vendredi 31 août 2018

XI. Le sacrifice.



Ourson marcha vers sa demeure, découragé, triste, abattu. Il allait lentement ; il arriva tard à la ferme. Violette courut audevant de lui, lui prit la main, et, sans dire un mot, l’amena devant sa mère. Là, elle se mit à genoux et dit :

« Ma mère, je sais ce que notre bien-aimé Ourson a souffert aujourd’hui. En son absence, la fée Rageuse m’a tout conté, la fée Drôlette m’a tout confirmé… Ma mère, quand vous avez cru Ourson perdu à jamais pour vous, pour moi, vous m’avez révélé ce que, dans sa bonté, il voulait me cacher. Je sais que je puis, en prenant son enveloppe, lui rendre la beauté qu’il devait avoir. Heureuse, cent fois heureuse de pouvoir reconnaître ainsi la tendresse, le dévouement de ce frère bien-aimé, je demande à faire l’échange permis par la bonne fée Drôlette, et je la supplie de l’opérer immédiatement.

– Violette ! Violette ! s’écria Ourson terrifié. Violette, reprends tes paroles ; tu ne sais pas à quoi tu t’engages, tu ignores la vie d’angoisses et de misère, la vie de solitude et d’isolement à laquelle tu te condamnes, la désolation incessante qu’on éprouve de se voir en horreur à tout le genre humain ! Ah ! Violette, Violette, de grâce, retire tes paroles.

– Cher Ourson, dit Violette avec calme mais avec résolution, en faisant ce que tu crois être un grand sacrifice, j’accomplis le vœu le plus cher à mon cœur, je travaille à mon propre bonheur. Je satisfais à un besoin ardent, impérieux, de te témoigner ma tendresse, ma reconnaissance. Je m’estime en faisant ce que je fais, je me mépriserais en ne le faisant pas.

– Arrête, Violette, un instant encore ; réfléchis, songe à ma douleur quand je ne verrai plus ma belle, ma charmante Violette, quand je craindrai pour toi les railleries, l’horreur des hommes. Oh ! Violette, ne condamne pas ton pauvre Ourson à cette angoisse. »

Le charmant visage de Violette s’attrista ; la crainte de l’antipathie d’Ourson la fit tressaillir ; mais ce sentiment tout personnel fut passager ; il ne put l’emporter sur sa tendresse si dévouée.

Pour toute réponse, elle se jeta dans les bras d’Agnella et dit :

« Mère, embrassez une dernière fois votre Violette blanche et jolie. »

Pendant qu’Agnella, Ourson et Passerose l’embrassaient et la contemplaient avec amour ; pendant qu’Ourson, à genoux, la suppliait de lui laisser sa peau d’ours à laquelle il était habitué depuis vingt ans qu’il en était revêtu, Violette appela encore à haute voix : « Fée Drôlette ! fée Drôlette ! venez recevoir le prix de la santé et de la vie de mon cher Ourson. »

Au même instant apparut la fée Drôlette dans toute sa gloire, sur un char d’or massif traîné par cent cinquante alouettes. Elle était vêtue d’une robe en ailes de papillons des couleurs les plus brillantes ; sur ses épaules tombait un manteau en réseau de diamants, qui traînait à dix pieds derrière elle, et d’un travail si fin qu’il était léger comme la gaze. Ses cheveux, luisants comme des soies d’or, étaient surmontés d’une couronne en escarboucles brillantes comme des soleils. Chacune de ses pantoufles était taillée dans un seul rubis. Son joli visage, doux et gai, respirait le contentement ; elle arrêta sur Violette un regard affectueux :

« Tu le veux donc, ma fille ? dit-elle.

– Madame, s’écria Ourson en tombant à ses pieds, daignez m’écouter. Vous qui m’avez comblé de vos bienfaits, vous qui m’inspirez une si tendre reconnaissance, vous, bonne et juste, exécuterez-vous le vœu insensé de ma chère Violette ? voudrez-vous faire le malheur de ma vie en me forçant d’accepter un pareil sacrifice ? Non, non, fée charmante, fée chérie, vous ne voudrez pas le faire, vous ne le ferez pas. »

Tandis qu’Ourson parlait ainsi, la fée donna un léger coup de sa baguette de perles sur Violette, un second coup sur Ourson et dit :

« Qu’il soit fait selon le vœu de ton cœur, ma fille !… Qu’il soit fait contre tes désirs, mon fils ! »

Au même instant, la figure, les bras, tout le corps de Violette se couvrirent des longs poils soyeux qui avaient quitté Ourson ; et Ourson apparut avec une peau blanche et unie qui faisait ressortir son extrême beauté. Violette le regardait avec admiration, pendant que lui, les yeux baissés et pleins de larmes, n’osait envisager sa pauvre Violette, si horriblement métamorphosée ; enfin il la regarda, se jeta dans ses bras, et tous deux pleurèrent. Ourson était merveilleusement beau ; Violette était ce qu’avait été Ourson, sans forme, sans beauté comme sans laideur. Quand Violette releva la tête et regarda Agnella, celle-ci lui tendit les mains.

« Merci, ma fille, ma noble et généreuse enfant ! dit Agnella.

– Mère, dit Violette à voix basse, m’aimerez-vous encore ?

– Si je t’aimerai, ma fille chérie ! cent fois, mille fois plus qu’auparavant !

– Violette, dit Ourson, ne crains pas d’être laide à nos yeux. Pour moi, tu es plus belle cent fois que lorsque tu avais toute ta beauté ; pour moi, tu es une sœur, une amie incomparable, tu seras toujours la compagne de ma vie, l’idéal de mon cœur.

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