mercredi 12 octobre 2016

Chapitre 3



Chapitre 3

La femme de Jean-Pierre, ayant dormi jusqu'au matin, n'avait entendu ni le vent ni la pluie. Elle fut fort étonnée d'apprendre que le moulin avait tourné pendant la nuit et de voir l'argent et les provisions rapportées par son mari.
Son sommeil avait déjà hâté sa guérison. La joie qu'elle eut de ces heureuses nouvelles acheva de lui rendre la santé. Cependant, Jean-Pierre ne lui parla point des deux visites extraordinaires qu'il avait reçues.

" Claudine, pensait-il, a plus d'esprit que moi ; mais elle est un peu bavarde. Elle irait dire mon secret à ses commères et cela pourrait me faire du tort. "

Pendant les jours suivants, le moulin tourna soir et matin ; la rosée tomba dans le jardin potager. Jean-Pierre faisait bon feu et bonne chère. Sa femme reprit des forces, et le petit Pierrot devint rose et frais comme une pomme d'api. Le bonheur et la gaieté étaient revenus dans la maison.

Un jour, le seigneur du château voisin passa devant la cabane de Jean-Pierre en allant à la chasse. Les seigneurs de ce temps-là jouissaient d'un grand pouvoir. Lorsqu'ils étaient bons, ils rendaient leurs vassaux heureux ; mais lorsqu'ils étaient méchants, ils exerçaient toutes sortes de tyrannies et de cruautés sur les pauvres paysans. Or, celui de qui Jean-Pierre était vassal avait le cœur dur ; il aimait beaucoup l'argent, et, pour s'en procurer, il accablait ses gens d'impositions. Il les faisait payer pour la taille, pour la dîme, pour la ceinture de la reine et pour cent autres inventions vexatoires. En voyant son seigneur, le meunier fut saisi de crainte, car cette visite ne lui annonçait rien de bon.

" Holà ! Jean-Pierre, cria le baron sans descendre de son cheval, tu me dois six mois d'impositions. C'est dix écus que j'enverrai chercher demain par mon intendant.

- Monsieur le baron, répondit le meunier, accordez-moi encore trois mois de délai. Ma femme a été malade et si je vous donne dix écus, c'est tout ce que je possède ; il ne me restera plus rien.

- Je ne t'accorderai pas seulement trois jours, reprit le baron. Si tu ne me payes pas demain, on vendra tes meubles ; je t'arracherai de ta cabane et je te ferai travailler dans mes champs, à coups de bâton. "

Le seigneur partit au galop, sans écouter les plaintes de son vassal. Le lendemain, l'intendant du château arriva, portant une sacoche, et Jean-Pierre fut obliger de lui donner les dix écus ; c'était tout ce que le meunier avait économisé depuis un mois. Les faveurs du vent et de la pluie se trouvaient ainsi perdues. Claudine se mit à pleurer de tout son cœur.

" Ne pleure pas, lui dit Jean-Pierre. Tout le monde n'est pas aussi méchant que M. le baron. Donne-moi mes souliers ferrés, ma canne et mon manteau de laine ; j'ai une visite à faire. Ne t'inquiète pas si je rentre tard à la maison ; ce sera pour te rapporter quelque bonne nouvelle. "

Claudine devina tout de suite que son mari lui cachait un secret. Elle essuya ses larmes et fit mille questions au meunier pour lui arracher ce secret ; mais il ne voulut point parler, et il partit avec ses souliers ferrés, sa canne et son manteau de laine. Après avoir traversé des champs et des prés, Jean-Pierre arriva au bas de la montagne du Midi. Il monta pendant trois heures dans un bois de sapins ; puis il trouva des bruyères désertes et, enfin, des rochers escarpés où il grimpa à l'aide de ses souliers ferrés et de sa canne. Il parvint au faîte de la montagne, avant le coucher du soleil. En voyant l'entrée d'une caverne, le meunier pensa que ce devait être l'habitation de M. le Vent. Comme la caverne paraissait profonde et obscure, Jean-Pierre ne se sentait pas trop rassuré. Il rassembla tout son courage, et il entra en tâtant le terrain avec sa canne par précaution. A peine eut-il fait vingt-cinq pas, qu'il entendit à ses oreilles les voix des petits esprits.

" Soufflons sur cet étranger, disaient les voix. Arrachons-lui son manteau. Tâchons de lui enlever son chapeau. "

Mais Jean-Pierre tenait fortement son chapeau d'une main, et de l'autre son manteau de laine. Il aperçut enfin de la lumière, et il reconnut M. le Vent, assis devant une table et mangeant son dîner. Des feux follets voltigeaient pour éclairer la table ; d'autres esprits apportaient les plats et les flacons de vin du fond de deux grands trous qui servaient de cuisine et de cave.

" Qui vient là ? demanda M. le Vent.

- C'est moi, répondit le meunier ; je suis Jean-Pierre. Votre Excellence a daigné se reposer chez moi il y a un mois.

- Eh bien ! que me veux-tu ?

- Je ne sais, monseigneur, répondit le meunier en balbutiant.

- Imbécile ! s'écria M. le Vent, tu viens me déranger quand je suis à table, et tu ne sais pas seulement ce que tu as à me demander ! Je vois bien que j'ai accordé ma protection à un nigaud.

- Excusez-moi, reprit Jean-Pierre ; le respect me coupe la parole. Depuis que vous avez favorisé mon moulin, j'avais gagné dix écus ; M. le baron me les a enlevés ce matin, sous le prétexte d'un impôt. Je supplie Votre Excellence de me secourir ; je m'en rapporte à sa générosité.

- Je n'ai pas le temps de m'occuper de tes affaires, ni de te donner des conseils, dit le Vent d'un ton bourru. Tâche de savoir ce que tu désires et dis-le moi en peu de mots.

- Ce que je désire ! répéta le meunier : ce qu'il vous plaira de me donner, pourvu que cela m'empêche de mourir de faim, car j'en suis menacé.

- Tu ne mourras pas de faim, reprit M. le Vent avec plus de douceur. Qu'on donne à cet animal mon petit tonneau d'argent. "

Un esprit, qui avait des ailes de chauve-souris, apporta aussitôt un joli tonneau d'argent, pas plus grand que les petits barils où l'on enferme les olives. Un autre esprit apporta une baguette aussi d'argent, qu'il posa sur la table.

" Prends ce tonneau et cette baguette, dit M. le Vent. Quand tu seras chez toi, tu frapperas avec la baguette sur le petit baril, et tu verras… ce que tu verras. Maintenant va-t’en au diable et laisse-moi dîner en paix ! "

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