jeudi 13 octobre 2016
Chapitre 4
Chapitre 4
La nuit était tombée lorsque Jean-Pierre sortit de la caverne de M. le Vent. Il faillit se rompre le cou parmi les rochers ; il déchira son manteau de laine après les buissons et se mouilla les pieds dans un marais en dépit de ses souliers ferrés ; mais il ne lâcha point son baril ni sa baguette. Sa femme commençait à s'inquiéter, lorsque, à neuf heures du soir, le meunier rentra au logis.
" Qu'est ceci ? demanda Claudine en voyant le petit tonneau. Où as-tu pris ce bijou magnifique ? Je savais bien que tu me cachais un secret d'importance. Il faut que tu m'expliques ce mystère tout à l'heure. Est-ce qu'il y a des pierres précieuses dans ce tonneau ? Quand il n'y aurait rien dedans, l'argent seul vaudrait au moins cent louis, sans compter la façon. Un orfèvre en donnerait une grosse somme. Parle donc Jean-Pierre ; je grille de savoir le secret. "
Le meunier raconta comment il avait reçu la visite de M. le Vent, comment ce personnage surnaturel lui avait promis sa protection et lui avait donné le tonneau et la baguette, en lui indiquant la manière de s'en servir. Jean- Pierre recommanda fort à sa femme de ne point parler de cette aventure aux commères du voisinage ; mais, au lieu d'écouter ses recommandations, Claudine se remit à babiller.
" Tu vois, lui dit-elle, que tu as eu tort de me cacher ce secret. Je suis plus fine que toi ; je t'aurais donné de bons conseils et tu ne serais pas resté les bras pendants, avec un air hébété, comme tu l'as fait, quand M. le Vent t'a demandé ce que tu voulais. Je t'aurais dit de lui répondre sans hésiter : " Donnez-moi dix mille livres. " Et tu serais revenu avec des écus sonnants au lieu de ce tonneau d'argent dont nous serons embarrassés de nous défaire.
- Qui sait ? répondit le meunier ; mon tonneau vaut peut-être plus que tu ne crois. Mettons-le d'abord à l'épreuve. "
Jean-Pierre posa le petit tonneau debout sur la table et, d'une main tremblante, il frappa dessus avec la baguette d'argent. Aussitôt le baril s'ouvrit en deux parties comme une armoire. D'un côté, il y avait une petite cuisine et, de l'autre, une office en miniature. Dans la cuisine, on voyait des broches grosses comme des aiguilles, des chaudrons grands comme des dés à coudre, des casseroles mignonnes et des poêles à frire à mourir de rire. Un cuisinier haut de trois pouces, le bonnet de coton sur l'oreille, et deux petits marmitons s'agitaient devant les fourneaux, soufflaient le feu, surveillaient la broche et goûtaient les sauces. Ils faisaient rôtir des dindons gros comme des abeilles et des poulets gros comme des mouches ; ils faisaient frire des poissons plus minces que des vers à soie qui viennent de naître et taillaient des choux pommés qui ressemblaient à des têtes d'épingle. Pendant ce temps-là, deux domestiques, de la même taille que le cuisinier, rangeaient la vaisselle dans l'office. Ils essuyaient des assiettes de porcelaine qui étaient grandes comme des pièces de cinq sous, et des verres qui semblaient faits pour donner à boire à des moineaux. Ils emplissaient les bouteilles avec deux gouttes de vin, et les carafes de cristal contenaient deux gouttes d'eau. En un tournemain, le dîner se trouva prêt.
Le meunier et sa femme restaient tout ébahis à regarder ce petit monde si prompt et si habile. Leur surprise fut bien plus grande quand ils virent les deux domestiques nains sortir du petit tonneau, sauter sur la table et y déposer tous les plats fumants, préparer deux couverts, ranger avec ordre le premier service, mettre à leur place les bouteilles et les carafes. Dans un coin de la chambre, ils placèrent le second service et le dessert, et puis ils rentrèrent dans leur petit office. Le tonneau d'argent se referma subitement, et Jean-Pierre et Claudine ne virent plus rien ; mais, au même instant, les plats qui étaient sur la table devinrent de véritables plats de la grosseur ordinaire, les poulets rôtis furent de véritables poulets rôtis, les poissons de bons gros poissons, les bouteilles de grandes bouteilles remplies de vin délicat, les couverts de bon gros couverts en bon argent. Jean-Pierre et sa femme se trouvèrent tout à coup en face d'un excellent souper servi pour deux personnes et où il y avait à manger pour quatre. Ils se mirent à table et soupèrent copieusement, car ils avaient faim. Les ragoûts étaient parfaits et les pièces de volaille cuites à point. Jean-Pierre but trois fois à la santé de M. le Vent, et, comme le vin était capiteux, le meunier se coucha, la tête un peu troublée ; il s'endormit et ronfla comme un chantre.
Claudine se coucha aussi ; mais elle ne fit que s'agiter dans le lit sans pouvoir dormir, tant elle avait hâte de voir le jour, pour aller conter cette aventure à sa voisine la laitière. La voisine ouvrit de grands yeux en écoutant cette histoire. Elle répéta plusieurs fois, en soupirant, que Claudine était bien heureuse d'être l'amie de M. le Vent, et de posséder le précieux baril d'argent.
Aussitôt la meunière partie, la laitière mit son panier sur sa tête, et s'en alla porter de la crème et du beurre au château. Elle ne manqua pas de raconter l'aventure de sa voisine au cuisinier. Le cuisinier raconta la nouvelle au valet de chambre, et le valet de chambre, tout en aidant son maître à s'habiller, lui apprit ce qui était arrivé à Jean-Pierre. Le baron conçut tout de suite le projet de s'emparer du petit tonneau d'argent ; c'est pourquoi il monta sur son cheval et s'en alla au moulin.
Lorsque M. le baron arriva au moulin, Jean-Pierre venait de se lever, et Claudine n'était pas encore revenue, car, en sortant de chez la laitière, elle avait couru raconter son aventure à sa voisine la blanchisseuse, à sa commère la bûcheronne, et à sa cousine la gardeuse de vaches.
" Jean-Pierre, dit le baron, M. le Vent, qui est de mes amis, m'a dit ce matin qu'il t'avait donné un petit tonneau d'argent dans lequel il y a une cuisine magique. Qu'as-tu besoin de manger des dindons rôtis dans une cabane
délabrée, avec des habits percés et des meubles vermoulus ? Il vaudrait mieux faire raccommoder ta masure par le maçon et le charpentier, acheter des habits bien chauds, des robes pour ta femme, et des armoires, du linge, des fauteuils pour meubler ta chaumière. Vends-moi ta petite cuisine. Je te donnerai dix mille livres, avec lesquelles tu pourras bâtir une autre maison, acquérir des champs, des bestiaux et des chevaux, et tu deviendras un riche propriétaire.
- Monsieur le baron, répondit le meunier, quand j'aurai dépensé mes dix milles livres, il ne me restera plus rien, tandis qu'avec mon petit tonneau, j'ai ma nourriture assurée pour toute la vie.
- Comment ! reprit le seigneur, n'est-ce rien que de posséder une bonne maison et de cultiver les champs ?
- C'est la vérité, dit Jean-Pierre ; des terres d'un bon produit valent mieux que des poulets rôtis. D'ailleurs, ma femme m'a grondé de n'avoir pas demandé à M. le Vent dix mille livres, et, puisque vous m'offrez cette somme, j'accepte le marché.
- A la bonne heure, dit le baron ; ta femme est une personne d'esprit. Voici mille francs que j'ai apportés avec moi ; je te payerai le reste dans quinze jours, et je vais t'en faire une promesse par écrit. Donne-moi ton baril d'argent. "
Le meunier donna le baril, prit le sac de mille francs, et, comme il ne savait pas lire, il accepta la promesse écrite de son seigneur sans en connaître le contenu. Le baron une fois parti avec le petit tonneau d'argent, Claudine ne tarda pas à rentrer. Jean-Pierre lui raconta le beau marché qu'il venait de faire. Aussitôt elle poussa des cris lamentables et s'arracha les cheveux.
" Ah ! sainte Vierge, disait-elle, faut-il que j'aie pour mari un homme qui se laisse tromper comme un sot ! Malheureuse que je suis d'avoir épousé ce maladroit ! "
Jean-Pierre se mit dans une colère épouvantable.
" Femme capricieuse, dit-il, ne m'as-tu pas reproché toi-même de n'avoir pas demandé dix mille livres à M. le Vent au lieu de ce petit tonneau ?
- Vilain niais, répondit la femme, quand j'ai dit cela, je ne savais pas encore ce que valait ce tonneau merveilleux. Ne vois-tu pas que les petits nains nous ont laissé de la vaisselle et des couverts ? Tous les jours, ils nous auraient donné de bonnes cuillers d'argent que nous aurions vendues à l'orfèvre. Pourquoi désire-t-on avoir des terres, une maison et des bestiaux ? N'est-ce pas pour manger des poulets rôtis ? Puisque nous les avions, ces poulets rôtis, à quoi bon courir après des champs et des bestiaux ? Les champs seront peut-être détruits par la grêle et les bestiaux mourront de maladie ; tandis qu'avec le petit tonneau nous étions certains de ne manquer de rien. M. le baron s'est moqué de toi. Il ne connaît pas M. le Vent ; il t'a trompé en disant qu'il était de ses amis, et peut-être ne payera-t-il pas, dans quinze jours, les neuf mille francs qu'il t'a promis. "
Jean-Pierre commençait à comprendre sa sottise. Au lieu d'en convenir, il se mit encore plus en colère.
" C'est donc par tes bavardages, dit-il, que M. le baron a appris mon secret. Tu es sortie ce matin pour aller répandre la nouvelle dans tout le pays. "
Au lieu d'avouer sa faute, Claudine redoubla ses plaintes. Elle appelait son mari imbécile ; Jean-Pierre appela sa femme carogne, et ils se querellèrent tant qu'ils purent, comme font les meuniers et les meunières ; après quoi ils se réconcilièrent parce qu'au fond le meunier était un bon mari et la meunière une bonne femme.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire