lundi 27 août 2018
VII. Le Sanglier.
Il y avait deux ans que ces événements s’étaient passés. Un jour, Ourson avait été couper du bois dans la forêt ; Violette devait lui porter son dîner et revenir le soir avec lui.
À midi, Passerose mit au bras de Violette un panier qui contenait du vin, du pain, un petit pot de beurre, du jambon et des cerises. Violette partit avec empressement ; la matinée lui avait paru bien longue et elle était impatiente de se retrouver avec son cher Ourson. Pour abréger la route, elle s’enfonça dans la forêt qui se composait de grands arbres sous lesquels on passait facilement. Il n’y avait ni ronces ni épines ; une mousse épaisse couvrait la terre. Violette marchait légèrement ; elle était contente d’avoir pris le chemin le plus court.
Arrivée à la moitié de sa course, elle entendit le bruit d’un pas lourd et précipité, mais encore trop éloigné pour qu’elle pût savoir ce que c’était. Après quelques secondes d’attente, elle vit un énorme Sanglier qui se dirigeait vers elle. Il semblait irrité, il labourait la terre de ses défenses, il écorchait les arbres sur son passage ; son souffle bruyant s’entendait aussi distinctement que sa marche pesante.
Violette ne savait si elle devait fuir ou se cacher. Pendant qu’elle hésitait, le Sanglier l’aperçut, s’arrêta. Ses yeux flamboyaient, ses défenses claquaient, ses poils se hérissaient. Il poussa un cri rugissant et s’élança sur Violette.
Par bonheur, près d’elle se trouvait un arbre vert dont les branches étaient à sa hauteur. Elle en saisit une des deux mains, sauta dessus et grimpa de branche en branche jusqu’à ce qu’elle fût à l’abri des attaques du Sanglier. À peine était-elle en sûreté que le Sanglier se précipita de tout son poids contre l’arbre qui servait de refuge à Violette. Furieux de ne pouvoir assouvir sa rage, il dépouilla le tronc de son écorce et lui donna de si vigoureux coups de boutoir que Violette eut peur ; l’ébranlement causé par ces secousses violentes et répétées pouvait la faire tomber. Elle se cramponna aux branches. Le Sanglier se lassa enfin de ses attaques inutiles et se coucha au pied de l’arbre, lançant de temps à autre des regards flamboyants sur Violette.
Plusieurs heures se passèrent ainsi : Violette, tremblante et immobile, le Sanglier tantôt calme, tantôt dans une rage effroyable, sautant sur l’arbre, le déchirant avec ses défenses.
Violette appelait à son secours son frère, son Ourson chéri. À chaque nouvelle attaque du Sanglier, elle renouvelait ses cris ; mais Ourson était bien loin, il n’entendait pas ; personne ne venait à son aide.
Le découragement la gagnait ; la faim se faisait sentir. Elle avait jeté le panier de provisions pour grimper à l’arbre ; le Sanglier l’avait piétiné et avait écrasé, broyé tout ce qu’il contenait.
Pendant que Violette était en proie à la terreur et qu’elle appelait vainement du secours, Ourson s’étonnait de ne voir arriver ni Violette ni son dîner.
« M’aurait-on oublié ?.. se dit-il. Non ; ni ma mère ni Violette ne peuvent m’avoir oublié… C’est moi qui me serait mal exprimé… Elles croient sans doute que je dois revenir dîner à la maison !… Elles m’attendent ! elles s’inquiètent peut-être !… »
À cette pensée, Ourson abandonna son travail et reprit précipitamment le chemin de la maison. Lui aussi, il voulut abréger la route en marchant à travers bois. Bientôt il crut entendre des cris plaintifs. Il s’arrêta… écouta… Son cœur battait violemment ; il avait cru reconnaître la voix de Violette… Mais non… plus rien… Il allait reprendre sa marche, lorsqu’un cri plus distinct, plus perçant, frappa son oreille ; plus de doute, c’était Violette, sa Violette qui était en péril, qui appelait Ourson. Il courut du côté d’où partait la voix. En approchant, il entendit non plus des cris, mais des gémissements, puis des grondements accompagnés de cris féroces et de coups violents.
Le pauvre Ourson courait, courait avec la vitesse du désespoir. Il aperçut enfin le Sanglier ébranlant de ses coups de boutoir l’arbre sur lequel était Violette, pâle, défaite, mais en sûreté. Cette vue-là lui donna des forces ; il invoqua la protection de la bonne fée Drôlette et courut sur le Sanglier sa hache à la main. Le Sanglier dans sa rage soufflait bruyamment ; il faisait claquer l’une contre l’autre des défenses formidables, et à son tour il s’élança sur Ourson. Celui-ci esquiva l’attaque en se jetant de côté. Le Sanglier passa outre, s’arrêta, se retourna plus furieux que jamais et revint sur Ourson qui avait repris haleine et qui, sa hache levée, attendait l’ennemi.
Le Sanglier fondit sur Ourson et reçut sur la tête un coup assez violent pour la fendre en deux ; mais telle était la dureté de ses os, qu’il n’eut même pas l’air de le sentir.
La violence de l’attaque renversa Ourson. Le Sanglier, voyant son ennemi à terre, ne lui donna pas le temps de se relever, et sautant sur lui, le laboura de ses défenses et chercha à le mettre en pièces.
Pendant qu’Ourson se croyait perdu et que, s’oubliant luimême, il demandait à la fée de sauver Violette ; pendant que le Sanglier triomphait et piétinait son ennemi, un chant ironique se fit entendre au-dessus des combattants. Le Sanglier frissonna, quitta brusquement Ourson, leva la tête et vit une Alouette qui voltigeait au-dessus d’eux : elle continuait son chant moqueur. Le Sanglier poussa un cri rauque, baissa la tête et s’éloigna à pas lents sans même se retourner.
Violette, à la vue du danger d’Ourson, s’était évanouie et était restée accrochée aux branches de l’arbre.
Ourson, qui se croyait déchiré en mille lambeaux, osait à peine essayer un mouvement ; mais, voyant qu’il ne sentait aucune douleur, il se releva promptement pour secourir Violette. Il remercia en son cœur la fée Drôlette, à laquelle il attribuait son salut ; au même instant, l’Alouette vola vers lui, lui becqueta doucement la joue et lui dit à l’oreille :
« Ourson, c’est la fée Rageuse qui a envoyé ce Sanglier ; je suis arrivée à temps pour te sauver. Profite de la reconnaissance de Violette ; change de peau avec elle ; elle y consentira avec joie.
– Jamais, répondit Ourson ; plutôt mourir et rester ours toute ma vie. Pauvre Violette ! je serais un lâche si j’abusais ainsi de sa tendresse pour moi.
– Au revoir, entêté ! dit l’Alouette en s’envolant et en chantant ; au revoir. Je reviendrai… et alors…
– Alors comme aujourd’hui », pensa Ourson. Et il monta à l’arbre, prit Violette dans ses bras, redescendit avec elle, la coucha sur la mousse et lui bassina le front avec un reste de vin qui se trouvait dans une bouteille brisée. Presque immédiatement Violette se ranima ; elle ne pouvait en croire ses yeux lorsqu’elle vit Ourson, vivant et sans blessure, agenouillé près d’elle et lui bassinant le front et les tempes. « Ourson, cher Ourson ! Encore une fois tu m’as sauvé la vie ! Dis-moi, ah ! dismoi ce que je puis faire pour te témoigner ma profonde reconnaissance.
– Ne parle pas de reconnaissance, ma Violette chérie ; n’estce pas toi qui me donnes le bonheur ? Tu vois donc qu’en te sauvant je sauve mon bien et ma vie.
– Ce que tu dis là est d’un tendre et aimable frère, cher Ourson ; mais je n’en désire pas moins être à même de te rendre un service réel, signalé, qui te prouve toute la tendresse et toute la reconnaissance dont mon cœur est rempli pour toi.
– Bon, bon, nous verrons cela, dit Ourson en riant. En attendant, songeons à vivre. Tu n’as rien mangé depuis ce matin, pauvre Violette, car je vois à terre les débris des provisions que tu apportais sans doute pour notre dîner. Il est tard, le jour baisse. Si nous pouvions revenir à la ferme avant la nuit ! »
Violette essaya de se lever ; mais la terreur, le manque prolongé de nourriture l’avaient tellement affaiblie qu’elle tomba à terre.
« Je ne puis me soutenir, Ourson ; je suis faible ; qu’allonsnous devenir ? »
Ourson était fort embarrassé ; il ne pouvait porter si loin Violette, déjà grande et sortie de l’enfance, ni la laisser seule, exposée aux attaques des bêtes féroces qui habitaient la forêt ; il ne pouvait pourtant la laisser sans nourriture jusqu’au lendemain.
Dans cette perplexité, il vit tomber un paquet à ses pieds ; il le ramassa, l’ouvrit et y trouva un pâté, un pain, un flacon de vin.
Il devina la fée Drôlette, et, le cœur plein de reconnaissance, il s’empressa de porter le flacon aux lèvres de Violette ; une seule gorgée de vin, qui n’avait pas son pareil, rendit à Violette une partie de ses forces ; et le pain acheva de la réconforter ainsi qu’Ourson qui fit honneur au repas. Tout en mangeant, ils s’entretenaient de leurs terreurs passées et de leur bonheur présent.
Cependant la nuit était venue ; ni Violette ni Ourson ne savaient de quel côté tourner leurs pas pour revenir à la ferme. Ils étaient au beau milieu du bois ; Violette était adossée à l’arbre qui lui avait servi de refuge contre le Sanglier ; elle n’osait le quitter, de crainte de ne pas retrouver dans l’obscurité une place aussi commode.
« Eh bien, chère Violette, ne t’alarme pas ; il fait beau, il fait chaud. Tu es mollement étendue sur une mousse épaisse ; passons la nuit où nous sommes ; je te couvrirai de mon habit et je me coucherai à tes pieds pour te préserver de tout danger et de toute terreur. Maman et Passerose ne s’inquiéteront pas. Elles ignorent les dangers que nous avons courus, et tu sais qu’il nous est arrivé bien des fois, par une belle soirée comme aujourd’hui, de rentrer après qu’elles étaient couchées. »
Violette consentit volontiers à passer la nuit dans la forêt, d’abord parce qu’ils ne pouvaient faire autrement, ensuite parce qu’elle n’avait jamais peur avec Ourson et qu’elle trouvait toujours bien ce qu’il avait décidé.
Ourson arrangea donc de son mieux le lit de mousse de Violette ; il se dépouilla de son habit et l’en couvrit malgré sa résistance ; ensuite, après avoir vu les yeux de Violette se fermer et le sommeil envahir tous ses sens, il s’étendit à ses pieds et ne tarda pas lui-même à s’endormir profondément.
Ourson était fatigué. Le lendemain, ce fut Violette qui s’éveilla la première. Il faisait jour ; elle sourit en voyant l’attitude menaçante d’Ourson qui, la hache serrée dans la main droite, semblait défier tous les sangliers de la forêt. Elle se leva sans bruit et se mit à la recherche du chemin à suivre pour regagner la ferme.
Pendant qu’elle rôdait aux environs de l’arbre qui l’avait abritée contre l’humidité de la nuit, Ourson se réveilla, et, ne voyant pas Violette, il fut debout en un instant ; il l’appela d’une voix étouffée par la frayeur.
« Me voici, me voici, cher frère, répondit-elle en accourant ; je cherchais le chemin de la ferme. Mais qu’as-tu donc ? tu trembles.
– Je te croyais enlevée par quelque méchante fée, chère Violette, et je me reprochais de m’être laissé aller au sommeil. Te voilà gaie et bien portante : je suis rassuré et heureux. Partons maintenant ; partons vite, afin d’arriver avant le réveil de notre mère et de Passerose. »
Ourson connaissait la forêt ; il retrouva promptement la direction de la ferme et ils y arrivèrent quelques minutes avant qu’Agnella et Passerose fussent éveillées. Ils étaient convenus de cacher à leur mère les dangers qu’ils avaient courus, afin de lui éviter les angoisses de l’inquiétude pour l’avenir. Passerose fut seule dans le secret de leurs aventures de la veille.
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