L'ANACOLUTHE
1. Définition
L'Anacoluthe est une figure de construction (ou de rupture) qui consiste en une rupture syntaxique au sein d'une phrase. L'énoncé commence d'une certaine façon, suggérant une suite logique, mais la construction est brusquement modifiée, laissant la première partie en suspens ou sans lien grammatical avec la suite.
Elle crée un effet de surprise ou d'oralité, car elle mime le désordre de la pensée.
2. Histoire du procédé
Bien qu'elle soit courante dans le langage spontané, l'utilisation délibérée de l'Anacoluthe est un marqueur de style :
Antiquité : Dans la rhétorique classique (grecque et latine), l'Anacoluthe était considérée comme une faute de grammaire (barbarisme ou solécisme). Cependant, elle était parfois tolérée (ou même recherchée) pour simuler l'émotion, l'hésitation ou l'emportement dans les discours.
Théâtre Classique : Des dramaturges comme Racine ou Corneille l'utilisent pour exprimer la violence d'une passion, la surprise ou le trouble du personnage, montrant une pensée qui déraille sous l'effet de l'émotion.
Littérature Moderne (XXe siècle) : Elle est pleinement réhabilitée. Des auteurs (comme Céline) l'emploient pour reproduire le flux de la conscience ou l'oralité, le rythme parlé, souvent chargé de vulgarité ou d'authenticité brute.
3. Figures proches et Nuances
L'Anacoluthe est souvent mise en parallèle avec d'autres figures qui jouent sur la syntaxe :
| Figure de Style | Différence avec l'Anacoluthe |
| L'Ellipse | Omission de mots dont le sens est facilement rétabli par le contexte. L'Anacoluthe est une rupture qui crée une incohérence grammaticale. |
| L'Aposiopèse | Suspension brusque de la phrase (marquée par des points de suspension). L'Anacoluthe continue la phrase, mais avec une nouvelle structure non raccordée à la précédente. |
| Le Zeugma (ou Zeugme) | Rapprochement incongru (souvent humoristique) d'un terme concret et d'un terme abstrait sous un même verbe. L'Anacoluthe est une rupture de la fonction grammaticale des mots. |
4. Fonctions et effets
Exprimer l'Émotion : Sa fonction principale est de traduire le trouble, la passion, l'hésitation, l'effroi, ou l'emportement d'un locuteur.
Mimer l'Oralité : Elle donne un ton spontané, non littéraire, proche de la conversation de tous les jours.
Mettre en Relief : L'élément placé en tête de phrase avant la rupture est mis en évidence, forçant le lecteur à y prêter une attention particulière.
Effet Comique/Ironique : Lorsqu'elle est utilisée avec maladresse par un personnage, elle peut souligner sa confusion ou son ridicule.
5. Stylistique
L'Anacoluthe se produit souvent lorsque :
Le sujet grammatical change en cours de phrase sans que la structure soit ajustée.
Un complément (souvent un participe ou un gérondif) se rapporte à un terme qui n'est pas le sujet du verbe principal.
6. Exemples célèbres
a. Théâtre classique
« Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher. »
(Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, "L'Albatros")
Rupture : Le participe "Exilé" se rapporte logiquement à "L'Albatros", mais est suivi d'une phrase dont le sujet est "Ses ailes".
b. Prose et roman (récits)
« Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé. »
(Blaise Pascal, Pensées)
Rupture : La première partie place le "nez" en sujet de la condition, mais c'est la "face de la terre" qui est le sujet de la conséquence. Une construction correcte aurait été : "Si le nez de Cléopâtre..."
c. Langage courant
L'Anacoluthe est très courante dans la langue parlée :
« Moi, je trouve que ça va très bien. » (Le pronom Moi est mis en avant, puis la phrase redémarre avec je.)
.jpg)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire