mercredi 15 août 2018

III. Le prince Gracieux


III. Le prince Gracieux.

Pendant que Rosalie dormait, le prince Gracieux faisait une chasse aux flambeaux dans la forêt ; le cerf, vivement poursuivi par les chiens, vint se blottir effaré près du buisson où dormait Rosalie. La meute et les chasseurs s’élancèrent après le cerf ; mais tout d’un coup les chiens cessèrent d’aboyer et se groupèrent silencieux autour de Rosalie. Le prince descendit de cheval pour remettre les chiens en chasse. Quelle ne fut pas sa surprise en apercevant une belle jeune fille qui dormait paisiblement dans cette forêt ! Il regarda autour d’elle et ne vit personne ; elle était seule, abandonnée. En l’examinant de plus près, il vit la trace de larmes qu’elle avait répandues et qui s’échappaient encore de ses yeux fermés. Rosalie était vêtue simplement, mais d’une étoffe de soie qui dénotait plus que de l’aisance ; ses jolies mains blanches, ses ongles roses, ses beaux cheveux châtains, soigneusement relevés par un peigne d’or, sa chaussure élégante, un collier de perles fines, indiquaient un rang élevé.

Elle ne s’éveillait pas, malgré le piétinement des chevaux, les aboiements des chiens, le tumulte d’une nombreuse réunion d’hommes. Le prince, stupéfait, ne se lassait pas de regarder Rosalie ; aucune des personnes de la cour ne la connaissait. Inquiet de ce sommeil obstiné, Gracieux lui prit doucement la main : Rosalie dormait toujours ; le prince secoua légèrement cette main, mais sans pouvoir l’éveiller.

« Je ne puis, dit-il à ses officiers, abandonner ainsi cette malheureuse enfant, qui aura peut-être été égarée à dessein, victime de quelque odieuse méchanceté. Mais comment l’emporter endormie ?

– Prince, lui dit son grand veneur Hubert, ne pourrions-nous faire un brancard de branchages et la porter ainsi dans quelque hôtellerie voisine, pendant que Votre Altesse continuera la chasse ?

– Votre idée est bonne, Hubert ; faites faire un brancard sur lequel nous la déposerons ; mais ce n’est pas à une hôtellerie que vous la porterez, c’est dans mon propre palais. Cette jeune personne doit être de haute naissance, elle est belle comme un ange ; je veux veiller moi-même à ce qu’elle reçoive les soins auxquels elle a droit. »

Hubert et les officiers eurent bientôt arrangé un brancard sur lequel le prince étendit son propre manteau ; puis, s’approchant de Rosalie toujours endormie, il l’enleva doucement dans ses bras et la posa sur le manteau. À ce moment, Rosalie sembla rêver ; elle sourit, et murmura à mivoix : « Mon père, mon père !… sauvé, à jamais !… la reine des fées… le prince Gracieux… je le vois… qu’il est beau ! »

Le prince, surpris d’entendre prononcer son nom, ne douta plus que Rosalie ne fût une princesse sous le joug de quelque enchantement. Il fit marcher bien doucement les porteurs du brancard, afin que le mouvement n’éveillât pas Rosalie ; il se tint tout le temps à ses côtés.

On arriva au palais de Gracieux ; il donna des ordres pour qu’on préparât l’appartement de la reine, et, ne voulant pas souffrir que personne touchât à Rosalie, il la porta lui-même jusqu’à sa chambre, où il la déposa sur un lit, en recommandant aux femmes qui devaient la servir de le prévenir aussitôt qu’elle serait réveillée.

Rosalie dormit jusqu’au lendemain ; il faisait grand jour quand elle s’éveilla ; elle regarda autour d’elle avec surprise : la méchante Souris n’était pas près d’elle ; elle avait disparu.

« Serais-je délivrée de cette méchante fée Détestable ? dit Rosalie avec joie ; suis-je chez quelque fée plus puissante qu’elle ? »

Elle alla à la fenêtre ; elle vit des hommes d’armes, des officiers parés de brillants uniformes. De plus en plus surprise, elle allait appeler un de ces hommes qu’elle croyait être autant de génies et d’enchanteurs, lorsqu’elle entendit marcher ; elle se retourna et vit le prince Gracieux, qui, revêtu d’un élégant et riche costume de chasse, était devant elle, la regardant avec admiration. Rosalie reconnut immédiatement le prince de son rêve, et s’écria involontairement :

« Le prince Gracieux !

– Vous me connaissez, Madame ? dit le prince étonné. Comment, si vous m’avez reconnu, ai-je pu, moi, oublier votre nom et vos traits ?

– Je ne vous ai vu qu’en rêve, prince, répondit Rosalie en rougissant ; quant à mon nom, vous ne pouvez le connaître, puisque moi-même je ne connais que depuis hier celui de mon père.

– Et quel est-il, Madame, ce nom qui vous a été caché si longtemps ? »

Rosalie lui raconta alors tout ce qu’elle avait appris de son père ; elle lui avoua naïvement sa coupable curiosité et les fatales conséquences qui s’en étaient suivies.

« Jugez de ma douleur, prince, quand je dus quitter mon père pour me soustraire aux flammes que la méchante fée avait allumées, quand, repoussée de partout à cause de la Souris grise, je me trouvai exposée à mourir de froid et de faim ! Mais, bientôt, un sommeil lourd et plein de rêves s’empara de moi ; j’ignore comment je suis ici et si c’est chez vous que je me trouve. »

Gracieux lui raconta comment il l’avait trouvée endormie dans la forêt, les paroles de son rêve qu’il avait entendus, et il ajouta :

« Ce que votre père ne vous a pas dit, Rosalie, c’est que la reine des fées, notre parente, avait décidé que vous seriez ma femme lorsque vous auriez quinze ans ; c’est elle sans doute qui m’a inspiré le désir d’aller chasser aux flambeaux, afin que je pusse vous trouver dans cette forêt où vous étiez perdue. Puisque vous aurez quinze ans dans peu de jours, Rosalie, daignez considérer mon palais comme le vôtre ; veuillez d’avance y commander en reine. Bientôt votre père vous sera rendu, et nous pourrons aller faire célébrer notre mariage. »

Rosalie remercia vivement son jeune et beau cousin ; elle passa dans sa chambre de toilette, où elle trouva des femmes qui l’attendaient avec un grand choix de robes et de coiffures. Rosalie, qui ne s’était jamais occupée de sa toilette, mit la première robe qu’on lui présenta, qui était en gaze rose garnie de dentelles, et une coiffure en dentelles avec des roses moussues ; ses beaux cheveux châtains furent relevés en tresse formant une couronne. Quand elle fut prête, le prince vint la chercher pour la mener déjeuner.

Rosalie mangea comme une personne qui n’a pas dîné la veille ; après le repas, le prince la mena dans le jardin ; il lui fit voir les serres, qui étaient magnifiques ; au bout d’une des serres, il y avait une petite rotonde garnie de fleurs choisies ; au milieu était une caisse qui semblait contenir un arbre, mais une toile cousue l’enveloppait entièrement ; on voyait seulement, à travers la toile, quelques points briller d’un éclat extraordinaire.

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