mercredi 19 octobre 2016
Chapitre 10
Chapitre 10
Peu de jours après la représentation de la comédie, les enfants de M. le baron se promenaient avec leur vieille gouvernante. La bonne dame s'était assise sur l'herbe, tandis que les enfants jouaient et couraient dans une prairie. Pour s'occuper, la gouvernante mit ses lunettes et tira de sa poche un journal dont elle lut le feuilleton avec la plus grande attention et le plus vif intérêt. Ce feuilleton était le huit cent trente-sixième chapitre d'un gros roman commencé depuis bientôt trois ans, et, comme le roman ne marchait pas et en restait toujours au même point, la bonne gouvernante s'endormit profondément. Pendant ce temps-là, les deux garçons grimpèrent sur les arbres pour cueillir des pommes, et la petite Marguerite s'en alla tout au bout de la prairie en cherchant des fleurs. Elle arriva ainsi au bord d'un ruisseau qui coulait parmi les grandes herbes. De l'autre côté d'une haie d'épines, il y avait un sentier dans lequel Pierrot passa en revenant du village. Il s'arrêta tout à coup en entendant des cris perçants.
C'était Marguerite qui appelait au secours.
" Oh ! que j'ai peur, disait-elle. Voici un gros serpent qui se glisse dans l'herbe. Il s'approche de moi pour me mordre. Mes frères, madame la gouvernante, venez me secourir. Hélas ! ils ne m'entendent pas. Je vais mourir peut-être. "
Pierrot traversa la haie d'épines et accourut dans la prairie.
" N'ayez pas peur, mademoiselle, dit-il ; ce que vous voyez n'est pas un serpent. C'est une petite vipère qui ne vous mordra pas si vous ne la touchez point ; mais, pour vous rassurer, je vais la tuer. "
Avec le talon de son sabot, Pierrot écrasa la tête de la vipère.
" Que tu es courageux ! lui dit Marguerite. Viens avec moi au château ; je veux dire à ma mère que tu m'as sauvé la vie.
- Il n'y a pas grand mérite à ce que j'ai fait, mademoiselle. Je suis obligé d'aller chez mon maître charpentier ; mais j'irai vous voir au château dans un autre moment.
- Va travailler, mon ami, reprit Marguerite. Je n'oublierai pas ta belle action. Embrassons-nous, car je vois avec plaisir que tu n'es pas trop barbouillé aujourd'hui. "
Pierrot embrassa la petite fille sur les deux joues et Marguerite lui dit en lui rendant son baiser :
" Si la sainte Vierge écoute mes prières, tu seras un jour mon Jasmin et je serai ton Églantine. "
Le lendemain, Mme la baronne vint à la ferme. Elle embrassa aussitôt Pierrot et lui donna une boîte remplie d'outils de charpentier, avec une douzaine de livres reliés en maroquin, parmi lesquels étaient des ouvrages de géométrie, une histoire ancienne et une de France, depuis Pharamond jusqu'au roi Robert. Elle remit ensuite à Claudine une bourse bien garnie, en lui disant d'employer cet argent à faire instruire son fils. Pierrot, pénétré de reconnaissance, ouvrit les livres après le départ de la baronne et se dépêcha d'étudier, afin d'être bientôt aussi savant qu'il était courageux. Au bout de six mois, il savait par cœur tout ce qui était dans ses livres ; la baronne lui en donna d'autres qu'il lut assidûment. Il fut bientôt capable d'en remontrer au magister du village, et tous les soirs, avant de s'endormir, il ajouta cette petite phrase à ses prières :
" Saint Pierre, mon patron, priez la sainte Vierge d'exaucer les vœux de l'aimable Marguerite, faites qu'un jour je sois son chevalier Jasmin et qu'elle devienne mon Églantine. "
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