vendredi 3 août 2018

V. La chasse.



Il n’était plus qu’à une demi-heure de marche du sommet de la montagne, lorsqu’il se vit arrêté par un précipice si large qu’il était impossible de sauter de l’autre côté, et si profond qu’il n’en voyait pas le fond.

Henri ne perdit pas courage ; il suivit le bord du précipice jusqu’à ce qu’il fût revenu à l’endroit d’où il était parti ; il vit alors que le précipice tournait autour de la montagne.

« Que faire ? dit le pauvre Henri ; à peine ai-je franchi un obstacle, qu’il s’en élève un autre. Comment passer ce précipice ? »

Et le pauvre enfant sentit, pour la première fois, ses yeux pleins de larmes ; il chercha le moyen de passer ce précipice ; il n’en trouva pas et il s’assit tristement au bord. Tout à coup il entendit un effroyable rugissement ; en se retournant, il vit, à dix pas de lui, un Loup énorme qui le regardait avec des yeux flamboyants.

« Que viens-tu chercher dans mes domaines ? dit le Loup d’une voix formidable.

– Monseigneur le Loup, je viens chercher la plante de vie pour ma pauvre maman qui se meurt. Si vous pouvez me faire passer ce précipice, je serai votre serviteur dévoué pour tout ce que vous me commanderez.

– Eh bien, mon garçon, si tu peux attraper tout le gibier qui est dans mes forêts, oiseaux et quadrupèdes, et me les mettre en rôtis et en pâtés, foi de génie de la montagne, je te ferai passer de l’autre côté du précipice. Tu trouveras près de cet arbre tout
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ce qu’il te faut pour ta chasse et ta cuisine. Quand tu auras fini, tu m’appelleras. »

En disant ces mots, il disparut. Henri reprit courage ; il ramassa un arc et des flèches qu’il vit à terre et se mit à tirer sur les perdrix, les bécasses, les gélinottes, les coqs de bruyère qui passaient ; mais il ne savait pas tirer et il ne tuait rien. Il y avait huit jours qu’il tirait en vain, et il commençait à s’ennuyer, lorsqu’il vit près de lui le Corbeau qu’il avait sauvé en commençant son voyage. « Tu m’as sauvé la vie, croassa le Corbeau, et je t’ai dit que je te le revaudrai ; je viens tenir ma promesse, car, si tu n’accomplis pas les ordres du Loup, il te croquera en guise de gibier. Suis-moi : je vais faire la chasse ; tu n’auras qu’à ramasser le gibier et à le faire cuire. »

En disant ces mots, il vola au-dessus des arbres de la forêt et se mit à tuer à coups de bec et de griffes tout le gibier qui peuplait cette forêt ; il tua ainsi, pendant cent cinquante jours, un million huit cent soixante mille sept cent vingt-six pièces : chevreuils, perdrix, bécasses, gélinottes, coqs de bruyère et cailles.

À mesure que le Corbeau les tuait, Henri les dépeçait, les plumait ou les écorchait, et les faisait cuire soit en pâtés, soit en rôtis. Quand tout fut cuit, il rangea tout, proprement, le long de la forêt ; alors le Corbeau lui dit :

« Adieu, Henri, il te reste encore un obstacle à franchir, mais je ne puis t’y aider ; ne perds pas courage ; les fées protègent l’amour filial ! »

Avant que Henri eût le temps de remercier le Corbeau, il avait disparu. Il appela alors le Loup et lui dit :

« Voici, Monseigneur, tout le gibier de vos forêts ; je l’ai cuit comme vous me l’avez ordonné. Veuillez me faire passer le précipice. »

Le Loup examina le gibier, croqua un chevreuil rôti et un pâté, se lécha les lèvres, et dit à Henri :

« Tu es un bon et brave garçon ; je vais te payer de ta peine ; il ne sera pas dit que tu aies travaillé pour le Loup de la montagne sans qu’il t’ait payé ton travail. »

En disant ces mots, il donna à Henri un bâton qu’il alla chercher dans la forêt et lui dit :

« Quand tu auras cueilli la plante de vie et que tu voudras te transporter quelque part, monte à cheval sur ce bâton. »

Henri fut sur le point de rejeter dans la forêt ce bâton inutile, mais il pensa que ce ne serait pas poli, il le prit en remerciant le Loup.

« Monte sur mon dos, Henri », dit le Loup.

Henri sauta sur le dos du Loup ; aussitôt le Loup fit un bond si prodigieux qu’il se trouva de l’autre côté du précipice. Henri descendit, remercia le Loup et continua sa marche.

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