lundi 30 juillet 2018

III. La moisson.



Il marcha longtemps, longtemps mais il avait beau marcher, il n’était pas plus loin du pied de la montagne ni plus près du sommet que lorsqu’il avait passé la rivière.

Un autre enfant aurait retourné sur ses pas mais le brave petit Henri ne se découragea pas, et, malgré une fatigue extrême, il marcha vingt et un jours sans avancer davantage. Au bout de ce temps, il n’était pas plus découragé qu’au premier jour.

« Dussé-je marcher cent ans, dit-il, j’irai jusqu’à ce que j’arrive en haut. »

À peine avait-il prononcé ces paroles, qu’il vit devant lui un petit Vieillard qui le regardait d’un air malin.

« Tu as donc bien envie d’arriver, petit ? lui dit-il. Que cherches-tu au haut de cette montagne ?

– La plante de vie, mon bon Monsieur, pour sauver ma bonne maman qui se meurt. »

Le petit Vieillard hocha la tête, appuya son petit menton pointu sur la pomme d’or de sa canne, et dit, après avoir examiné longuement Henri :

« Ta physionomie douce et franche me plaît, mon garçon ; je suis un des génies de la montagne : je te laisserai avancer à condition que tu me récolteras tout mon blé, que tu le battras, et que tu en feras de la farine, et que tu mettras la farine en pains. Quand tout sera récolté, battu, moulu et cuit, appelle-moi. Tu trouveras tous les ustensiles qui te seront nécessaires dans le fossé ici près de toi ; les champs de blé sont devant toi et couvrent la montagne. »

Le petit Vieillard disparut, et Henri considéra d’un œil effrayé les immenses champs de blé qui se déroulaient devant lui. Mais il surmonta bien vite ce sentiment de découragement, ôta sa veste, prit dans le fossé une faucille et se mit résolument à couper le blé. Il y passa cent quatre-vingt-quinze jours et autant de nuits.

Quant tout fut coupé, Henri se mit à battre le blé avec un fléau qu’il trouva sous sa main ; il le battit pendant soixante jours. Quand tout fut battu, il commença à le moudre dans un moulin qui s’éleva près du blé. Il moulut pendant quatre-vingtdix jours. Quand tout fut moulu, il se mit à pétrir et à cuire, il pétrit et cuisit pendant cent vingt jours. À mesure que les pains étaient cuits, il les rangeait proprement sur des rayons, comme des livres dans une bibliothèque. Lorsque tout fut fini, Henri se sentit transporté de joie et appela le génie de la montagne. Le génie apparut immédiatement, compta quatre cent soixantehuit mille trois cent vingt-neuf pains, craqua un petit bout du premier et du dernier, s’approcha de Henri, lui donna une petite tape sur la joue et lui dit :

« Tu es un bon garçon et je veux te payer ton travail. »

Il tira de sa petite poche une tabatière en bois, qu’il donna à Henri en disant avec malice :

« Quand tu seras de retour chez toi, tu ouvriras ta tabatière, tu y trouveras du tabac comme jamais tu n’en as eu. »

Henri ne prenait jamais de tabac et le présent du petit génie ne lui sembla pas bien utile ; mais il était trop poli pour témoigner ce qu’il pensait, et il remercia le Vieillard d’un air satisfait.

Le petit Vieillard sourit, puis éclata de rire et disparut.

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