mercredi 22 août 2018

II. Naissance et enfance d’Ourson.



Trois mois après l’apparition du crapaud et la sinistre prédiction de la fée Rageuse, Agnella mit au jour un garçon, qu’elle nomma Ourson, selon les ordres de la fée Drôlette. Ni elle ni Passerose ne purent voir s’il était beau ou laid, car il était si velu, si couvert de longs poils bruns qu’on ne lui voyait que les yeux et la bouche ; encore ne les voyait-on que lorsqu’il les ouvrait. Si Agnella n’avait été sa mère, et si Passerose n’avait aimé Agnella comme une sœur, le pauvre Ourson serait mort faute de soins, car il était si affreux que personne n’eût osé le toucher ; on l’aurait pris pour un petit ours et on l’aurait tué à coups de fourche. Mais Agnella était sa mère, et son premier mouvement fut de l’embrasser en pleurant.

« Pauvre Ourson, dit-elle, qui pourra t’aimer assez pour te délivrer de ces affreux poils ? Ah ! que ne puis-je faire l’échange que permet la fée à celui ou à celle qui t’aimera ? Personne ne pourra t’aimer plus que je ne t’aime ! »

Ourson ne répondit rien, car il dormait. Passerose pleurait aussi pour tenir compagnie à Agnella, mais elle n’avait pas coutume de s’affliger longtemps ; elle s’essuya les yeux et dit à Agnella :

« Chère reine, je suis si certaine que votre fils ne gardera pas longtemps sa vilaine peau d’ours, que je vais l’appeler dès aujourd’hui le prince Merveilleux.

– Garde-t’en bien, ma fille, répliqua vivement la reine, tu sais que les fées aiment à être obéies. »

Passerose prit l’enfant, l’enveloppa avec les langes qui avaient été préparés, et se baissa pour l’embrasser ; elle se piqua les lèvres aux poils d’Ourson et se redressa précipitamment.

« Ça ne sera pas moi qui t’embrasserai souvent, mon garçon, murmura-t-elle à mi-voix. Tu piques comme un vrai hérisson ! »

Ce fut pourtant Passerose qui fut chargée par Agnella d’avoir soin du petit Ourson. Il n’avait de l’ours que la peau : c’était l’enfant le plus doux, le plus sage, le plus affectueux qu’on pût voir. Aussi Passerose ne tarda-t-elle pas à l’aimer tendrement.

À mesure qu’Ourson grandissait, on lui permettait de s’éloigner de la ferme ; il ne courait aucun danger car on le connaissait dans le pays ; les enfants se sauvaient à son approche ; les femmes le repoussaient ; les hommes l’évitaient ; on le considérait comme un être maudit.

Quelquefois, quand Agnella allait au marché, elle le posait sur son âne et l’emmenait avec elle. Ces jours-là, elle vendait plus difficilement ses légumes et ses fromages ; les mères fuyaient, de crainte qu’Ourson ne les approchât de trop près. Agnella pleurait souvent et invoquait vainement la fée Drôlette ; à chaque alouette qui voltigeait près d’elle, l’espoir renaissait dans son cœur ; mais ces alouettes étaient de vraies alouettes, des alouettes à mettre en pâté et non des alouettes fées.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire