mardi 24 juillet 2018

VIII. Le repentir.



VIII. Le repentir.

Blondine était stupéfaite ; sa conduite lui apparut dans toute son horreur : elle avait été ingrate envers des amis qui s’étaient dévoués à elle, qui avaient passé sept ans à soigner son éducation. Ces amis voudraient-ils la recevoir, lui pardonner ? Que deviendrait-elle si leur porte lui était fermée ? Et puis, que signifiaient les paroles du méchant Perroquet : « Tu as causé la perte de tes amis » ?

Elle voulut se remettre en route pour retourner chez Bonne-Biche : les ronces et les épines lui déchiraient les bras, les jambes et le visage ; elle continua pourtant à se faire jour à travers les broussailles, et, après trois heures de marche pénible, elle arriva devant le palais de Bonne-Biche et de Beau-Minon.

Que devint-elle quand, à la place du magnifique palais, elle ne vit que des ruines ; quand, au lieu des fleurs et des beaux arbres qui l’entouraient, elle n’aperçut que des ronces, des chardons et des orties ? Terrifiée, désolée, elle voulut pénétrer dans les ruines pour savoir ce qu’étaient devenus ses amis. Un
gros Crapaud sortit d’un tas de pierres, se mit devant elle et lui dit :

« Que cherches-tu ? N’as-tu pas causé, par ton ingratitude, la mort de tes amis ? Va-t’en ; n’insulte pas à leur mémoire par ta présence.

– Ah ! s’écria Blondine, mes pauvres amis, Bonne-Biche, Beau-Minon, que ne puis-je expier par ma mort les malheurs que j’ai causés ! »

Et elle se laissa tomber, en sanglotant, sur les pierres et les chardons ; l’excès de sa douleur l’empêcha de sentir les pointes aiguës des pierres et les piqûres des chardons. Elle pleura longtemps, longtemps ; enfin elle se leva et regarda autour d’elle pour tâcher de découvrir un abri où elle pourrait se réfugier ; elle ne vit rien que des pierres et des ronces.

« Eh bien, dit-elle, qu’importe qu’une bête féroce me déchire ou que je meure de faim et de douleur, pourvu que j’expire ici sur le tombeau de Bonne-Biche et de Beau-Minon ? »

Comme elle finissait ces mots, elle entendit une voix qui disait : « Le repentir peut racheter bien des fautes. » Elle leva la tête et ne vit qu’un gros Corbeau noir qui voltigeait au-dessus d’elle. « Hélas ! dit-elle, mon repentir, quelque amer qu’il soit, rendra-t-il la vie à Bonne-Biche et à Beau-Minon ?

– Courage, Blondine, reprit la voix ; rachète ta faute par ton repentir ; ne te laisse pas abattre par la douleur. »

La pauvre Blondine se leva et s’éloigna de ce lieu de désolation ; elle suivit un petit sentier qui la mena dans une partie de la forêt où les grands arbres avaient étouffé les ronces ; la terre était couverte de mousse. Blondine, qui était épuisée de fatigue et de chagrin, tomba au pied d’un de ces beaux arbres et recommença à sangloter.

« Courage, Blondine, espère ! » lui cria encore une voix.

Elle ne vit qu’une Grenouille qui était près d’elle et qui la regardait avec compassion.

« Pauvre Grenouille, dit Blondine, tu as l’air d’avoir pitié de ma douleur. Que deviendrais-je, mon Dieu ! à présent que me voilà seule au monde ?

– Courage et espérance ! » reprit la voix. Blondine soupira ; elle regarda autour d’elle, tâcha de découvrir quelque fruit pour étancher sa soif et apaiser sa faim.

Elle ne vit rien et recommença de verser des larmes.

Un bruit de grelots la tira de ses douloureuses pensées ; elle aperçut une belle vache qui approchait doucement, et puis, étant arrivée près d’elle, s’arrêta, s’inclina et lui fit voir une écuelle pendue à son cou. Blondine, reconnaissante de ce secours inattendu, détacha l’écuelle, se mit à traire la vache, et
but avec délices deux écuelles de son lait. La vache lui fit signe de remettre l’écuelle à son cou, ce que fit Blondine ; elle baisa la vache sur le cou et lui dit tristement :

« Merci, Blanchette ; c’est sans doute à mes pauvres amis que je dois ce secours charitable ; peut-être voient-ils d’un autre monde le repentir de leur pauvre Blondine, et veulent-ils adoucir son affreuse position.

– Le repentir fait bien pardonner des fautes, reprit la voix.

– Ah ! dit Blondine, quand je devrais passer des années à pleurer ma faute, je ne me la pardonnerais pas encore ; je ne me la pardonnerai jamais. »

Cependant la nuit approchait. Malgré son chagrin, Blondine songea à ce qu’elle ferait pour éviter les bêtes féroces dont elle croyait déjà entendre les rugissements. Elle vit à quelques pas d’elle une espèce de cabane formée par plusieurs arbustes dont les branches étaient entrelacées ; elle y entra en se baissant un peu, et elle vit qu’en relevant et rattachant quelques branches elle s’y ferait une petite maisonnette très gentille ; elle employa ce qui restait de jour à arranger son petit réduit : elle y porta
une quantité de mousse dont elle se fit un matelas et un oreiller ; elle cassa quelques branches qu’elle piqua en terre pour cacher l’entrée de sa cabane, et elle se coucha brisée de fatigue.

Elle s’éveilla au grand jour. Dans le premier moment elle eut peine à rassembler ses idées, à se rendre compte de sa position ; mais la triste vérité lui apparut promptement, et elle recommença les pleurs et les gémissements de la veille.

La faim se fit pourtant sentir. Blondine commença à s’inquiéter de sa nourriture, quand elle entendit les grelots de la vache. Quelques instants après, Blanchette était près d’elle. Comme la veille, Blondine détacha l’écuelle, tira du lait et en but tant qu’elle en voulut. Elle remit l’écuelle, baisa Blanchette et la vit partir avec l’espérance de la voir revenir dans la journée.

En effet, chaque jour, le matin, à midi et au soir, Blanchette venait présenter à Blondine son frugal repas.

Blondine passait son temps à pleurer ses pauvres amis, à se reprocher amèrement ses fautes.

« Par ma désobéissance, se disait-elle, j’ai causé de cruels malheurs qu’il n’est pas en mon pouvoir de réparer ; non seulement j’ai perdu mes bons et chers amis, mais je me suis privée du seul moyen de retrouver mon père, mon pauvre père qui attend peut-être sa Blondine, sa malheureuse Blondine,
condamnée à vivre et à mourir seule dans cette affreuse forêt où règne mon mauvais génie ! »

Blondine cherchait à se distraire et à s’occuper par tous les moyens possibles ; elle avait arrangé sa cabane, s’était fait un lit de mousse et de feuilles ; elle avait relié ensemble des branches dont elle avait formé un siège ; elle avait utilisé quelques épines longues et fines pour en faire des épingles et des aiguilles ; elle s’était fabriqué une espèce de fil avec des brins de chanvre qu’elle avait cueillis près de sa cabane, et elle avait ainsi réussi à raccommoder les lambeaux de sa chaussure, que les ronces avaient mise en pièces. Elle vécut de la sorte pendant six semaines. Son chagrin était toujours le même, et il faut dire à sa louange que ce n’était pas sa vie triste et solitaire qui entretenait
cette douleur, mais le regret sincère de sa faute : elle eût volontiers consenti à passer toute sa vie dans cette forêt, si par là elle avait pu racheter la vie de Bonne-Biche et de Beau-Minon.

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