lundi 23 juillet 2018

VII. Le perroquet.



VII. Le perroquet.

Il y avait près de six mois que Blondine s’était réveillée de son sommeil de sept années ; le temps lui semblait long ; le souvenir de son père lui revenait souvent et l’attristait. Bonne-Biche et Beau-Minon semblaient deviner ses pensées. Beau-Minon miaulait plaintivement, Bonne-Biche soupirait profondément. Blondine parlait rarement de ce qui occupait si souvent son esprit, parce qu’elle craignait d’offenser Bonne-Biche, qui lui avait répondu trois ou quatre fois : « Vous reverrez votre père, Blondine, quand vous aurez quinze ans, si vous continuez à être sage ; mais croyez-moi, ne vous occupez pas de l’avenir, et surtout ne cherchez pas à nous quitter. »

Un matin, Blondine était triste et seule ; elle réfléchissait à sa singulière et monotone existence. Elle fut distraite de sa rêverie par trois petits coups frappés doucement à sa fenêtre. Levant la tête, elle aperçut un Perroquet du plus beau vert, avec la gorge et la poitrine orange. Surprise de l’apparition d’un être inconnu et nouveau, elle alla ouvrir sa fenêtre et fit entrer le Perroquet. Quel ne fut pas son étonnement quand l’oiseau lui dit d’une petite voix aigrelette :

« Bonjour, Blondine ; je sais que vous vous ennuyez quelquefois, faute de trouver à qui parler, et je viens causer avec vous. Mais, de grâce, ne dites pas que vous m’avez vu, car Bonne-Biche me tordrait le cou.

– Et pourquoi cela, beau Perroquet ? Bonne-Biche ne fait de mal à personne, elle ne hait que les méchants.

– Blondine, si vous ne me promettez pas de cacher ma visite à Bonne-Biche et à Beau-Minon, je m’envole pour ne jamais revenir.

– Puisque vous le voulez, beau Perroquet, je vous le promets. Causons un peu : il y a si longtemps que je n’ai causé ! Vous me semblez gai et spirituel ; vous m’amuserez, je n’en doute pas. »

Blondine écouta les contes du Perroquet, qui lui fit force compliments sur sa beauté, sur ses talents, sur son esprit. Blondine était enchantée ; au bout d’une heure, le Perroquet s’envola, promettant de revenir le lendemain. Il revint ainsi pendant plusieurs jours et continua à la complimenter et à
l’amuser. Un matin il frappa à la fenêtre en disant :

« Blondine, Blondine, ouvrez-moi, je viens vous donner des nouvelles de votre père ; mais surtout pas de bruit, si vous ne voulez pas me voir tordre le cou. »

Blondine ouvrit sa croisée et dit au Perroquet : « Est-il bien vrai, mon beau Perroquet, que tu veux me donner des nouvelles de mon père ? Parle vite ; que fait-il ? comment va-t-il ?

– Votre père va bien, Blondine ; il pleure toujours votre absence ; je lui ai promis d’employer tout mon petit pouvoir à vous délivrer de votre prison ; mais je ne puis le faire que si vous m’y aidez.

– Ma prison ! dit Blondine. Mais vous ignorez donc toutes les bontés de Bonne-Biche et de Beau-Minon pour moi, les soins qu’ils ont donnés à mon éducation, leur tendresse pour moi ! Ils seront enchantés de connaître un moyen de me réunir à mon père. Venez avec moi, beau Perroquet, je vous en prie, je vous présenterai à Bonne-Biche.

– Ah ! Blondine, reprit de sa petite voix aigre le Perroquet, vous ne connaissez pas Bonne-Biche ni Beau-Minon. Ils me détestent parce que j’ai réussi quelquefois à leur arracher leurs victimes. Jamais vous ne verrez votre père, Blondine, jamais vous ne sortirez de cette forêt, si vous n’enlevez pas vous-même le talisman qui vous y retient.

– Quel talisman ? dit Blondine, je n’en connais aucun ; et quel intérêt Bonne-Biche et Beau-Minon auraient-ils à me retenir prisonnière ?

