’ai pris ses traits pour mieux te témoigner mon amitié. Rassuretoi, tu la verras demain. Elle pleure amèrement parce qu’elle te croit mort, mais demain je te l’enverrai ; elle te fera visite au fond de ton puits ; elle t’accompagnera quand tu sortiras de ce tombeau, et tu verras ta mère, et le ciel, et ce beau soleil que ni ta mère ni Violette ne veulent plus contempler, mais qui leur paraîtra bien beau quand tu seras près d’elles. Tu reviendras plus tard dans ce puits ; il contient ton bonheur.

« – Mon bonheur ? répondis-je à la fée. Quand j’aurai retrouvé ma mère et Violette, j’aurai retrouvé tout mon bonheur.

« – Crois ce que je te dis ; ce puits contient ton bonheur et celui de Violette.

« – Le bonheur de Violette, Madame, est de vivre près de moi et de ma mère.

– Ah ! que tu as bien répondu, cher Ourson, interrompit Violette. Mais que dit la fée ?

– «Je sais ce que je dis, me répondit-elle. Sous peu de jours, il manquera quelque chose à ton bonheur. C’est ici que tu le trouveras. Au revoir, Ourson ! » – « Au revoir, Madame ! et bientôt, j’espère… » – « Quand tu me reverras, tu ne seras guère content, mon pauvre enfant, et tu voudras bien alors ne m’avoir jamais vue. Silence et adieu ! »

« Et elle s’envola en riant, laissant après elle un parfum délicieux et quelque chose de suave, de bienfaisant, qui répandait le calme dans mon cœur. Je ne souffrais plus, je t’attendais. »

Violette, à son tour, avait mieux compris pourquoi le retour de la fée ne serait pas bien vu d’Ourson. Depuis que la confidence d’Agnella lui avait révélé la nature du sacrifice qu’elle pouvait s’imposer, elle était décidée à l’accomplir malgré la résistance inévitable d’Ourson. Elle ne songeait qu’au bonheur de lui donner un immense témoignage d’affection. Cette espérance doublait sa joie de l’avoir retrouvé.

Quand Ourson eut fini son récit, ils entendirent la voix éclatante de Passerose qui leur criait :

« Voilà, voilà l’échelle, mes enfants… Je vous la descends… Prenez garde qu’elle ne vous tombe sur la tête… Vous devez avoir des provisions ; montez-les donc, s’il vous plaît, nous sommes un peu à court là-haut. Depuis deux jours je n’ai avalé que du lait et de la poussière ; votre mère et Violette n’ont vécu que d’air et de leurs larmes… Doucement donc… Prenez garde de briser les échelons… Madame, Madame, les voici : voici la tête d’Ourson et celle de Violette… Bon ; enjambez ; vous y voilà ! »

Agnella, toujours pâle et tremblante, ne bougeait pas plus qu’une statue. Après avoir vu Violette en sûreté, Ourson sauta hors du puits et se précipita dans les bras de sa mère qui le couvrit de larmes et de baisers. Elle le tint longtemps embrassé ; le voir là quand elle l’avait cru mort lui semblait un rêve. Enfin Passerose termina cette scène d’attendrissement en saisissant Ourson et en lui disant :

« À mon tour donc ! On m’oublie parce que je ne m’inonde pas de mes larmes, parce que j’ai conservé ma tête et mes forces. N’est-ce pas moi pourtant qui vous ai fait sortir de ce vilain trou où vous étiez si bien, disiez-vous ?

– Oui, oui, ma bonne Passerose, je t’aime bien, crois-le, et je te remercie de nous avoir tirés du puits où j’étais, en effet, si bien depuis que ma chère Violette y était descendue.

– À propos, mais j’y pense, dites-moi donc, Violette, comment êtes-vous descendue là-dedans sans vous tuer ?

– Je n’y suis pas descendue, Passerose, j’y suis tombée ; Ourson m’a reçue dans ses bras.

– Tout cela n’est pas clair, dit Passerose, il y a de la fée làdedans.

– Oui, mais c’est la bonne et aimable fée, dit Ourson. Puisse-t-elle l’emporter toujours sur sa méchante sœur ! »

Tout en causant, chacun commença à sentir des tiraillements d’estomac qui indiquaient clairement qu’on avait besoin de dîner. Ourson avait laissé au fond du puits les provisions de la fée. Pendant qu’on s’embrassait encore et qu’on pleurait un peu par souvenir, Passerose, sans dire mot, descendit dans le puits et remonta bientôt avec les provisions, qu’elle plaça en dehors de la maison sur une botte de paille ; elle apporta autour de cette table improvisée quatre autres bottes qui devaient servir de sièges.

« Le dîner est servi, dit-elle, venez manger. Nous en avons tous besoin ; la pauvre madame et Violette tombent d’inanition. Ourson a bu, mais il n’a pas mangé. Voici un pâté, voici un jambon, du pain, du vin ! Vive la bonne fée ! »

Agnella, Violette et Ourson ne se le firent pas dire deux fois ; ils se mirent gaiement à table. L’appétit était bon, le repas excellent ; le bonheur brillait sur tous les visages. On causait, on riait, on se serrait les mains, on était heureux.

Quand le dîner fut terminé, Passerose s’étonna que la fée n’eût pas pourvu à leurs besoins.

« Voyez, dit-elle, la maison reste en ruines ; tout nous manque. L’étable est notre seul abri, la paille notre seul coucher, les provisions du puits sont notre seule nourriture. Jadis, tout arrivait avant même qu’on eût le temps de le demander. »

Agnella regarda vivement sa main : l’anneau n’y était plus !… Il fallait désormais gagner son pain à la sueur de son front. Ourson et Violette, voyant son air triste, lui en demandèrent la cause.

« Hélas ! mes enfants, vous me trouverez sans doute bien ingrate, au milieu de notre bonheur, de m’inquiéter de l’avenir ! Mais je m’aperçois que, dans l’incendie, j’ai perdu la bague que m’a donnée la fée et qui devait fournir à toutes nos nécessités, tant que je l’aurais à mon doigt. Je ne l’ai plus ; qu’allons-nous faire ?

– Pas d’inquiétude, chère mère. Ne suis-je pas grand et fort ? Je chercherai de l’ouvrage, et vous vivrez de mon salaire.

– Et moi donc, dit Violette, ne puis-je aussi aider ma bonne mère et notre chère Passerose ? En cherchant de l’ouvrage pour toi, Ourson, tu en trouveras pour moi aussi.

– Je vais en chercher de ce pas, dit Ourson. Adieu, mère ; au revoir, Violette.

Et, leur baisant les mains, il partit d’un pas léger. Il ne prévoyait guère, le pauvre Ourson, l’accueil qui l’attendait dans les trois maisons où il demanderait de l’occupation.

mardi 28 août 2018

VIII. L’incendie.



Ourson ne voulait plus que Violette allât seule dans la forêt ; elle ne lui portait plus son dîner ; il revenait manger à la maison. Violette ne s’éloignait jamais de la ferme sans Ourson.

Trois ans après l’événement de la forêt, Ourson vit arriver de grand matin Violette pâle et défaite ; elle le cherchait.

« Viens, viens, dit-elle en l’entraînant au-dehors, j’ai à te parler… à te raconter… Oh ! viens. »

Ourson, inquiet, la suivit précipitamment.

« Qu’est-ce donc, chère Violette ? Pour l’amour du ciel, parle-moi, rassure-moi. Que puis-je pour toi ?

– Rien, rien, cher Ourson, tu ne peux rien… Écoute-moi. Te souviens-tu de mon rêve d’enfant ? de Crapaud ? de rivière ? de danger ? Eh bien, cette nuit, j’ai rêvé encore… C’est terrible… terrible. Ourson, cher Ourson, ta vie est menacée. Si tu meurs, je meurs.

– Comment ! Par qui ma vie est-elle menacée ?

– Écoute… Je dormais. Un Crapaud !… encore un Crapaud, toujours un Crapaud ! Un Crapaud vint à moi et me dit :

« Le moment approche où ton cher Ourson doit retrouver sa peau naturelle ; c’est à toi qu’il devra ce changement. Je le hais, je te hais. Vous ne serez pas heureux l’un par l’autre ; Ourson périra, et toi, tu ne pourras accomplir le sacrifice auquel aspire ta sottise ! Sous peu de jours, sous peu d’heures peut-être, je tirerai de vous tous une vengeance éclatante. Au revoir ! Entends-tu ? au revoir !

« Je m’éveillai : je retins un cri prêt à m’échapper, et je vis, comme je l’ai vu le jour où tu m’as sauvée de l’eau, je vis ce hideux Crapaud, posé en dehors de la croisée, qui me regardait d’un œil menaçant. Il disparut, me laissant plus morte que vive. Je me levai, je m’habillai, et je viens te trouver, mon frère, mon ami, pour te prémunir contre la méchanceté de la fée Rageuse, et pour te supplier de recourir à la bonne fée Drôlette. »

Ourson l’avait écoutée avec terreur ; ce n’était pas le sort dont il était menacé qui causait son effroi ; c’était le sacrifice qu’annonçait Rageuse et qu’il ne comprenait que trop bien. La seule pensée que sa charmante, sa bien-aimée Violette, s’affublât de sa peau d’ours par dévouement pour lui, le faisait trembler, le faisait mourir. Son angoisse se peignit dans son regard, car Violette, qui l’examinait avidement, se jeta à son cou en sanglotant :

« Hélas mon frère bien-aimé ! tu me seras bientôt ravi ! Toi qui ne connais pas la peur, tu trembles ! Toi qui me rassures et me soutiens dans toutes mes terreurs, tu ne trouves pas une parole pour ranimer mon courage ! toi qui luttes contre les dangers les plus terribles, tu courbes la tête, tu te résignes !

– Non, ma Violette, ce n’est pas la peur qui me fait trembler, ce n’est pas la peur qui cause mon trouble ; c’est une parole de la fée Rageuse dont tu ne comprends pas le sens, mais dont moi je sais toute la portée ; c’est une menace adressée à toi, ma Violette ; c’est pour toi que je tremble ! »

Violette devina d’après ces mots que le moment du sacrifice était venu, qu’elle allait être appelée à tenir la promesse qu’elle avait faite à la fée Drôlette. Au lieu de frémir, elle en ressentit de la joie ; elle pourrait enfin reconnaître le dévouement, la tendresse incessante de son cher Ourson, lui être utile à son tour. Elle ne répondit donc rien aux craintes exprimées par Ourson ; seulement elle le remercia, lui parla plus tendrement que jamais, en songeant que bientôt peut-être elle serait séparée de lui par la mort. Ourson avait la même pensée. Tous deux invoquèrent avec ardeur la protection de la fée Drôlette ; Ourson l’appela même à haute voix, mais elle ne répondit pas à son appel.

La journée se passa tristement. Ni Ourson ni Violette n’avaient parlé à Agnella du sujet de leurs inquiétudes, de crainte d’aggraver sa tristesse qui augmentait à mesure que son cher Ourson prenait des années.

« Déjà vingt ans ! pensait-elle. S’il persiste à ne voir personne et à ne pas vouloir changer de peau avec Violette, qui ne demanderait pas mieux j’en suis bien sûre, il n’y a pas de raison pour qu’il ne conserve pas sa peau d’ours jusqu’à sa mort ! »

Et Agnella pleurait, pleurait souvent, mais ses larmes ne remédiaient à rien. Le jour du rêve de Violette, Agnella avait aussi rêvé. La fée Drôlette lui avait apparu.

« Courage, reine ! lui avait-elle dit ; sous peu de jours, Ourson aura perdu sa peau d’ours. Vous pourrez lui donner le nom de prince Merveilleux. »

Agnella s’était réveillée pleine d’espoir et de bonheur. Elle redoubla de tendresse pour Violette, dans la pensée que ce serait à elle qu’elle serait redevable du bonheur de son fils.

Tout le monde alla se coucher avec des sentiments différents : Violette et Ourson, pleins d’inquiétude pour l’avenir qu’ils entrevoyaient si menaçant ; Agnella, pleine de joie de ce même avenir qui lui apparaissait prochain et heureux ; Passerose, pleine d’étonnement d’une tristesse et d’une joie dont elle ignorait les causes. Chacun s’endormit : Violette après avoir pleuré, Ourson après avoir invoqué la fée Drôlette, Agnella après avoir souri en songeant à Ourson beau et heureux, Passerose après s’être demandé cent fois : « Mais qu’ont-ils donc aujourd’hui ? »

Il y avait une heure à peine que tout dormait à la ferme, lorsque Violette fut réveillée par une odeur de brûlé. Agnella s’éveilla en même temps.

« Mère, dit Violette. ne sentez-vous rien ?

– La maison brûle, dit Agnella. Regarde, quelle clarté ! » Elles sautèrent à bas de leurs lits et coururent dans la salle ; les flammes l’avaient déjà envahie, ainsi que les chambres voisines. « Ourson ! Passerose ! cria Agnella.

– Ourson ! Ourson ! » cria Violette. Passerose se précipita à moitié vêtue dans la salle.

« Nous sommes perdus, Madame ! Les flammes ont gagné toute la maison ; les portes, les fenêtres sont closes ; impossible de rien ouvrir.

– Mon fils ! mon fils ! cria Agnella.

– Mon frère ! mon frère ! » cria Violette. Elles coururent aux portes ; tous leurs efforts réunis ne purent les ébranler, elles semblaient murées ; il en fut de même des fenêtres. « Oh ! mon rêve ! murmura Violette. Cher Ourson, adieu pour toujours ! » Ourson avait été éveillé aussi par les flammes et par la fumée ; il couchait en dehors de la ferme, près de l’étable. Son premier mouvement fut de courir à la porte extérieure de la maison ; mais lui aussi ne put l’ouvrir, malgré sa force extraordinaire. La porte aurait dû se briser sous ses efforts : elle était évidemment maintenue par la fée Rageuse. Les flammes gagnaient partout. Ourson se précipita sur une échelle, pénétra à travers les flammes dans un grenier par une fenêtre ouverte, descendit dans la chambre où sa mère et Violette, attendant la mort, se tenaient étroitement embrassées ; avant qu’elles eussent eu le temps de le reconnaître, il les saisit dans ses bras, et, criant à Passerose de le suivre, il reprit en courant le chemin du grenier, descendit l’échelle avec sa mère dans un bras, Violette dans l’autre, et, suivis de Passerose, ils arrivèrent à terre au moment où l’échelle et le grenier devenaient la proie des flammes. Ourson déposa Agnella et Violette à quelque distance de l’incendie. Passerose n’avait pas perdu la tête : elle arrivait avec un paquet de vêtements qu’elle avait rassemblés à la hâte dès le commencement de l’incendie.

Agnella et Violette s’étaient sauvées nu-pieds et en toilette de nuit ; ces vêtements furent donc bien utiles pour les couvrir et les garantir du froid.

Après avoir remercié avec chaleur et tendresse l’intrépide Ourson, qui leur avait sauvé la vie au péril de la sienne, elles félicitèrent aussi Passerose de sa prévoyance.

« Voyez, dit Passerose, l’avantage de ne pas perdre la tête ! Pendant que vous ne songiez toutes deux qu’à votre Ourson, je faisais mon paquet des objets qui vous étaient les plus nécessaires.

– C’est vrai ; mais à quoi aurait servi ton paquet, ma bonne Passerose, si ma mère et Violette avaient péri ?

– Oh ! je savais bien que vous ne les laisseriez pas brûler vives ! Est-on jamais en danger avec vous ? Ne voilà-t-il pas la troisième fois que vous sauvez Violette ? »

Violette serra vivement les mains d’Ourson et les porta à ses lèvres. Agnella l’embrassa et lui dit :

« Chère Violette, Ourson est heureux de ta tendresse qui le paye largement de ce qu’il a fait pour toi. Je suis assurée que, de ton côté, tu serais heureuse de te sacrifier pour lui, si l’occasion s’en présentait. »

Avant que Violette pût répondre, Ourson reprit vivement : « Ma mère, de grâce, ne parlez pas à Violette de se sacrifier pour moi ; vous savez combien j’en serais malheureux ! » Au lieu de répondre à Ourson, Agnella porta la main à son front avec anxiété : « La cassette, Passerose ! la cassette ! as-tu sauvé la cassette ?

– Je l’ai oubliée, Madame », dit Passerose. Le visage d’Agnella exprima une si vive contrariété, qu’Ourson la questionna sur cette précieuse cassette dont elle semblait si préoccupée. « C’était un présent de la fée ; elle m’a dit que le bonheur de Violette y était enfermé. Cette cassette était dans mon armoire, au chevet de mon lit. Hélas ! par quelle fatalité n’ai-je pas songé à la sauver. » À peine avait-elle achevé sa phrase que le brave Ourson s’élança vers la ferme embrasée, et, malgré les larmes et les supplications d’Agnella, de Violette et de Passerose, il disparut dans les flammes après avoir crié :

« Vous aurez la cassette, mère, ou j’y périrai ! »

Un silence lugubre suivit la disparition d’Ourson. Violette était tombée à genoux, les bras étendus vers la ferme qui brûlait. Agnella, les mains jointes, regardait d’un œil terrifié l’ouverture par laquelle Ourson était entré. Passerose restait immobile, le visage caché dans ses mains.

Quelques secondes se passèrent ; elles parurent des siècles aux trois femmes qui attendaient la mort ou la vie. Ourson ne paraissait pas. Le craquement du bois brûlé, le ronflement des flammes augmentaient de violence. Tout à coup un bruit terrible, affreux, fit pousser à Violette et à Agnella un cri de désespoir.

Toute la toiture s’était écroulée, tout brûlait ; Ourson restait enseveli sous les décombres, écrasé par les solives, calciné par le feu.

Un silence de mort succéda bientôt à cette sinistre catastrophe… Les flammes diminuèrent, s’éteignirent ; aucun bruit ne troubla plus le désespoir d’Agnella et de Violette.

Violette était tombée dans les bras d’Agnella ; toutes deux sanglotèrent longtemps en silence. Le jour vint. Passerose contemplait ces ruines fumantes et pleurait. Le pauvre Ourson y était enseveli, victime de son courage et de son dévouement. Agnella et Violette pleuraient toujours amèrement ; elles ne semblaient ni entendre ni comprendre ce qui se passait autour d’elles.

« Éloignons-nous d’ici », dit enfin Passerose. Ni Agnella ni Violette ne répondirent. Passerose voulut emmener Violette. « Venez, dit-elle, venez, Violette, chercher avec moi un abri pour ce soir ; la journée est belle…

– Que m’importe un abri ? sanglota Violette. Que m’importe le soir, le matin ? Il n’est plus de belles journées pour moi ! Le soleil ne luira plus que pour éclairer ma douleur !

– Mais si nous restons ici à pleurer, nous mourrons de faim, Violette, et malgré notre chagrin il faut bien songer aux nécessités de la vie.

– Autant mourir de faim que mourir de douleur. Je ne m’écarterai pas de cette place où j’ai vu pour la dernière fois mon cher Ourson, où il a péri victime de sa tendresse pour nous. »

Passerose leva les épaules ; elle se souvint de la vache dont l’étable n’avait pas été brûlée : elle y courut, tira son lait, en but une tasse et voulut vainement en faire prendre à Agnella et à Violette.

Agnella se releva pourtant et dit à Violette d’un ton solennel :

« Ta douleur est juste, ma fille, car jamais un cœur plus noble, plus généreux, n’a battu dans un corps humain. Il t’a aimée plus que lui-même : pour t’épargner une douleur, il a sacrifié son bonheur. »

Et Agnella raconta à Violette la scène qui précéda la naissance d’Ourson, la faculté qu’aurait eue Violette de le délivrer de sa difformité en l’acceptant pour elle-même, et la prière instante d’Ourson de ne jamais laisser entrevoir à Violette la possibilité d’un pareil sacrifice.

Il est facile de comprendre les sentiments de tendresse, d’admiration, de regret poignant qui remplirent le cœur de Violette après cette confidence ; elle pleura plus amèrement encore.

« Et maintenant, mes filles, continua Agnella, il nous reste un dernier devoir à remplir : c’est de donner la sépulture à mon fils. Déblayons ces décombres, enlevons ces cendres ; et, quand nous aurons trouvé les restes de notre bien-aimé Ourson… »

Les sanglots lui coupèrent la parole ; elle ne put achever.

lundi 27 août 2018

VII. Le Sanglier.



Il y avait deux ans que ces événements s’étaient passés. Un jour, Ourson avait été couper du bois dans la forêt ; Violette devait lui porter son dîner et revenir le soir avec lui.

À midi, Passerose mit au bras de Violette un panier qui contenait du vin, du pain, un petit pot de beurre, du jambon et des cerises. Violette partit avec empressement ; la matinée lui avait paru bien longue et elle était impatiente de se retrouver avec son cher Ourson. Pour abréger la route, elle s’enfonça dans la forêt qui se composait de grands arbres sous lesquels on passait facilement. Il n’y avait ni ronces ni épines ; une mousse épaisse couvrait la terre. Violette marchait légèrement ; elle était contente d’avoir pris le chemin le plus court.

Arrivée à la moitié de sa course, elle entendit le bruit d’un pas lourd et précipité, mais encore trop éloigné pour qu’elle pût savoir ce que c’était. Après quelques secondes d’attente, elle vit un énorme Sanglier qui se dirigeait vers elle. Il semblait irrité, il labourait la terre de ses défenses, il écorchait les arbres sur son passage ; son souffle bruyant s’entendait aussi distinctement que sa marche pesante.

Violette ne savait si elle devait fuir ou se cacher. Pendant qu’elle hésitait, le Sanglier l’aperçut, s’arrêta. Ses yeux flamboyaient, ses défenses claquaient, ses poils se hérissaient. Il poussa un cri rugissant et s’élança sur Violette.

Par bonheur, près d’elle se trouvait un arbre vert dont les branches étaient à sa hauteur. Elle en saisit une des deux mains, sauta dessus et grimpa de branche en branche jusqu’à ce qu’elle fût à l’abri des attaques du Sanglier. À peine était-elle en sûreté que le Sanglier se précipita de tout son poids contre l’arbre qui servait de refuge à Violette. Furieux de ne pouvoir assouvir sa rage, il dépouilla le tronc de son écorce et lui donna de si vigoureux coups de boutoir que Violette eut peur ; l’ébranlement causé par ces secousses violentes et répétées pouvait la faire tomber. Elle se cramponna aux branches. Le Sanglier se lassa enfin de ses attaques inutiles et se coucha au pied de l’arbre, lançant de temps à autre des regards flamboyants sur Violette.

Plusieurs heures se passèrent ainsi : Violette, tremblante et immobile, le Sanglier tantôt calme, tantôt dans une rage effroyable, sautant sur l’arbre, le déchirant avec ses défenses.

Violette appelait à son secours son frère, son Ourson chéri. À chaque nouvelle attaque du Sanglier, elle renouvelait ses cris ; mais Ourson était bien loin, il n’entendait pas ; personne ne venait à son aide.

Le découragement la gagnait ; la faim se faisait sentir. Elle avait jeté le panier de provisions pour grimper à l’arbre ; le Sanglier l’avait piétiné et avait écrasé, broyé tout ce qu’il contenait.

Pendant que Violette était en proie à la terreur et qu’elle appelait vainement du secours, Ourson s’étonnait de ne voir arriver ni Violette ni son dîner.

« M’aurait-on oublié ?.. se dit-il. Non ; ni ma mère ni Violette ne peuvent m’avoir oublié… C’est moi qui me serait mal exprimé… Elles croient sans doute que je dois revenir dîner à la maison !… Elles m’attendent ! elles s’inquiètent peut-être !… »

À cette pensée, Ourson abandonna son travail et reprit précipitamment le chemin de la maison. Lui aussi, il voulut abréger la route en marchant à travers bois. Bientôt il crut entendre des cris plaintifs. Il s’arrêta… écouta… Son cœur battait violemment ; il avait cru reconnaître la voix de Violette… Mais non… plus rien… Il allait reprendre sa marche, lorsqu’un cri plus distinct, plus perçant, frappa son oreille ; plus de doute, c’était Violette, sa Violette qui était en péril, qui appelait Ourson. Il courut du côté d’où partait la voix. En approchant, il entendit non plus des cris, mais des gémissements, puis des grondements accompagnés de cris féroces et de coups violents.

