Nous n'aurions sans doute jamais rien su - nous étant le commun des mortels - si la ville de Charleroi n'avait mis en lumière l'affaire du 1er prix attribué à Giovanni Troilo par le World Press Photo. Bien des interrogations dès cette première phrase. Qui est Giovanni Troilo ? Quel est le prix dont on parle ? Qu'est-ce que le World Press Photo ?
Bien entendu, les avertis en matière de photographie amateurs ou professionnels ne se sont pas posé ces questions. Ils savent eux ! Mais, la béotienne que je suis - juste bonne a prendre quelque clichés souvenirs avec un appareil de poche - n'avait pas la moindre idée de ce dont on parlait. L'inspectrice Necile s'est donc mise en chasse et nous livre ici le fruit de ses recherches et ses réflexions personnelles...
L'accusé : Giovanni Troilo - né à Putignano (Ba) le 4 juin 1968, 46 ans de nationalité italienne, diplômé avec mention en économie avec un diplôme en géographie du développement.
Il a commencé la photographie encore adolescent et a obtenu d'importantes collaborations avec des journaux, des magazines, dans la publicité et à la télévision. Il a dirigé des spots, des vidéoclips, des courts et long métrages et fait de nombreuses photographies.
Les faits reprochés : Il a participé à un concours et a remporté le premier prix de la catégorie "Contemporary Issues" avec une série de clichés de la ville de Charleroi pour le titre 'The dark heart of Europe" (Le cœur noir de l’Europe)
La polémique : La ville de Charleroi par la voix de son bourgmestre demande le retrait du prix de Troilo. Il a adressé un courrier au New York Times et au jury du World Press Photo en ce sens. Paul Magnette dit sa surprise et son désarroi. Il pense que ce sujet photographique littéralement monté de toutes pièces (…) est une grave falsification de la réalité portant préjudice à la Ville de Charleroi et à ses habitants ainsi qu’au métier de photojournaliste (...) une mise en scène renforçant la dimension dramatique des images (...) le caractère falsifié et mensonger des légendes, le travestissement de la réalité, la construction d’images chocs mises en scène par le photographe, malhonnêtes et qui trahissent les bases de l’éthique journalistique.
Charleroi, La Ville La Noire (The Black City), une ville près de Bruxelles, symbolise par elle-même toute l'Europe. L'écroulement de la fabrication industrielle, l’accroissement du chômage, l'immigration croissante, la recrudescence de la micro criminalité. La régression de la protection sociale, le manque d'une identité partagée. Ce reportage est un voyage aux racines de ma famille, qui a immigré d'Italie dans la région de 1956 pour travailler dans l'industrie sidérurgique. Deux générations ont réussi sur cette terre promise ais depuis, tout a changé. À ce carrefour des populations unies sous le même toit d'offres d'emploi ont été laissées sans rien à partager depuis que le travail a disparu. Aujourd'hui le malaise social se combine avec les vies des habitants. Les routes autrefois fleuries et propres apparaissent désolées et abandonnées, les industries ferment et la végétation spontanée envahit les vieux quartiers industriels. Un sexe pervers et malade, la haine raciale, l'obésité névrotique et l'abus de médicaments psychotropes semblent être les seuls remèdes capables de rendre acceptable ce malaise endémique. La même chose dans une échelle plus large arrive en Europe. Cela a-t-il un sens de rester ensemble quand la mission initiale a presque échoué ? Sera-t-il possible d'avoir une autre chance ? C'est la question pour l'Europe, c'est la question pour Charleroi, le cœur sombre de l'Europe.
Les conduites d'approvisionnement en gaz se déploient le long des maisons construites près des usines métallurgiques de Charleroi. Avant l'électrification du haut fourneau, ces conduites fournissaient l'énergie nécessaire à l'activité.
Ma grand-mère a vécu dans cette maison de santé. Aujourd'hui sa fille, ma tante y habite aussi. Le propriétaire est très attentionné, tous ceux qui travaillent ici semblent fiers de l'hospitalité de la structure qui s'occupent des personnes âgées et de ceux qui ont des problèmes psychiatriques. La femme qui a la tête est l'amie de ma tante.
Une boîte contient la dose journalière de médicaments donnés aux patients calmes dans la maison de soins
Mon cousin a accepté de se laisser photographier pendant qu'il fourniquait avec une fille dans la voiture d'un ami. Pour eux ce n'était pas étrange. Il existe des parkings populaires pour les couples échangistes ainsi les célibataires hommes et femmes peuvent regarder anonymement à travers les vitres embuées. Le honte est morte a dit quelqu'un à Charleroi
A Charleroi le plus haut et le plus nouvel immeuble est le bureau de la police haut de 75 mètres. Il a été inauguré cet été. C'est le véritable phare de la loi avec une lumière intermittente qui en vient du sommet. Presque toutes les nuits, les hélicoptères surveillent la vie nocturne de la cité.
Philippe habite dans l'un des quartiers les plus dangereux de la ville.
Un officier de police quelques minutes avant une charge contre les hooligans.
Vadim, un peintre qui utilise des modèles vivants. Dans certaines de ses oeuvres, des scènes de cannibalisme sont représentées. Ici il était inspiré par une peinture déjà existante.
Maitre Doberman et Clara la Chienne, sa femme, reçoivent des invités dans un immeuble qui semble abandonné dans les environs de Marchienne au Pont. Dans cette photo, il fait confronter sa femme à ses peurs.
J. garde don arme cachée dans une boite enfouie dans les bois du Bois du Cazier. Cela est plus sécuritaire que de la garder chez soi puisqu'il reçoit régulièrement la visite de la police.
Quelques rétroflexions qui n'engagent que moi.
Le photographe a choisi 10 clichés pour le concours World Press Photo. Sur son site Internet, on en trouve d'autres dans la même veine. Et, si les photos sont "bonnes" parlant de lumière, de composition, de cadrage, les sujets explorés pour illustrer une ville en reportage journalistique sont eux fort discutables. Les légendes qui illustrent les clichés montrent que certaines photographies sont des constructions - rien à voir donc avec le travail du journaliste - et d'autres sont purement mensongères. Par le plus grand des hasards dans une ville de 200.000 habitants, je connais un des personnages photographié qui d'ailleurs explique sur sa page Facebook la genèse du cliché.
Je suis donc sincèrement triste pour monsieur Troilo lui si ce qu'il photographie sont les seules visions qu'il a de la ville qu'il dit avoir visité plusieurs fois.
C'est bien connu, je n'ai pas un amour démesuré pour Charleroi. La ville est sale, mal entretenue tant par les citoyens que par les autorités. Elle vit avec des nids de poule sur ses routes, des trottoirs défoncés maculés de déjections canines, un habitat globalement vétuste et ne répondant plus aux normes de bien être et d'économies d'énergie. Contrairement à ce que j'entends souvent, la population n'est pas sympathique. Il suffit pour s'en convaincre de rentrer dans les commerces, de se rendre dans les services publics, les hôpitaux... La ville est dangereuse et mal fréquentée. Y aller, c'est pendre des risques tant pour ses biens que pour sa personne. Les "grands travaux" censés rendre la ville conviviale la rende au contraire impersonnelle et surtout sans histoire. On arrive à se demander si tout ce qui a fait le passé de cette cité jadis prospère dérange. Mais la folie de tout mettre à terre a débuté il y a longtemps déjà avec la destruction de la maternité reine Astrid devenue stade de football sans toutes les autorisations requises. Elle s'est poursuivie avec celle de bâtiments remarquables, des colonnades, d'un haut fourneau... Ainsi, plutôt que de réhabiliter et d'entretenir, on démolit pour reconstruire en neuf. On appelle cela de la rénovation urbaine... Parmi les projets déjà finalisés, l'hôtel de Police dessiné par le célèbre architecte Jean Nouvel bouge, prend l'eau et est mal conçu pour ceux qui doivent y travailler ; le nouvel hôpital Marie Curie est un navire sans grâce et sans charme, la place de la Digue entièrement recouverte de pierre bleue est froide et triste, la gare de Charleroi-Sud pourtant assez réussie devrait encore changer de visage si le projet pharaonique de la SNCB voit le jour tandis que les quais de Sambre sont sans âme mais avec une placerelle.
J'ai les plus grandes craintes pour la suite de la métamorphose : La Ville Basse et son chantier gigantesque Rive gauche où seront installés 110 000 m² de commerces, de logements, un hôtel et du parking entre la Sambre et le boulevard Tirou, Médiasambre, la maison des médias, place de la Digue, la caserne des pompiers à Marcinelle... Je laisse pourtant le bénéfice au temps. On verra. Mais pour être tout à fait sincère, je me sens peu concernée ; je vais rarement en ville et je m'échappe dès que j'en ai la possibilité du bruit et des odeurs.
Néanmoins, et c'est ça l'espoir, je connais de jolis coins agréables, des gentilles personnes, des initiatives intéressantes, des bâtiments exceptionnels que je peux faire découvrir à ceux qui ont envie de voir autre chose que la plus incroyable cité industrielle d'Europe, classée la plus laide du monde. Bienvenue au Pays de Charleroi.
" le nouvel hôpital Marie Curie est un navire sans grâce et sans charme " Je rajouterais juste : et sans grand équipage !! Oh mon bateau oh oh oh , y a pas que toi qui prend l'eau oh oh oh ^+^
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RépondreSupprimerWorld Press Photo confirme le premier prix à Giovanni T... - lavenir.net http://www.lavenir.net/article/detail.aspx?articleid=dmf20150301_00609105 via @lavenir_net
Tu m'étonnes Simone.
RépondreSupprimerLe problème de la «réalité augmentée» dans le journalisme photo devient de plus en plus criant..et pas seulement à Charleroi.
RépondreSupprimerIl y a un an ou deux, le cliché ayant remporté le premier prix du World Press Photo nous présentait un Palestinien courant avec un bébé dans les bras : éclairage hollywoodien, arrière-plan trafiqué, etc. Est-ce que la scène avait été prise sur le vif? Le traitement me permet d'en douter...
Il n'y a pas que les magazine de mode qui trafiquent les photos; les journalistes aussi.
J'attendais ton commentaire !
RépondreSupprimerPour moi seule la première photo est représentative de la ville.
A vaincre sans péril ; on triomphe sans gloire ;)
Voilà maintenant que, non seulement il y aurait eu mise en scène, mais certaines photos ne seraient pas de Charleroi!
RépondreSupprimerhttp://petapixel.com/2015/03/04/world-press-photo-reopens-investigation-after-new-accusations-emerge/
http://www.lesoir.be/812460/article/actualite/belgique/2015-03-04/world-press-photo-retire-son-prix-giovanni-troilo-pour-son-travail-sur-charleroi
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