samedi 11 août 2018

IV. Seconde journée.



Une grosse servante apporta à Rosette du pain et du lait, et lui offrit ses services pour l’habiller. Rosette, qui ne se souciait pas que la grosse servante vit la métamorphose de sa toilette, la remercia et dit qu’elle avait l’habitude de s’habiller et de se coiffer seule.

Elle commença sa toilette ; quand elle se fut bien lavée, bien peignée, elle se coiffa et voulut mettre dans ses cheveux la superbe escarboucle de la veille ; mais elle vit avec surprise que le coffre d’ébène avait disparu. À sa place était la petite caisse de bois, avec un papier dessus ; elle le prit et lut :

« Vos effets sont chez vous, Rosette ; revêtez comme hier les vêtements que vous avez apportés de la ferme. »

Rosette n’hésita pas, certaine que sa marraine viendrait à son secours ; elle arrangea son aile de poule d’une manière différente de la veille, ainsi que l’attache en nèfles, mit sa robe, sa chaussure, son collier et ses bracelets ; ensuite elle alla se poser devant la glace ; quand elle s’y regarda, elle demeura éblouie ; elle avait le plus ravissant et le plus riche costume de cheval : la robe était une amazone en velours bleu de ciel, avec des boutons de perles grosses comme des noix ; le bas était bordé d’une torsade de perles grosses comme des noisettes ; elle était coiffée d’une petite toque en velours bleu de ciel, avec une plume d’une blancheur éblouissante, qui retombait jusqu’à sa taille et qui était rattachée par une perle d’une grosseur et d’une beauté inouïes. Les brodequins étaient également en velours bleu, brodés de perles et d’or. Les bracelets et le collier étaient en perles si belles, qu’une seule eût payé tout le palais du roi. Au moment où elle allait quitter sa chambre pour suivre le page qui frappait à la porte, une voix dit à son oreille :

« Rosette, ne montez pas d’autre cheval que celui que vous présentera le roi Charmant. »

Elle se retourna, ne vit personne, et ne douta pas que cet avis ne lui vînt de sa marraine.

« Merci, chère marraine », dit-elle à demi-voix.

Elle sentit un doux baiser sur sa joue, et sourit avec bonheur et reconnaissance.

Le page la mena, comme la veille, dans les salons, où elle produisit plus d’effet encore ; son air doux et bon, sa ravissante figure, sa tournure élégante, sa toilette magnifique, captivèrent tous les regards et tous les cœurs. Le roi Charmant, qui l’attendait, alla au-devant d’elle, lui offrit son bras et la mena jusque près du roi et de la reine, qui la reçurent avec plus de froideur encore que la veille. Orangine et Roussette crevaient de dépit à la vue de la nouvelle toilette de Rosette, elles ne voulurent même pas lui dire bonjour.

Rosette restait un peu embarrassée de cet accueil ; le roi Charmant, voyant son embarras, s’approcha d’elle et lui demanda la permission d’être son chevalier pendant la chasse dans la forêt.

« Ce sera un grand plaisir pour moi, sire, répondit Rosette, qui ne savait pas dissimuler.

– Il me semble, dit-il, que je suis votre frère, tant je me sens d’affection pour vous, charmante princesse : permettez-moi de ne pas vous quitter et de vous défendre envers et contre tous.

– Ce sera pour moi un honneur et un plaisir que d’être en compagnie d’un roi si digne du nom qu’il porte. »

Le roi Charmant fut ravi de cette réponse ; et, malgré le dépit d’Orangine et de Roussette et leurs tentatives pour l’attirer vers elles, il ne bougea plus d’auprès de Rosette.

Après le déjeuner, on descendit dans la cour d’honneur pour monter à cheval. Un page amena à Rosette un beau cheval noir, que deux écuyers contenaient avec peine, et qui semblait vicieux et méchant.

« Vous ne pouvez monter ce cheval, princesse, dit le roi Charmant, il vous tuerait. Amenez-en un autre, ajouta-t-il en se tournant vers le page.

– Le roi et la reine ont donné des ordres pour que la princesse ne montât pas d’autre cheval que celui-ci, répondit le page.

– Chère princesse, veuillez attendre un moment, je vais vous amener un cheval digne de vous porter ; mais, de grâce, ne montez pas celui-ci.

– Je vous attendrai, sire », dit Rosette avec un gracieux sourire.

Peu d’instants après, le roi Charmant reparut, menant luimême un magnifique cheval, blanc comme la neige ; sa selle était en velours bleu, brodée de perles ; sa bride était en or et en perles. Quand Rosette voulut monter dessus, le cheval s’agenouilla, et ne se releva que lorsque Rosette fut bien placée sur sa selle.

Le roi Charmant sauta lestement sur son beau cheval alezan, et vint se placer aux côtés de Rosette.

Le roi, la reine et les princesses, qui avaient tout vu, étaient pâles de colère, mais ils n’osèrent rien faire, de peur de la fée Puissante.

Le roi donna le signal du départ. Chaque dame avait son cavalier ; Orangine et Roussette durent se contenter de deux petits princes, qui n’étaient ni beaux ni aimables comme le roi Charmant ; elles furent si maussades, que ces princes jurèrent que jamais ils n’épouseraient des princesses si peu aimables.

Au lieu de suivre la chasse, le roi Charmant et Rosette restèrent dans les belles allées de la forêt ; ils causaient et se racontaient leur vie.

« Mais, dit Charmant, si le roi votre père s’est privé de votre présence, comment vous a-t-il donné ses plus beaux bijoux, des bijoux dignes d’une fée ?

– C’est à ma bonne marraine que je les dois », répondit Rosette ; et elle raconta au roi comme quoi elle avait été élevée dans une ferme, comme quoi elle devait tout ce qu’elle savait et tout ce qu’elle valait à la fée Puissante, qui avait veillé à son éducation et qui lui donnait tout ce qu’elle pouvait désirer.

Charmant l’écoutait avec un vif intérêt et une tendre compassion.

À son tour, il lui raconta qu’il était resté orphelin dès l’âge de sept ans, que la fée Prudente avait présidé à son éducation, que c’était elle qui l’avait envoyé aux fêtes que donnait le roi, en lui disant qu’il trouverait à ces fêtes la femme parfaite qu’il cherchait.

« Je crois, en effet, chère Rosette, avoir trouvé en vous la femme parfaite dont me parlait la fée : daignez associer votre vie à la mienne, et autorisez-moi à vous demander à vos parents.

– Avant de vous répondre, chère prince, il faut que j’obtienne la permission de ma marraine ; mais croyez que je serais bien heureuse de passer ma vie près de vous. »

La matinée s’écoula ainsi fort agréablement pour Rosette et Charmant. Ils revinrent au palais faire leur toilette pour le dîner.

Rosette monta dans sa laide mansarde ; en y entrant, elle vit un magnifique coffre en bois de rose qui était ouvert et vide ; elle se déshabilla, et à mesure qu’elle ôta ses effets, ils allaient se ranger d’eux-mêmes dans le coffre, qui se referma quand tout fut placé.

Elle se recoiffa et se rhabilla encore avec soin, et, quand elle courut à sa glace, elle ne put retenir un cri d’admiration. Sa robe était en gaze qui semblait faite d’ailes de papillons, tant elle était fine, légère et brillante ; elle était parsemée de diamants qui brillaient comme des étincelles ; le bas de la robe, le corsage et la taille étaient garnis de franges de diamants éclatants comme des soleils. Sa tête était à moitié couverte d’une résille de diamants terminée par de gros glands de diamants qui tombaient jusque sur son cou ; chaque diamant était gros comme une poire et valait un royaume. Son collier, ses bracelets étaient en diamants si gros et si étincelants, qu’ils faisaient mal aux yeux lorsqu’on les regardait fixement.

Rosette remercia tendrement sa marraine, et sentit encore sur sa joue le doux baiser du matin. Elle suivit le page, entra dans les salons ; le roi Charmant l’attendait à la porte, lui offrit son bras, la mena jusqu’au salon où étaient le roi et la reine. Rosette alla les saluer ; Charmant vit avec indignation les regards furieux que jetaient à la pauvre Rosette le roi, la reine et les princesses. Comme le matin, il resta près d’elle, et fut témoin de l’admiration qu’inspirait Rosette et du dépit de ses sœurs. Rosette était triste de se voir l’objet de la haine de son père, de sa mère, de ses sœurs. Charmant s’aperçut de sa tristesse et lui en demanda la cause ; elle la lui dit franchement.

« Quand donc, chère Rosette, me permettrez-vous de vous demander à votre père ? Dans mon royaume, tout le monde vous aimera, et moi plus que tous les autres.

– Demain, cher prince, je vous transmettrai la réponse de ma marraine, que j’interrogerai à ce sujet. » On alla dîner ; Charmant se plaça près de Rosette, qui causa de la manière la plus agréable.

Après dîner, le roi donna des ordres pour que le bal commençât. Orangine et Roussette, qui prenaient des leçons de danse depuis dix ans, dansèrent très bien, mais sans grâce ; elles savaient que Rosette n’avait jamais eu occasion de danser, de sorte qu’elles annoncèrent d’un air moqueur que c’était au tour de Rosette. La modeste Rosette s’en défendit vivement, parce qu’il lui répugnait de se montrer en public et d’attirer les regards ; mais plus elle se défendait et plus les envieuses sœurs insistaient, espérant qu’elle allait enfin avoir l’humiliation d’un échec. La reine mit fin au débat, en commandant impérieusement à Rosette d’exécuter la danse de ses sœurs.

Rosette se mit en devoir d’obéir à la reine ; Charmant, voyant son embarras, lui dit :

« Je serai votre cavalier, chère Rosette ; quand vous ne saurez pas un pas, laissez-moi l’exécuter seul.

– Merci, cher prince, je reconnais là votre bonté. Je vous accepte avec joie pour cavalier, et j’espère que je ne vous ferai pas rougir. »

Rosette et Charmant commencèrent ; jamais on n’avait vu une danse plus gracieuse, plus vive, plus légère ; chacun les regardait avec une admiration croissante. C’était tellement supérieur à la danse d’Orangine et de Roussette, que celles-ci, ne pouvant plus contenir leur fureur, voulurent s’élancer sur Rosette pour la souffleter et lui arracher ses diamants ; le roi et la reine, qui ne les perdaient pas de vue et qui devinèrent leurs intentions, les arrêtèrent et leur dirent à l’oreille :

« Prenez garde à la fée Puissante ; patience, demain sera le dernier jour. »

Quand la danse fut terminée, les applaudissements éclatèrent de toute part, et chacun demanda avec instance à Rosette et Charmant de recommencer. Comme ils n’étaient pas fatigués, ils ne voulurent pas se faire prier, et exécutèrent une danse nouvelle plus gracieuse et plus légère encore que la précédente. Pour le coup, Orangine et Roussette n’y tinrent plus ; la colère les suffoquait ; elles s’évanouirent ; on les emporta sans connaissance. Leurs visages étaient tellement enlaidis par la colère et l’envie, qu’elles n’étaient plus jolies du tout ; personne ne les plaignait, parce que tout le monde voyait leur jalousie et leur méchanceté. Les applaudissements et l’enthousiasme pour Rosette devinrent si bruyants, que pour s’y soustraire elle se réfugia dans le jardin, où Charmant la suivit ; ils se promenèrent le reste de la soirée et s’entretinrent de leurs projets d’avenir, si la fée Puissante permettait à Rosette d’unir sa vie à celle de Charmant. Les diamants de Rosette brillaient d’un tel éclat que les allées où ils marchaient, les bosquets où ils s’asseyaient, semblaient éclairés par mille étoiles.

Il fallut enfin se séparer.

« À demain ! dit Charmant ; j’espère demain pouvoir dire : À toujours ! »

Rosette monta dans sa chambre ; quand elle fut déshabillée, sa riche parure alla se ranger dans un coffre plus beau que les précédents : il était en ivoire sculpté, garni de clous en turquoises. Quand Rosette fut déshabillée et couchée, elle éteignit sa bougie et dit à mi-voix :

« Ma chère, ma bonne marraine, que dois-je répondre demain au roi Charmant ? Dictez ma réponse, chère marraine ; quoi que vous m’ordonniez, je vous obéirai.

– Dites oui, ma chère Rosette, répondit la voix douce de la fée ; c’est moi qui ai arrangé ce mariage ; c’est pour vous faire connaître le roi Charmant que j’ai forcé votre père à vous faire assister à ces fêtes. »

Rosette remercia la bonne fée, et s’endormit après avoir senti sur ses deux joues le baiser maternel de sa protectrice.

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