Le pauvre Ourson courait, courait avec la vitesse du désespoir. Il aperçut enfin le Sanglier ébranlant de ses coups de boutoir l’arbre sur lequel était Violette, pâle, défaite, mais en sûreté. Cette vue-là lui donna des forces ; il invoqua la protection de la bonne fée Drôlette et courut sur le Sanglier sa hache à la main. Le Sanglier dans sa rage soufflait bruyamment ; il faisait claquer l’une contre l’autre des défenses formidables, et à son tour il s’élança sur Ourson. Celui-ci esquiva l’attaque en se jetant de côté. Le Sanglier passa outre, s’arrêta, se retourna plus furieux que jamais et revint sur Ourson qui avait repris haleine et qui, sa hache levée, attendait l’ennemi.

Le Sanglier fondit sur Ourson et reçut sur la tête un coup assez violent pour la fendre en deux ; mais telle était la dureté de ses os, qu’il n’eut même pas l’air de le sentir.

La violence de l’attaque renversa Ourson. Le Sanglier, voyant son ennemi à terre, ne lui donna pas le temps de se relever, et sautant sur lui, le laboura de ses défenses et chercha à le mettre en pièces.

Pendant qu’Ourson se croyait perdu et que, s’oubliant luimême, il demandait à la fée de sauver Violette ; pendant que le Sanglier triomphait et piétinait son ennemi, un chant ironique se fit entendre au-dessus des combattants. Le Sanglier frissonna, quitta brusquement Ourson, leva la tête et vit une Alouette qui voltigeait au-dessus d’eux : elle continuait son chant moqueur. Le Sanglier poussa un cri rauque, baissa la tête et s’éloigna à pas lents sans même se retourner.

Violette, à la vue du danger d’Ourson, s’était évanouie et était restée accrochée aux branches de l’arbre.

Ourson, qui se croyait déchiré en mille lambeaux, osait à peine essayer un mouvement ; mais, voyant qu’il ne sentait aucune douleur, il se releva promptement pour secourir Violette. Il remercia en son cœur la fée Drôlette, à laquelle il attribuait son salut ; au même instant, l’Alouette vola vers lui, lui becqueta doucement la joue et lui dit à l’oreille :

« Ourson, c’est la fée Rageuse qui a envoyé ce Sanglier ; je suis arrivée à temps pour te sauver. Profite de la reconnaissance de Violette ; change de peau avec elle ; elle y consentira avec joie.

– Jamais, répondit Ourson ; plutôt mourir et rester ours toute ma vie. Pauvre Violette ! je serais un lâche si j’abusais ainsi de sa tendresse pour moi.

– Au revoir, entêté ! dit l’Alouette en s’envolant et en chantant ; au revoir. Je reviendrai… et alors…

– Alors comme aujourd’hui », pensa Ourson. Et il monta à l’arbre, prit Violette dans ses bras, redescendit avec elle, la coucha sur la mousse et lui bassina le front avec un reste de vin qui se trouvait dans une bouteille brisée. Presque immédiatement Violette se ranima ; elle ne pouvait en croire ses yeux lorsqu’elle vit Ourson, vivant et sans blessure, agenouillé près d’elle et lui bassinant le front et les tempes. « Ourson, cher Ourson ! Encore une fois tu m’as sauvé la vie ! Dis-moi, ah ! dismoi ce que je puis faire pour te témoigner ma profonde reconnaissance.

– Ne parle pas de reconnaissance, ma Violette chérie ; n’estce pas toi qui me donnes le bonheur ? Tu vois donc qu’en te sauvant je sauve mon bien et ma vie.

– Ce que tu dis là est d’un tendre et aimable frère, cher Ourson ; mais je n’en désire pas moins être à même de te rendre un service réel, signalé, qui te prouve toute la tendresse et toute la reconnaissance dont mon cœur est rempli pour toi.

– Bon, bon, nous verrons cela, dit Ourson en riant. En attendant, songeons à vivre. Tu n’as rien mangé depuis ce matin, pauvre Violette, car je vois à terre les débris des provisions que tu apportais sans doute pour notre dîner. Il est tard, le jour baisse. Si nous pouvions revenir à la ferme avant la nuit ! »

Violette essaya de se lever ; mais la terreur, le manque prolongé de nourriture l’avaient tellement affaiblie qu’elle tomba à terre.

« Je ne puis me soutenir, Ourson ; je suis faible ; qu’allonsnous devenir ? »

Ourson était fort embarrassé ; il ne pouvait porter si loin Violette, déjà grande et sortie de l’enfance, ni la laisser seule, exposée aux attaques des bêtes féroces qui habitaient la forêt ; il ne pouvait pourtant la laisser sans nourriture jusqu’au lendemain.

Dans cette perplexité, il vit tomber un paquet à ses pieds ; il le ramassa, l’ouvrit et y trouva un pâté, un pain, un flacon de vin.

Il devina la fée Drôlette, et, le cœur plein de reconnaissance, il s’empressa de porter le flacon aux lèvres de Violette ; une seule gorgée de vin, qui n’avait pas son pareil, rendit à Violette une partie de ses forces ; et le pain acheva de la réconforter ainsi qu’Ourson qui fit honneur au repas. Tout en mangeant, ils s’entretenaient de leurs terreurs passées et de leur bonheur présent.

Cependant la nuit était venue ; ni Violette ni Ourson ne savaient de quel côté tourner leurs pas pour revenir à la ferme. Ils étaient au beau milieu du bois ; Violette était adossée à l’arbre qui lui avait servi de refuge contre le Sanglier ; elle n’osait le quitter, de crainte de ne pas retrouver dans l’obscurité une place aussi commode.

« Eh bien, chère Violette, ne t’alarme pas ; il fait beau, il fait chaud. Tu es mollement étendue sur une mousse épaisse ; passons la nuit où nous sommes ; je te couvrirai de mon habit et je me coucherai à tes pieds pour te préserver de tout danger et de toute terreur. Maman et Passerose ne s’inquiéteront pas. Elles ignorent les dangers que nous avons courus, et tu sais qu’il nous est arrivé bien des fois, par une belle soirée comme aujourd’hui, de rentrer après qu’elles étaient couchées. »

Violette consentit volontiers à passer la nuit dans la forêt, d’abord parce qu’ils ne pouvaient faire autrement, ensuite parce qu’elle n’avait jamais peur avec Ourson et qu’elle trouvait toujours bien ce qu’il avait décidé.

Ourson arrangea donc de son mieux le lit de mousse de Violette ; il se dépouilla de son habit et l’en couvrit malgré sa résistance ; ensuite, après avoir vu les yeux de Violette se fermer et le sommeil envahir tous ses sens, il s’étendit à ses pieds et ne tarda pas lui-même à s’endormir profondément.

Ourson était fatigué. Le lendemain, ce fut Violette qui s’éveilla la première. Il faisait jour ; elle sourit en voyant l’attitude menaçante d’Ourson qui, la hache serrée dans la main droite, semblait défier tous les sangliers de la forêt. Elle se leva sans bruit et se mit à la recherche du chemin à suivre pour regagner la ferme.

Pendant qu’elle rôdait aux environs de l’arbre qui l’avait abritée contre l’humidité de la nuit, Ourson se réveilla, et, ne voyant pas Violette, il fut debout en un instant ; il l’appela d’une voix étouffée par la frayeur.

« Me voici, me voici, cher frère, répondit-elle en accourant ; je cherchais le chemin de la ferme. Mais qu’as-tu donc ? tu trembles.

– Je te croyais enlevée par quelque méchante fée, chère Violette, et je me reprochais de m’être laissé aller au sommeil. Te voilà gaie et bien portante : je suis rassuré et heureux. Partons maintenant ; partons vite, afin d’arriver avant le réveil de notre mère et de Passerose. »

Ourson connaissait la forêt ; il retrouva promptement la direction de la ferme et ils y arrivèrent quelques minutes avant qu’Agnella et Passerose fussent éveillées. Ils étaient convenus de cacher à leur mère les dangers qu’ils avaient courus, afin de lui éviter les angoisses de l’inquiétude pour l’avenir. Passerose fut seule dans le secret de leurs aventures de la veille.