mardi 4 septembre 2018

XIII. La récompense.



Le prince regarda Violette et soupira. Violette regarda le prince et sourit.

« Comme tu es beau, cher cousin ! Que je suis heureuse de t’avoir rendu ta beauté ! Moi, je vais verser quelques gouttes d’huile de senteur sur mes mains ; puisque je ne peux te plaire, je veux du moins t’embaumer », ajouta-t-elle en riant.

Et, débouchant le flacon, elle pria Merveilleux de lui en verser quelques gouttes sur le front et sur le visage. Le prince avait le cœur trop gros pour parler. Il prit le flacon et exécuta l’ordre de sa cousine. Aussitôt que l’huile eut touché le front de Violette, quelles ne furent pas sa joie et sa surprise en voyant tous ses poils disparaître et sa peau reprendre sa blancheur et sa finesse premières !

Le prince et Violette, en voyant la vertu de cette huile merveilleuse, poussèrent un cri de joie, et, courant vers l’étable où étaient la reine et Passerose, ils leur firent voir l’heureux effet de l’huile de la fée. Toutes deux partagèrent leur bonheur. Le prince Merveilleux ne pouvait en croire ses yeux. Rien désormais ne s’opposait à son union avec Violette, si bonne, si dévouée, si tendre, si bien faite pour assurer le bonheur de son cousin.

La reine songeait au lendemain, à son retour dans son royaume, qu’elle avait abandonné depuis vingt ans : elle aurait voulu que son fils, que Violette et qu’elle-même eussent des vêtements convenables pour une si grande cérémonie ; mais elle n’avait ni le temps ni les moyens de s’en procurer : il fallait donc conserver leurs habits de drap grossier et se montrer ainsi à leurs peuples. Violette et Merveilleux riaient de l’inquiétude de leur mère.

« Ne trouvez-vous pas, mère, que notre beau Merveilleux est bien assez paré de sa beauté, et qu’un habit somptueux ne le rendra ni plus beau ni plus aimable ?

– Et ne trouvez-vous pas, comme moi, mère, que la beauté de notre chère Violette la pare mieux que les plus riches vêtements ; que l’éclat de ses yeux l’emporte sur les plus brillantes pierreries ; que la blancheur de ses dents ferait pâlir les perles les plus belles ; que la richesse de sa blonde chevelure la coiffe mieux qu’une couronne de diamants ?

– Oui, oui, mes enfants, sans doute, vous êtes tous deux beaux et charmants ; mais un peu de toilette ne gâte rien ; quelques bijoux, un peu de broderie, de riches étoffes, ne feraient aucun tort à votre beauté. Et moi qui suis vieille…

– Mais pas laide, Madame, interrompit vivement Passerose ; vous êtes encore belle et aimable, malgré votre petit bonnet de fermière, votre jupe de drap rayé, votre corsage de camelot rouge et votre guimpe de simple toile. D’ailleurs, une fois rentrée dans votre royaume, vous achèterez toutes les robes qui vous feront plaisir. »

La soirée se passa ainsi gaiement et sans inquiétude de l’avenir. La fée avait pourvu à leur souper ; ils passèrent leur dernière nuit sur les bottes de paille de l’étable, et, comme ils étaient tous fatigués des émotions de la journée, ils dormirent si profondément que le jour brillait depuis longtemps et que la fée était au milieu d’eux avant qu’ils fussent éveillés.

Un léger hem ! hem ! de la fée les tira de leur sommeil ; le prince fut le premier à ouvrir les yeux : il se jeta aux genoux de la fée et lui adressa des remerciements tellement vifs qu’elle en fut attendrie.

Violette aussi était aux genoux de la fée, la remerciant avec le prince.

« Je ne doute pas de votre reconnaissance, leur dit la fée, mais j’ai beaucoup à faire ; on m’attend dans le royaume du roi Bénin, où je dois assister à la naissance du troisième fils de la princesse Blondine ; le fils doit être le mari de votre fille aînée, prince Merveilleux, et je tiens à le douer de toutes les qualités qui pourront le faire aimer de votre fille. Il faut que je vous mène dans votre royaume ; plus tard, je reviendrai assister à vos noces… Reine, continua-t-elle en s’adressant à Aimée qui venait de s’éveiller, nous allons partir immédiatement pour le royaume de votre fils ; êtes-vous prête, ainsi que votre fidèle Passerose ?

– Madame, répondit la reine avec un léger embarras, nous sommes prêtes à vous suivre, mais ne rougirez-vous pas de notre toilette si peu digne de notre rang ?

– Ce ne sera pas moi qui en rougirai, reine, répliqua la fée en souriant ; c’est vous qui seriez disposée à en rougir. Mais je puis porter remède à ce mal. »

En disant ces mots, elle décrivit avec sa baguette un cercle au-dessus de la tête de la reine, qui au même moment, se trouva vêtue d’une robe de brocart d’or, coiffée d’un chaperon de plumes rattachées par un cordon de diamants, et chaussée de brodequins de velours pailletés d’or.

La reine regardait sa robe d’un air de complaisance. « Et Violette ? dit-elle, et mon fils ? N’étendrez-vous pas sur eux vos bontés, Madame ?

– Violette ne me l’a pas demandé, ni votre fils non plus. Je suivrai en cela leurs désirs. Parlez, Violette, désirez-vous changer de costume ?

– Madame, répondit Violette en baissant les yeux et en rougissant, j’ai été heureuse sous cette simple robe de toile ; c’est dans ce costume que mon frère m’a connue, m’a aimée ; souffrez que je le conserve tant que le permettront les convenances, et que je le garde toujours en souvenir des heureuses années de mon enfance. »

Le prince remercia Violette en lui serrant tendrement les mains.

La fée approuva Violette d’un signe de tête amical, fit approcher son équipage qui attendait à quelques pas, y monta, et plaça près d’elle la reine, Violette, le prince et Passerose. En moins d’une heure, les alouettes franchirent les trois mille lieues qui les séparaient du royaume de Merveilleux ; tout le peuple et toute la cour, prévenus par la fée, attendaient dans les rues et dans le palais. À l’aspect du char, le peuple poussa des cris de joie qui redoublèrent lorsque, le char s’arrêtant sur la grande place du palais, on en vit descendre la reine Aimée, un peu vieillie sans doute, mais toujours jolie et gracieuse ; le prince Merveilleux dont la beauté et la grâce étaient rehaussées par la richesse de ses vêtements, éblouissants d’or et de pierreries : c’était encore une gracieuseté de la fée. Mais les acclamations devinrent frénétiques, lorsque le prince, prenant la main de Violette, la présenta au peuple. Son doux et charmant visage, sa taille fine et élégante, étaient encore embellis par la toilette dont la fée l’avait revêtue d’un coup de baguette. Sa robe était en dentelle d’or, son corsage, ses épaules et ses bras étaient ornés d’une foule d’alouettes en diamants, pas plus grosses que des oiseaux-mouches ; sur la tête, elle avait aussi une couronne de petites alouettes en pierreries de toutes couleurs. Son air doux et vif, sa grâce, sa beauté, lui gagnèrent tous les cœurs. On cria tant et si longtemps : Vive le roi Merveilleux ! vive la reine Violette ! que plusieurs personnes dans la foule en devinrent sourdes. La fée, qui ne voulait que joie et bonheur dans tout le royaume, les guérit tous, à la prière de Violette. Il y eut un grand repas pour la cour et pour le peuple. Un million trois cent quarante-six mille huit cent vingt-deux personnes dînèrent aux frais de la fée, et chacun emporta de quoi manger pendant huit jours. Pendant le repas, la fée partit pour aller chez le roi Bénin, promettant de revenir pour les noces de Merveilleux et de Violette. Pendant les huit jours que dura son absence, Merveilleux, qui voyait sa mère un peu triste de ne plus être reine, la pria avec tant d’instance d’accepter le royaume de Violette, qu’elle consentit à y régner, à la condition toutefois que le roi Merveilleux et la reine Violette viendraient tous les ans passer trois mois chez elle.

La reine Aimée, avant de quitter ses enfants, voulut assister à leur union. La fée Drôlette, plusieurs fées et génies de ses amis furent convoqués aux noces. Ils eurent tous des présents magnifiques, et ils furent si satisfaits de l’accueil que leur avaient fait le roi Merveilleux et la reine Violette, qu’ils promirent de revenir toutes les fois qu’ils seraient appelés. Deux ans après, ils reçurent tous une nouvelle invitation pour assister à la naissance du premier enfant des jeunes époux. Violette mit au jour une fille qui fut, comme son père et sa mère, une merveille de bonté et de beauté.

Le roi et la reine ne purent exécuter la promesse qu’ils avaient faite à leur mère. Un des génies qui avait été invité aux noces de Merveilleux et de Violette, et qui s’appelait Bienveillant, trouva à la reine Aimée tant de douceur, de bonté et de beauté qu’il l’aima ; il alla la visiter plusieurs fois quand elle fut dans son nouveau royaume ; se voyant affectueusement accueilli par la reine, il l’enleva un beau jour dans un tourbillon. La reine Aimée pleura un peu, mais comme elle aimait aussi le génie, elle se consola promptement et consentit à l’épouser. Le roi des génies lui accorda, comme présent de noces, de participer à tous les privilèges de son mari, de ne jamais mourir, de ne jamais vieillir, de se transporter en un clin d’œil partout où elle voudrait. Elle usa souvent de cette faculté pour voir son fils et ses petits-enfants. Le roi et la reine eurent huit fils et quatre filles ; tous sont charmants ; ils seront heureux sans doute, car ils s’aiment tendrement ; et leur grand-mère, qui les gâte un peu, dit-on, leur fait donner par leur grand-père, le génie Bienveillant, tout ce qui peut contribuer à leur bonheur.

Passerose qui était tendrement attachée à la reine Aimée, l’avait suivie dans son nouveau royaume ; mais quand le génie enleva la reine dans un tourbillon, Passerose, se voyant oubliée et ne pouvant la suivre, fut si triste de l’isolement dans lequel la laissait le départ de sa chère maîtresse, qu’elle pria la fée Drôlette de la transporter près du roi Merveilleux et de la reine Violette. Elle y resta pour soigner leurs enfants, auxquels elle racontait souvent les aventures d’Ourson et de Violette ; elle y est encore, dit-on, malgré les excuses que lui firent le génie et la reine de ne l’avoir pas fait entrer dans le tourbillon.

« Non, non, leur répondit Passerose ; restons comme nous sommes. Vous m’avez oublié une fois, vous pourriez bien m’oublier encore. Ici, mon cher Ourson et ma douce Violette n’oublient jamais leur vieille bonne. Je les aime ; je leur resterai. Ils m’aiment, ils me garderont. »

Quant au fermier, à l’intendant, au maître de forge, qui avaient été si cruels envers Ourson, ils furent sévèrement punis par la fée Drôlette.

Le fermier fut dévoré par un ours quelques heures après avoir chassé Ourson.

L’intendant fut chassé par son maître pour avoir fait lâcher les chiens, qu’on ne put jamais retrouver. La nuit même, il fut piqué par un serpent venimeux, et expira quelques instants après.

Le maître de forge ayant réprimandé trop brutalement ses ouvriers, ils se saisirent de lui et le précipitèrent dans le fourneau ardent, où il périt en quelques secondes.

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