Les résultats viennent de tomber au 22ème concours - Fais-moi un conte 2015-2016 du foyer culturel de Philippeville et je n'ai pas été sélectionnée contrairement à une de mes amies. C'est finalement une chance puisque lors de la finale adulte du 19 mars, je serai sous d'autres cieux...
Je ne résiste pas à partager mon texte qui m'a donné beaucoup de plaisir en l'écrivant. Bonne lecture.
Chhhhuut, c’est un secret !
Au cœur de la forêt d'Ardenne, pays de contes et légendes où se croisent entre les rochers, près des sources ou dans les clairières, des nutons et des fées, vit un jeune couple. Ils ne sont mariés que depuis quelques mois mais la femme est déjà grosse d'amour. C'est le début du mois d'avril au moment où l'hiver n'est pas décidé à s'en aller alors que le printemps s'agite déjà. C'est un samedi et plus précisément, la veille du jour de Pâques. Toutes les femmes du village se pressent chez la coiffeuse pour se faire une belle tête, Elles veulent être à leur avantage pour la messe du lendemain. Le salon ne désemplit pas et ça lave, ça sèche, ça frise jusqu'à bien tard dans la soirée. Les pieds enflés, les jambes gonflées, le dos ployé, la nuque raidie, la peau du ventre qui n'en peut plus de se tendre, la coiffeuse ferme sa porte sur la dernière cliente. Le nettoyage attendra demain ou après-demain. Maintenant c'est le temps du repos. Elle retrouve l'homme, en bleu de travail, la casquette visée sur la tête, les pieds sur le fauteuil parce que lui aussi est fatigué. Il a bricolé toute la journée. Il a terminé le berceau de l'enfant à naître, bâti une table à langer avec des rangements pour les couches, le talc et la crème, remis en état le landau prêté par la voisine, nettoyé la cour, donné à manger aux bêtes et pensé aux semis de la semaine à venir. Las, ils montent dans leur chambre sans prendre la peine de manger et ne sont pas longs à se retrouver aux pays des rêves où courent des gamins en culottes courtes et des fillettes aux nattes terminées par des rubans. Ils imaginent un enfant, leur enfant, un garçon, un petit gars bien portant, un bon élève qui aura plus tard un bon métier... C'est ainsi que ça se passe au cœur de la forêt d'Ardenne.
Les cloches de l'église sonnent trois heures lorsque la femme s'éveille dans une douleur intense qui lui vrille le corps. Elle se sent trempée dans son lit mouillé. La poche des eaux s'est rompue et le travail de l'enfantement a commencé. Elle secoue l'homme. Vite, il faut aller chercher le médecin. L'enfant arrive. La douleur revient, plus forte, plus longue. De plus en plus forte. De plus en plus longue. Le ventre se contracte. De plus en plus vite. De plus en plus fort. L'homme a appelé la voisine, mère de huit enfants qui connaît bien la chanson. Déjà elle s'affaire dans la cuisine, fait chauffer l'eau, prépare le seau, les draps et les serviettes. Elle écoute les cris qui descendent de l'étage et lorsqu'un plus plus aigu que les autres parvient jusqu'à elle, elle sait que le moment est arrivé et qu'elle devra faire naître l'enfant. Elle monte les escaliers avec précaution, les bras chargés en priant que tout se passe bien. Lorsqu'elle regarde sous le drap, la tête de l'enfant est déjà engagée. Et pousse que je grogne. Et pousse que j'halete. Et pousse que je donne la vie. Mais la vie est pleine d'imprévus et ce petit Jésus de Pâques tout gluant, mal attrapé, glisse et se retrouve pour ses premiers instants dans le seau en métal. « Quelle chhhhuuut ! » s'exclame-t-elle. Heureusement pas de casse, enfin elle le croit. Le docteur arrive, regarde l'enfant bien dodu et dans ses pleurs, il n'y a rien d'inquiétant. C'est ainsi que les cloches de l'église sonnent quatre heures.
Au matin, l'histoire de la chhhhuuut se répand dans le village. Elle vole de portes en fenêtres, entre par les cheminées et ressort par les boites aux lettres pour se retrouver à onze heures en chaire de vérité.
-«Mes biens chers frères, ce matin un nouveau paroissien a fait une entrée fracassante dans la vie. Il a fait une chhhhuuut. Prions pour lui et ses parents».
Les prières ont été entendues. L'enfant grandit en taille et en sagesse. On le voit peu. On l'entend encore moins. Et, même s'il a reçu un prénom de baptême, tout le monde l'appelle Chhhhuuut en souvenir du jour de sa naissance. Chhhhuuut reste seul dans la cour de l'école. Il est seul sur son banc au fond de la classe. Il ne bavarde pas, ne répond que si on l'interroge. Il joue dans son coin, rêvasse et personne, pas même ses parents, ne sait à quoi il pense.
-« Chhhhuuut, c'est un secret » disent les commères.
-« Chhhhuuut, c'est un secret » soupirent son père et sa mère.
Et le temps passe.
Chhhhuuut quitte son village.
Chhhhuuut va à l'université.
Chhhhuuut a un beau métier
Et c'est ainsi que l'histoire de la chhhhuuut se répand dans le village.
Et puis un soir, dans un estaminet, Chhhhuuut fait une rencontre, le genre de rencontre qui vous change un homme. Une jeune fille ni grande, ni petite, ni grosse, ni mince, ni laide, ni jolie, une jeune femme qui d'un sourire lui fait oublier son secret, celui de la chhhhuuut. Et le voilà qui se met à parler, à rire, à faire des projets. Il oublie l'enfant seul dans la cour de l'école, seul sur son banc au fond de la classe. Celui qui ne bavarde pas, ne répond que si on l'interroge, qui joue dans son coin, qui rêvasse et dont personne, pas même ses parents, ne sait à quoi il pense.
Car pour lui, comme dans une chanson de Jean Vallée...
« L'amour, ça vous met dans le cœur des crayons de couleurs pour dessiner les monde.
L'amour, on devient musicien, de vrais petits Chopin, rien que pour une blonde.
L'amour, c'est tellement fantastique. Ça met le bonheur en musique. Ça rit de toute sa symphonie. L'amour, ça fait changer la vie.
C'est comme cela que ça se passe un soir dans un estaminet.
Je sais que vous pensez
Que ce n'est rien qu'une histoire.
Des mots inventés
Pour vous faire rire et croire.
Mais je peux vous jurer
Que tout est vérité
Car Chhhhuuut je le connais
Mais « Chhhhuuut, c'est un secret ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire