vendredi 14 octobre 2016
Chapitre 5
Chapitre 5
Ce que Claudine avait prévu arriva. Le baron, étant maître du petit tonneau magique, ne s'inquiéta plus de ses promesses. Quand le meunier vint au château présenter son billet, on le mit à la porte, en lui disant qu'il était insolent d'oser demander de l'argent à son seigneur. Jean-Pierre ne reçut donc que mille francs au lieu de dix mille qu'on lui avait promis. Ses regrets et son chagrin redoublèrent lorsqu'il apprit que le baril merveilleux servait tous les jours, dans la salle à manger du château, des dîners splendides pour autant de personnes qu'il plaisait au baron d'en inviter. Le seigneur n'avait plus besoin de cuisinier, et il renvoya ses marmitons. Les petits nains renouvelaient chaque fois le linge de la table, les assiettes, les plats et l'argenterie. Quoique très avare, M. le baron régalait souvent ses amis afin d'avoir, après le dîner, des restes si précieux, et bientôt il amassa tant de cuillères et de fourchettes qu'il n'en savait plus que faire. Jean-Pierre jurait ses grands dieux de ne jamais se laisser tromper par les offres de son seigneur, et Claudine se promettait de ne plus confier de secret à ses commères. Malheureusement ces sages résolutions ne réparaient point les sottises passées.
Avec les mille francs qu'ils avaient reçus, le meunier et sa femme firent un peu raccommoder leur chaumière par le maçon et le charpentier. Ils achetèrent quelques ustensiles de ménage, et puis ils vécurent sur le reste pendant une année à force d'économie. Au bout de l'an, tout l'argent était dépensé. Jean-Pierre n'avait plus de courage au travail ; Claudine, inconsolable, négligeait son aiguille et sa basse-cour. Le souvenir du bonheur que ces pauvres gens avaient perdu empoisonnait leur vie, et ils se trouvaient plus que misérables et plus accablés que jamais. Jean-Pierre se décida enfin à faire une seconde visite à M. le Vent. Ne voulant mériter aucun reproche, il consulta sa femme.
" Cette fois, lui dit Claudine, il faut arriver dans la caverne avant l'heure du dîner de M. le Vent. Ne t'avise pas de lui raconter tes sottises ; dis-lui que ton seigneur t'a enlevé par force le petit tonneau d'argent. S'il te demande ce que tu désires, réponds tout de suite que tu voudrais un autre petit tonneau ou quelque chose d'aussi merveilleux."
Le meunier, ayant sa leçon préparée, se mit en route dès le point du jour avec ses souliers ferrés, sa canne et son manteau de laine. Comme il savait le chemin, il ne perdit pas de temps et il arriva devant la caverne à dix heures du matin. Cependant, le ciel s'était chargé de gros nuages rouges à l'horizon. Un orage se préparait. Les esprits de la caverne parlaient tous à la fois. M. le Vent demandait ses habits de voyage et se préparait à sortir. Lorsqu'il aperçut le meunier, il lui cria d'une voix de stentor :
" Maître Jean-Pierre, tu as le talent d'arriver toujours mal à propos. Il faut que je sois dans un quart d'heure au milieu de l'Océan. J'ai deux vaisseaux à faire naufrager ; va-t’en bien vite, ou sinon je te précipite du haut de la montagne dans la plaine.
- Monseigneur, répondit Jean-Pierre, au lieu de tourmenter ces pauvres vaisseaux qui ne vous ont rien fait, écoutez-moi ; je suis malheureux et persécuté. M. le baron est venu chez moi avec ses hommes de guerre et il m'a pris de force mon petit tonneau d'argent.
- Cela ne se peut pas, s'écria M. le Vent. Si on avait voulu te prendre le petit baril d'argent par la violence, il se serait enflé si gros qu'on n'aurait pu le faire sortir ni par la porte ni par la fenêtre. Tu l'as donc vendu ou donné volontairement. Tu es un menteur et un fourbe. Je ne sais à quoi tient que je ne te casse la tête. "
Jean-Pierre se jeta par terre à deux genoux :
" Pardonnez-moi, monseigneur, dit-il en pleurant. Si j'ai menti, c'est ma femme qui me l'a conseillé. Je suis au désespoir d'avoir mérité votre colère.
- Eh bien ! que me veux-tu ?
- Je voudrais un autre petit tonneau merveilleux.
- Qu'on lui donne donc mon petit tonneau d'or ; mais ce sera mon dernier présent. Que ce drôle ne revienne jamais dans ma caverne. S'il y remet les pieds, qu'on lui torde le cou à l'instant. "
Les esprits apportèrent un joli petit tonneau d'or et une baguette. Jean-Pierre mit le tout sous son bras et se sauva en courant. A peine fut-il hors de la caverne que l'orage éclata. Il entendit M. le Vent passer au-dessus de sa tête en volant d'une vitesse effroyable. Les esprits de la tempête accompagnèrent le meunier jusque chez lui avec des éclats de rire.
" Qu'il est heureux, disaient-ils, qu'il est heureux de posséder le petit tonneau d'or !
Oui, je suis heureux, répétait Jean-Pierre. Riez tant que vous voudrez ; je me moque de vous. "
Claudine attendait son mari avec une impatience extrême. Lorsqu'elle le vit revenir, portant le petit tonneau d'or, elle battit des mains et sauta de joie.
" Nous voilà riches pour toute notre vie, disait-elle. Ce ne sont plus des couverts d'argent que nous allons posséder, mais des cuillerées et des fourchettes d'or. Nous les vendrons et, avec leur prix, nous pourrons acheter des domaines, des maisons et des châteaux. Quand même M. le baron nous offrirait cent mille écus, nous ne lui donnerions pas le tonneau d'or. Dépêche-toi, Jean-Pierre, dépêche-toi de frapper avec la baguette, car je n'ai point préparé le dîner tant j'avais de confiance dans la bonté de M. le Vent. "
Jean-Pierre posa le petit baril par terre et frappa un grand coup avec la baguette d'or. La bonde du tonneau s'ouvrit et il en sortit une fumée noire qui monta jusqu'au plafond de la chambre. Cette fumée prit une forme humaine. Jean-Pierre et sa femme distinguèrent une tête et un corps ; mais une tête grosse comme une citrouille, avec des traits affreux, et un corps gros comme le tronc d'un chêne. Le meunier se trouva en face d'un géant d'une force extraordinaire et armé d'un bâton. Aussitôt que le géant put se tenir sur ses pieds, il courut à Jean-Pierre, le saisit d'une main par le collet de sa veste et, de l'autre, il lui appliqua sur les reins vingt-cinq coups de bâton si terribles que le pauvre homme en poussa des cris pitoyables. Cela fait, le géant s'évanouit en fumée et rentra dans le petit tonneau comme il en était sorti.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire