lundi 13 août 2018

La petite souris grise I. La maisonnette


I. La maisonnette.

Il y avait un homme veuf qui s’appelait Prudent et qui vivait avec sa fille. Sa femme était morte peu de jours après la naissance de cette fille, qui s’appelait Rosalie.

Le père de Rosalie avait de la fortune ; il vivait dans une grande maison qui était à lui : la maison était entourée d’un vaste jardin où Rosalie allait se promener tant qu’elle voulait.

Elle était élevée avec tendresse et douceur, mais son père l’avait habituée à une obéissance sans réplique. Il lui défendait d’adresser des questions inutiles et d’insister pour savoir ce qu’il ne voulait pas lui dire. Il était parvenu, à force de soin et de surveillance, à presque déraciner en elle un défaut malheureusement trop commun, la curiosité.

Rosalie ne sortait jamais du parc, qui était entouré de murs élevés. Jamais elle ne voyait personne que son père ; il n’y avait aucun domestique dans la maison ; tout semblait s’y faire de soi-même ; Rosalie avait toujours ce qu’il lui fallait, soit en vêtements, soit en livres, soit en ouvrages ou en joujoux. Son père l’élevait lui-même, et Rosalie, quoiqu’elle eût près de quinze ans, ne s’ennuyait pas et ne songeait pas qu’elle pouvait vivre autrement et entourée de monde.

Il y avait au fond du parc une maisonnette sans fenêtres et qui n’avait qu’une seule porte, toujours fermée. Le père de Rosalie y entrait tous les jours, et en portait toujours sur lui la clef ; Rosalie croyait que c’était une cabane pour enfermer les outils du jardin ; elle n’avait jamais songé à en parler. Un jour qu’elle cherchait un arrosoir pour ses fleurs, elle dit à son père :

« Mon père, donnez-moi, je vous prie, la clef de la maisonnette du jardin.

– Que veux-tu faire de cette clef, Rosalie ?

– J’ai besoin d’un arrosoir ; je pense que j’en trouverai un dans cette maisonnette.

– Non, Rosalie, il n’y a pas d’arrosoir là-dedans. » La voix de Prudent était si altérée en prononçant ces mots, que Rosalie le regarda et vit avec surprise qu’il était pâle et que la sueur inondait son front. « Qu’avez-vous, mon père ? dit Rosalie effrayée.

– Rien, ma fille, rien.

– C’est la demande de cette clef qui vous a bouleversé, mon père ; qu’y a-t-il donc dans cette maison qui vous cause une telle frayeur ?

– Rosalie, tu ne sais ce que tu dis ; va chercher ton arrosoir dans la serre.

– Mais, mon père, qu’y a-t-il dans cette maisonnette ?

– Rien qui puisse t’intéresser, Rosalie.

– Mais pourquoi y allez-vous tous les jours sans jamais me permettre de vous accompagner ?

– Rosalie, tu sais que je n’aime pas les questions, et que la curiosité est un vilain défaut. »

Rosalie ne dit plus rien, mais elle resta pensive. Cette maisonnette, à laquelle elle n’avait jamais songé, lui trottait dans la tête.

« Que peut-il y avoir là-dedans ? se disait-elle. Comme mon père a pâli quand j’ai demandé d’y entrer !… Il pensait donc que je courais quelque danger en y allant !… Mais pourquoi luimême y va-t-il tous les jours ?… C’est sans doute pour porter à manger à la bête féroce qui s’y trouve enfermée… Mais s’il y avait une bête féroce, je l’entendrais rugir ou s’agiter dans sa prison ; jamais on n’entend aucun bruit dans cette cabane ; ce n’est donc pas une bête ! D’ailleurs elle dévorerait mon père quand il y va… à moins qu’elle ne soit attachée… Mais si elle est attachée, il n’y a pas de danger pour moi non plus. Qu’est-ce que cela peut être ?… Un prisonnier !… Mais mon père est bon ; il ne voudrait pas priver d’air et de liberté un malheureux innocent !… Il faudra absolument que je découvre ce mystère… Comment faire ?… Si je pouvais soustraire à mon père cette clef, seulement pour une demi-heure ! Peut-être l’oubliera-t-il un jour… »

Elle fut tirée de ses réflexions par son père, qui l’appelait d’une voix altérée.

« Me voici, mon père ; je rentre. »

Elle rentra en effet et examina son père, dont le visage pâle et défait indiquait une vive agitation. Plus intriguée encore, elle résolut de feindre la gaieté et l’insouciance pour donner de la sécurité à son père, et arriver ainsi à s’emparer de la clef, à laquelle il ne penserait peut-être pas toujours si Rosalie avait l’air de n’y plus songer elle-même.

Ils se mirent à table ; Prudent mangea peu, et fut silencieux et triste, malgré ses efforts pour paraître gai. Rosalie montra une telle gaieté, une telle insouciance, que son père finit par retrouver sa tranquillité accoutumée.

Rosalie devait avoir quinze ans dans trois semaines ; son père lui avait promis pour sa fête une agréable surprise. Quelques jours se passèrent ; il n’y en avait plus que quinze à attendre.

Un matin Prudent dit à Rosalie :

« Ma chère enfant, je suis obligé de m’absenter pour une heure. C’est pour tes quinze ans que je dois sortir. Attends-moi dans la maison, et, crois-moi, ma Rosalie, ne te laisse pas aller à la curiosité. Dans quinze jours tu sauras ce que tu désires tant savoir, car je lis dans ta pensée ; je sais ce qui t’occupe. Adieu, ma fille, garde-toi de la curiosité. »

Prudent embrassa tendrement sa fille et s’éloigna comme s’il avait de la répugnance à la quitter.

Quand il fut parti, Rosalie courut à la chambre de son père, et quelle fut sa joie en voyant la clef oubliée sur la table !

Elle la saisit et courut bien vite au bout du parc ; arrivée à la maisonnette, elle se souvint des paroles de son père : Garde-toi de la curiosité ; elle hésita et fut sur le point de reporter la clef sans avoir regardé dans la maisonnette, lorsqu’elle entendit sortir un léger gémissement ; elle colla son oreille contre la porte et entendit une toute petite voix qui chantait doucement :

Je suis prisonnière, Et seule sur la terre. Bientôt je dois mourir, D’ici jamais sortir.

« Plus de doute, se dit-elle ; c’est une malheureuse créature que mon père tient enfermée. »

Et frappant doucement à la porte, elle dit :

« Qui êtes-vous et que puis-je faire pour vous ?

– Ouvrez-moi, Rosalie ; de grâce, ouvrez-moi.

– Mais pourquoi êtes-vous prisonnière ? N’avez-vous pas commis quelque crime ?

– Hélas ! non, Rosalie ; c’est un enchanteur qui me retient ici. Sauvez-moi, et je vous témoignerai ma reconnaissance en vous racontant ce que je suis. »

Rosalie n’hésita plus, sa curiosité l’emporta sur son obéissance ; elle mit la clef dans la serrure, mais sa main tremblait et elle ne pouvait ouvrir ; elle allait y renoncer, lorsque la petite voix continua :

« Rosalie, ce que j’ai à vous dire vous instruira de bien des choses qui vous intéressent ; votre père n’est pas ce qu’il paraît être. »

À ces mots, Rosalie fit un dernier effort ; la clef tourna et la porte s’ouvrit.

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