dimanche 12 août 2018

V. Troisième et dernière journée.



Pendant que Rosette dormait paisiblement, le roi, la reine, Orangine et Roussette rugissaient de colère, se querellaient, s’accusaient réciproquement des succès de Rosette et de leur propre humiliation. Un dernier espoir leur restait. Le lendemain, devait avoir lieu une course en chars. Chaque char, attelé de deux chevaux, devait être conduit par une dame. On résolut de donner à Rosette un char très élevé et versant, attelé de deux jeunes chevaux fougueux et non dressés.

« Le roi Charmant n’aura pas, dit la reine, un char et des chevaux de rechange comme le cheval de selle de ce matin : il lui était facile de prendre un des siens ; mais il ne pourra pas trouver un char tout attelé. »

La consolante pensée que Rosette pouvait être tuée ou grièvement blessée et défigurée le lendemain, ramena la paix entre ces quatre méchantes personnes ; elles allèrent se coucher, rêvant aux meilleurs moyens de se débarrasser de Rosette, si la course en chars ne suffisait pas.

Orangine et Roussette dormirent peu, de sorte qu’elles étaient encore plus laides et plus défaites que la veille.

Rosette, qui avait la conscience tranquille et le cœur content, reposa paisiblement toute la nuit ; elle avait été fatiguée de sa journée et elle dormit tard dans la matinée.

Quand elle s’éveilla, elle avait à peine le temps de faire sa toilette. La grosse fille de basse-cour lui apporta sa tasse de lait et son morceau de pain bis. C’étaient les ordres de la reine, qui voulait qu’elle fût traitée comme une servante. Rosette n’était pas difficile ; elle mangea son pain grossier et son lait avec appétit, et commença sa toilette.

Le coffre d’ivoire avait disparu ; elle mit, comme les jours précédents, sa robe de torchon, son aile de poule et les accessoires, et alla se regarder dans la glace.

Elle avait un costume d’amazone en satin paille brodé devant et au bas de saphirs et d’émeraudes. Sa toque était en velours blanc, ornée de plumes de mille couleurs empruntées aux oiseaux les plus rares et rattachées par un saphir gros comme un œuf. Elle avait au cou une chaîne de montre en saphirs admirables, au bout de laquelle était une montre dont le cadran était une opale, le dessus un seul saphir taillé, et le verre un diamant. Cette montre allait toujours, ne se dérangeait jamais et n’avait jamais besoin d’être remontée.

Rosette entendit frapper à sa porte et suivit le page.

En entrant dans le salon, elle aperçut le roi Charmant, qui l’attendait avec une vive impatience ; il se précipita au-devant de Rosette, lui offrit son bras et dit avec empressement :

« Eh bien, chère princesse, que vous a dit la fée ? Quelle réponse me donnerez-vous ?

– Celle que me dictait mon cœur, cher prince ; je vous consacrerai ma vie comme vous me donnez la vôtre.

– Merci, cent fois merci, chère, charmante Rosette. Quand puis-je vous demander à votre père ?

– Au retour de la course aux chars, cher prince.

– Me permettrez-vous d’ajouter à ma demande celle de conclure notre mariage aujourd’hui même ? car j’ai hâte de vous soustraire à la tyrannie de votre famille, et de vous emmener dans mon royaume. »

Rosette hésitait ; la voix de la fée dit à son oreille : « Acceptez. » La même voix dit à l’oreille de Charmant : « Pressez le mariage, prince, et parlez au roi sans retard. La vie de Rosette est menacée, et je ne pourrai pas veiller sur elle pendant huit jours à partir de ce soir au coucher du soleil. »

Charmant tressaillit et dit à Rosette ce qu’il venait d’entendre. Rosette répondit que c’était un avertissement qu’il ne fallait pas négliger, car il venait certainement de la fée Puissante.

Elle alla saluer le roi, la reine, ses sœurs ; aucun ne lui parla ni ne la regarda. Elle fut immédiatement entourée d’une foule de princes et de rois qui tous se proposaient de la demander en mariage le soir même ; mais aucun n’osa lui en parler, à cause de Charmant qui ne la quittait pas.

Après le repas, on descendit pour prendre les chars ; les hommes devaient monter à cheval, et les femmes conduire les chars.

On amena pour Rosette celui désigné par la reine. Charmant saisit Rosette au moment où elle sautait dans le char et la déposa à terre.

« Vous ne monterez pas dans ce char, princesse ; regardez les chevaux. »

Rosette vit alors que chacun des chevaux était contenu par quatre hommes et qu’ils piaffaient et sautaient avec fureur.

Au même instant, un joli petit jockey, vêtu d’une veste de satin paille avec des nœuds bleus, cria d’une voix argentine :

« L’équipage de la princesse Rosette. »

Et on vit approcher un petit char de perles et de nacre, attelé de deux magnifiques chevaux blancs, dont les harnais étaient en velours paille orné de saphirs.

Charmant ne savait s’il devait laisser Rosette monter dans un char inconnu ; il craignait encore quelque scélératesse du roi et de la reine. La voix de la fée dit à son oreille :

« Laissez monter Rosette ; ce char et ces chevaux sont un présent de moi. Suivez-la partout où la mènera son équipage. La journée s’avance, je n’ai que quelques heures à donner à Rosette ; il faut qu’elle soit dans votre royaume avant ce soir. »

Charmant aida Rosette à monter dans le char et sauta sur son cheval. Tous les chars partirent ; celui de Rosette partit aussi : Charmant ne le quittait pas d’un pas. Au bout de quelques instants, deux chars montés par des femmes voilées cherchèrent à devancer celui de Rosette ; l’un d’eux se précipita avec une telle force contre celui de Rosette qu’il l’eût inévitablement mis en pièces, si ce char n’eût pas été fabriqué par les fées : ce fut donc le char lourd et massif qui fut brisé ; la femme voilée fut lancée sur des pierres, où elle resta étendue sans mouvement. Pendant que Rosette, qui avait reconnu Orangine, cherchait à arrêter ses chevaux, l’autre char s’élança sur celui de Rosette et l’accrocha avec la même violence que le premier ; il éprouva aussi le même sort : il fut brisé, et la femme voilée lancée sur des pierres qui semblèrent se placer là pour la recevoir.

Rosette reconnut Roussette ; elle allait descendre, lorsque Charmant l’en empêcha en disant :

« Écoutez, Rosette.

– Marchez, dit la voix ; le roi accourt avec une troupe nombreuse pour vous tuer tous les deux ; le soleil se couche dans peu d’heures ; je n’ai que le temps de vous sauver. Laissez aller mes chevaux, abandonnez le vôtre, roi Charmant. »

Charmant sauta dans le char, près de Rosette, qui était plus morte que vive ; les chevaux partirent avec une vitesse telle qu’ils faisaient plus de vingt lieues à l’heure. Pendant longtemps ils se virent poursuivis par le roi, suivi d’une troupe nombreuse d’hommes armés, mais qui ne purent lutter contre des chevaux fées ; le char volait toujours avec rapidité ; les chevaux redoublaient tellement de vitesse qu’ils finirent par faire cent lieues à l’heure. Ils coururent ainsi pendant six heures, au bout desquelles ils s’arrêtèrent au pied de l’escalier du roi Charmant.

Tout le palais était illuminé ; toute la cour, en habits de fête, attendait le roi au bas du perron.

Le roi et Rosette, surpris, ne savaient comment s’expliquer cette réception inattendue. À peine Charmant eut-il aidé Rosette à descendre du char, qu’ils virent devant eux la fée Puissante, qui lui dit :

« Soyez les bienvenus dans vos États. Roi Charmant, suivezmoi ; tout est préparé pour votre mariage. Menez Rosette dans son appartement, pour qu’elle change de toilette, pendant que je vous expliquerai ce que vous ne pouvez comprendre dans les événements de cette journée. J’ai encore une heure à moi. »

La fée et Charmant menèrent Rosette dans un appartement orné et meublé avec le goût le plus exquis ; elle y trouva des femmes pour la servir.

« Je viendrai vous chercher dans peu, chère Rosette, dit la fée, car mes instants sont comptés. »

Elle sortit avec Charmant et lui dit :

« La haine du roi et de la reine contre Rosette était devenue si violente, qu’ils étaient résolus à braver ma vengeance et à se défaire de Rosette. Voyant que leur ruse de la course en chars n’avait pas réussi, puisque j’ai substitué mes chevaux à ceux qui devaient tuer Rosette, ils résolurent d’employer la force. Le roi s’entoura d’une troupe de brigands qui lui jurèrent tous une aveugle obéissance ; ils coururent sur vos traces, et comme le roi voyait votre amour pour Rosette et qu’il prévoyait que vous la défendriez jusqu’à la mort, il résolut de vous sacrifier aussi à sa haine. Orangine et Roussette, qui ignoraient ce dernier projet du roi, tentèrent de faire mourir Rosette par le moyen que vous avez vu, en brisant son char, petit et léger, avec les leurs, pesants et massifs. Je viens de les punir tous comme ils le méritent.

« Orangine et Roussette ont eu la figure tellement meurtrie par les pierres, qu’elles sont devenues affreuses ; je les ai fait revenir de leur évanouissement, j’ai guéri leurs blessures, mais en laissant les hideuses cicatrices qui les défigurent ; j’ai changé leurs riches costumes en ceux de pauvres paysannes, et je les ai mariées sur-le-champ avec deux palefreniers brutaux qui ont mission de les battre et maltraiter jusqu’à ce que leur cœur soit changé, ce qui n’arrivera sans doute jamais.

« Quant au roi et à la reine, je les ai métamorphosés en bêtes de somme, et je les ai donnés à des maîtres méchants et exigeants qui leur feront expier leur scélératesse à l’égard de Rosette. De plus ils sont tous quatre transportés dans votre royaume, et condamnés à entendre sans cesse louer Rosette et son époux.

« Il me reste une recommandation à vous faire, cher prince ; cachez à Rosette la punition que j’ai dû infliger à ses parents et à ses sœurs. Elle est si bonne que son bonheur en serait troublé, et je ne veux ni ne dois faire grâce à des méchants dont le cœur est vicieux et incorrigible. »

Charmant remercia vivement la fée, et lui promit le secret. Ils allèrent chercher Rosette, qui était revêtue de la robe de noce préparée par la fée.

C’était un tissu de gaze d’or brillante, brodée de plusieurs guirlandes de fleurs et d’oiseaux en pierreries de toutes couleurs, d’une admirable beauté. Les pierreries qui formaient les oiseaux étaient disposées de manière à produire, au moindre mouvement que faisait Rosette, un gazouillement plus doux que la musique la plus mélodieuse. Rosette était coiffée d’une couronne de fleurs en pierreries plus belles encore que celles de la robe ; son cou et ses bras étaient entourés d’escarboucles qui brillaient comme des soleils.

Charmant resta ébloui de la beauté de Rosette. La fée le tira de son extase en lui disant :

« Vite, vite, marchons ; je n’ai plus qu’une demi-heure, après laquelle je dois me rendre près de la reine des fées, où je perds toute ma puissance pendant huit jours. Nous sommes toutes soumises à cette loi dont rien ne peut nous affranchir. »

Charmant présenta la main à Rosette ; la fée les précédait ; ils marchèrent vers la chapelle, qui était splendidement éclairée ; Charmant et Rosette reçurent la bénédiction nuptiale. En rentrant dans les salons, ils s’aperçurent que la fée avait disparu ; comme ils étaient sûrs de la revoir dans huit jours, ils ne s’en affligèrent pas. Le roi présenta la nouvelle reine à toute sa cour ; tout le monde la trouva aussi charmante, aussi bonne que le roi, et chacun se sentit disposé à l’aimer comme on aimait le roi.

Par une attention très aimable, la fée avait transporté dans le royaume de Charmant la ferme où avait été élevée Rosette, et tous ses habitants. Cette ferme se trouva placée au bout du parc, de sorte que Rosette pouvait tous les jours, en se promenant, aller voir sa nourrice. La fée avait eu soin aussi de transporter

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