– L’intérêt de désennuyer leur solitude, Blondine. Et quant au talisman, c’est une simple Rose ; cueillie par vous, elle vous délivrera de votre exil et vous ramènera dans les bras de votre père.

– Mais il n’y a pas une seule Rose dans le jardin, comment donc pourrais-je en cueillir ?

– Je vous dirai cela un autre jour, Blondine ; aujourd’hui je ne puis vous en dire davantage, car Bonne-Biche va venir ; mais pour vous assurer des vertus de la Rose, demandez-en une à Bonne-Biche ; vous verrez ce qu’elle vous dira. À demain, Blondine, à demain. »

Et le Perroquet s’envola, bien content d’avoir jeté dans le cœur de Blondine les premiers germes d’ingratitude et de désobéissance.

À peine le Perroquet fut-il parti, que Bonne-Biche entra ; elle paraissait agitée. « Avec qui causiez-vous donc, Blondine ? dit Bonne-Biche en jetant sur la croisée ouverte un regard méfiant.

– Avec personne, Madame, répondit Blondine.

– Je suis certaine d’avoir entendu parler.

– Je me serai sans doute parlé à moi-même. » Bonne-Biche ne répliqua pas ; elle était triste, quelques larmes même roulaient dans ses yeux. Blondine était aussi préoccupée ; les paroles du Perroquet lui faisaient envisager sous un jour nouveau les obligations qu’elle avait à Bonne-Biche et à Beau-Minon. Au lieu de se dire qu’une biche qui parle, qui a la puissance de rendre intelligentes les bêtes, de faire dormir un enfant pendant sept ans, qu’une biche qui a consacré ces sept années à l’éducation ennuyeuse d’une petite fille ignorante, qu’une biche qui est logée et servie comme une reine n’est pas
une biche ordinaire ; au lieu d’éprouver de la reconnaissance de tout ce que Bonne-Biche avait fait pour elle, Blondine crut aveuglément ce Perroquet, cet inconnu dont rien ne garantissait la véracité, et qui n’avait aucun motif de lui porter intérêt au point de risquer sa vie pour lui rendre service ; elle le crut, parce qu’il l’avait flattée. Elle ne regarda plus du même œil reconnaissant l’existence douce et heureuse que lui avaient faite Bonne-Biche et Beau-Minon : elle résolut de suivre les conseils du Perroquet. « Pourquoi, Bonne-Biche, lui demanda-t-elle dans la journée, pourquoi ne vois-je pas parmi toutes vos fleurs la plus belle, la plus charmante de toutes, la Rose ? » Bonne-Biche
frémit, se troubla et dit : « Blondine, Blondine, ne me demandez pas cette fleur perfide qui pique ceux qui la touchent. Ne me parlez jamais de la Rose, Blondine ; vous ne savez pas ce qui vous menace dans cette fleur. »

L’air de Bonne-Biche était si sévère, que Blondine n’osa pas insister.

La journée s’acheva assez tristement. Blondine était gênée ; Bonne-Biche était mécontente ; Beau-Minon était triste.

Le lendemain, Blondine courut à sa fenêtre ; à peine l’eut-elle ouverte que le Perroquet entra.

« Eh bien, Blondine, vous avez vu le trouble de Bonne-Biche quand vous avez parlé de la Rose ? Je vous ai promis de vous indiquer le moyen d’avoir une de ces fleurs charmantes ; le voici : vous sortirez du parc, vous irez dans la forêt, je vous accompagnerai, et je vous mènerai dans un jardin où se trouve la plus belle Rose du monde.

– Mais comment pourrai-je sortir du parc ? Beau-Minon m’accompagne toujours dans mes promenades.

– Tâchez de le renvoyer, dit le Perroquet ; et s’il insiste, eh bien, sortez malgré lui.

– Si cette Rose est bien loin, on s’apercevra de mon absence.

