jeudi 17 mai 2018
Poil de Carotte - Le toiton
Ce petit toit où, tour à tour, ont vécu des poules, des lapins, des cochons, vide maintenant, appartient en toute propriété à Poil de Carotte pendant les vacances. Il y entre commodément, car le toiton n’a plus de porte. Quelques grêles orties en parent le seuil, et si Poil de Carotte les regarde à plat ventre, elles lui semblent une forêt. Une poussière fine recouvre le sol. Les pierres des murs luisent d’humidité. Poil de Carotte frôle le plafond de ses cheveux. Il est là chez lui et s’y divertit, dédaigneux des jouets encombrants, aux frais de son imagination. Son principal amusement consiste à creuser quatre nids avec son derrière, un à chaque coin du toiton. Il ramène de sa main, comme d’une truelle, des bourrelets de poussière et se cale. Le dos au mur lisse, les jambes pliées, les mains croisées sur ses genoux, gîté, il se trouve bien. Vraiment il ne peut pas tenir moins de place. Il oublie le monde, ne le craint plus. Seul un bon coup de tonnerre le troublerait. L’eau de vaisselle qui coule non loin de là, par le trou de l’évier, tantôt à torrents, tantôt goutte à goutte, lui envoie des bouffées fraîches. Brusquement, une alerte. Des appels approchent, des pas. – Poil de Carotte ? Poil de Carotte ? Une tête se baisse et Poil de Carotte, réduit en boulette, se poussant dans la terre et le mur, le souffle mort, la bouche grande, le regard même immobilisé, sent que des yeux fouillent l’ombre. – Poil de Carotte, es-tu là ? Les tempes bosselées, il souffre. Il va crier d’angoisse. – Il n’y est pas, le petit animal. Où diable est-il ? On s’éloigne, et le corps de Poil de Carotte se dilate un peu, reprend de l’aise. Sa pensée parcourt encore de longues routes de silence. Mais un vacarme emplit ses oreilles. Au plafond, un moucheron s’est pris dans une toile d’araignée, vibre et se débat. Et l’araignée glisse le long d’un fil. Son ventre a la blancheur d’une mie de pain. Elle reste un instant suspendue, inquiète, pelotonnée. Poil de Carotte, sur la pointe des fesses, la guette, aspire au dénouement, et quand l’araignée tragique fonce, ferme l’étoile de ses pattes, étreint la proie à manger, il se dresse debout, passionné, comme s’il voulait sa part. Rien de plus.
L’araignée remonte. Poil de Carotte se rassied, retourne en lui, en son âme de lièvre où il fait noir. Bientôt, comme un filet d’eau alourdie par le sable, sa rêvasserie, faute de pente, s’arrête, forme flaque et croupit.
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