– Une heure de marche au plus. Bonne-Biche a eu soin de vous placer loin de la Rose, afin que vous ne puissiez pas vous affranchir de son joug.

– Mais pourquoi me retient-elle captive ? Puissante comme elle est, ne pouvait-elle se donner d’autres plaisirs que l’éducation d’un enfant ?

– Ceci vous sera expliqué plus tard, Blondine, quand vous serez retournée près de votre père. Soyez ferme ; débarrassez-vous de Beau-Minon après déjeuner, sortez dans la forêt ; je vais vous y attendre. »

Blondine promit et ferma la fenêtre, de crainte que Bonne-Biche ne la surprît.

Après le déjeuner, Blondine descendit dans le jardin selon sa coutume. Beau-Minon la suivit, malgré quelques rebuffades qu’il reçut avec des miaulements plaintifs. Parvenue à l’allée qui menait à la sortie du parc, Blondine voulut encore renvoyer Beau-Minon.

« Je veux être seule, dit-elle ; va-t’en, Beau-Minon. »

Beau-Minon fit semblant de ne pas comprendre. Blondine, impatientée, s’oublia au point de frapper Beau-Minon du pied.

Quand le pauvre Beau-Minon eut reçu le coup de pied de Blondine, il poussa un cri lugubre et s’enfuit du côté du palais. Blondine frémit en entendant ce cri ; elle s’arrêta, fut sur le point de rappeler Beau-Minon, de renoncer à la Rose, de tout raconter à Bonne-Biche ; mais une fausse honte l’arrêta, elle marcha vers la porte, l’ouvrit non sans trembler, et se trouva dans la forêt.

Le Perroquet ne tarda pas à la rejoindre.

« Courage, Blondine ! Encore une heure et vous aurez la Rose, et vous reverrez votre père. »

Ces mots rendirent à Blondine la résolution qu’elle commençait à perdre ; elle marcha dans le sentier que lui indiquait le Perroquet en volant de branche en branche devant elle. La forêt, qu’elle avait crue si belle, près du parc de Bonne-Biche, devint de plus en plus difficile : les ronces et les pierres encombraient le sentier ; on n’entendait plus d’oiseaux ; les fleurs avaient disparu ; Blondine se sentit gagner par un malaise inexplicable ; le Perroquet la pressait vivement d’avancer.

« Vite, vite, Blondine, le temps se passe ; si Bonne-Biche s’aperçoit de votre absence et vous poursuit, elle me tordra le cou et vous ne verrez jamais votre père. »

Blondine, fatiguée, haletante, les bras déchirés, les souliers en lambeaux, allait déclarer qu’elle renonçait à aller plus loin, lorsque le Perroquet s’écria :

« Nous voici arrivés, Blondine ; voici l’enclos où est la Rose. »

Et Blondine vit au détour du sentier un petit enclos, dont la porte lui fut ouverte par le Perroquet. Le terrain y était aride et pierreux, mais au milieu s’élevait majestueusement un magnifique rosier avec une Rose plus belle que toutes les roses du monde.

« Prenez-la, Blondine, vous l’avez bien gagnée », dit le Perroquet.

Blondine saisit la branche, et, malgré les épines qui s’enfonçaient dans ses doigts, elle arracha la Rose.

À peine l’eut-elle dans sa main qu’elle entendit un éclat de rire ; la Rose s’échappa de ses mains en lui criant :

« Merci, Blondine, de m’avoir délivrée de la prison où me retenait la puissance de Bonne-Biche. Je suis ton mauvais génie ; tu m’appartiens maintenant.

– Ha, ha, ha, reprit à son tour le Perroquet, merci, Blondine, je puis maintenant reprendre ma forme d’enchanteur ; j’ai eu moins de peine à te décider que je ne le croyais. En flattant ta vanité, je t’ai facilement rendue ingrate et méchante. Tu as causé la perte de tes amis dont je suis le mortel ennemi. Adieu, Blondine. »

En disant ces mots, le Perroquet et la Rose disparurent, laissant Blondine seule au milieu d’une épaisse forêt.

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