mardi 19 janvier 2016
La Légende de Persine et Mélusine - Conte de France
Tradition vendéenne
"Si vous essayez de voir une fée
En plein jour
En pleine lumière
En plein midi...
Ça marchera pas !
Les fées
On les surprend parfois à l’aube
Entre deux lumières
Émergeant de la brume
Ou sous la lune pleine"
Elinas, roi d’Écosse, a semé ses suivants au cours d’une partie de chasse. Il est maintenant seul, sur son cheval, au beau milieu de la forêt, gouttant à une tranquillité qui lui est assez peu familière. Il finit par déboucher dans une grande clairière au milieu de laquelle se trouve une fontaine. La fée Persine, reine des fées d’Écosse, s’y baigne. Elle n’entend pas le roi s’approcher, sans doute trompée par les éclats de la chasse qui se perdent dans le lointain. Elle est d’abord surprise, puis elle reconnaît le roi qui reste interdit, bras ballants, devant une telle apparition...
Le roi, en un clin d’œil, des sommets du pouvoir, des cimes de la richesse, tout roi qu’il est, le roi Elinas d’Écosse tombe... en amour.
La fée est sortie de la fontaine et se tient devant lui, magnifique et élancée, entièrement nue... Et le cœur d’Elinas bat la chamade, galope même !
Le cœur du roi se rend à cette femme qui semble si fragile
A cette reine de l’autre monde...
- Je m’appelle Persine, lui dit la fée. Je suis reine de mon peuple et nos deux destins sont désormais intimement entremêlés. Je sais lire les signes et déchiffrer les cœurs, sans jamais me tromper... Et c’est là mon pouvoir ! Nous allons nous marier, ô roi... Mais avant tu dois me promettre, que jamais tu ne chercheras à me voir du temps de mes couches.
Ainsi parle la fée, et le roi fait le serment attendu.
Les épousailles sont bientôt célébrées et le bonheur règne sur le pays. De leur union naissent trois filles : Mélusine, Mélior et Palestine. Il sont heureux...
Un temps...
Mais le bonheur, ça ne peut que se flétrir. Comme une fleur.
Mataquas, le fils maudit, premier né du roi, d’un premier mariage. Mataquas le jaloux, le fourbe... Mataquas pue-la-haine !
- Pourquoi donc, mon noble père, mon puissant roi, pourquoi cet interdit ? Il y a là-dessous, à n’en point douter, quelque mystère qu’on cherche à vous cacher, quelque trahison sur laquelle on ne voudrait pas que vous portiez les yeux, de peur de votre juste courroux. Ne point la voir du temps de ses couches... Vous êtes en votre royaume ! C’est vous qui commandez !
Le roi est noble et fier, alors au tout début, il refuse d’écouter les paroles de son fils. Manquer à sa promesse, il n’en est pas question une seule seconde...
Mais deux secondes, déjà, c’est bien plus long...
Et les jours
Les mois
Et le venin qui coule intarissable...
Le venin
Qui coule
Intarissable
Le roi est noble et fier, alors il finit par douter. Les démons le tourmentent et lui, seul, il résiste. Mais des démons, on en a toujours à ne plus savoir qu’en faire...
Elinas, roi d’Écosse, car il est noble et fier, entre dans la chambre où Persine baigne ses trois petites.
Persine pousse un hurlement, et au dessus du bruit des larmes de ses filles, désespérée elle lance à Elinas :
- Tu m’as trahie et nos cœurs se déchirent ! Désormais, et par ta faute, je suis perdue pour toi !
Sans un adieu, ni un dernier regard, elle s’envole en fumée avec ses enfants enveloppés dans une serviette rouge. La baignoire est vide, l’eau s’est évaporée, et l’on raconte qu’Elinas effondré l’a remplie de ses larmes.
Persine s’en est allée dans l’île enchantée d’Avallon. Elle y élève ses filles pendant quinze ans. Et chaque matin, un peu avant le jour, elle conduit Mélusine, Mélior et Palestine au sommet de la montagne Fleurie d’Eléonos. De là, elles contemplent le lever du soleil sur les rivages d’Écosse que l’on devine au loin.
- Voyez, mes filles, c’est là que nous aurions dû vivre, heureuses, si votre père n’avait pas manqué à sa parole. La joie aurait été notre quotidien alors que désormais nous sommes condamnées à cette misérable condition...
L’amertume, la nostalgie hantent le cœur de Persine qui ressasse sans arrêt le récit de sa tragique épopée.
Un jour, l’aînée, Mélusine, réunit ses deux sœurs en secret pour les entretenir d’un plan :
- Pendant ce temps qui est passé, j’ai bien réfléchi... Tout est la faute d’Elinas, notre père. Nous sommes maintenant versées dans les sciences magiques... Il serait juste qu’il paie encore plus durement le tourment dans lequel il nous a plongé.
Il serait juste
Qu’il paie
Encore plus durement
Le tourment dans lequel il nous a plongé !
Les sœurs acquiescent ; le roi d’Écosse se retrouve enfermé dans la montagne de Northumberland, que l’on appelle encore Brumblerio. A tout jamais...
Enfermé !
Il serait juste
Qu’il paie
Encore plus durement
Le tourment dans lequel il nous a plongé !
Les enfants sont cruels...
- Misérable filles ! leur dit leur mère quand elle apprend la nouvelle. Qui êtes-vous pour oser juger le destin ? Qui croyez-vous être pour vous substituer à son bras vengeur ? Qui pensiez-vous ainsi châtier ? Vous n’avez plus votre place sur l’île enchantée d’Avallon et nous devons ce jour nous séparer pour ne plus nous revoir.
Elle s’adresse alors plus particulièrement à Mélusine :
- Quant à toi, qui est la plus savante, toi par qui tout est arrivé, écoute maintenant quel est ton châtiment. Tu seras désormais, chaque samedi, Serpente du nombril jusqu’aux pieds. Si jamais tu viens à te marier, ton mari ne devra jamais te voir sous cet aspect ni connaître ton lourd secret. A cette condition tu vivras et mourras comme une femme, sinon tu connaîtras la solitude et les tourments sans fin ! Mais quoiqu’il en soit tu seras la source d’une noble et courageuse descendance qui commettra de hauts faits.
Adieu, ma première fille, et ne reviens jamais...
Les trois sœurs se sont séparées ; Persine, quant à elle, est restée en Avallon, toute seule avec ses souvenirs et son chagrin.
Mélior deviendra reine des étoiles filantes et Palestine princesse des cygnes blancs. Mais ce sont là d’autres histoires...
La jeune Mélusine va par les chemins, elle arrive en terre de France et erre dans les forêts du Poitou. Au fil du temps, son cœur s’apaise et une belle nuit, elle lit dans les étoiles qu’elle est désormais capable d’aimer. Alors, comme le soleil se lève, du plus profond d’elle jaillit un rire pur et cristallin...
Et le temps passe encore et une belle nuit, elle lit dans les étoiles que désormais elle pourra elle aussi être aimée. Elle se rend alors à la fontaine de Sé, au milieu de la forêt de Colombiers. Là, elle quitte sa robe et entre dans l’eau claire pour s’y baigner au clair de la lune.
Cette même nuit, le jeune Raymondin galope dans la forêt . Droit devant lui, il ne fait rien pour éviter les branchages qui viennent lui déchirer le visage. Il a mal, la douleur le déchire car la fatalité a fait de lui un meurtrier. En effet, lors d’un terrible accident de chasse il a ôté la vie à son oncle Aimeri, le comte du Poitou.
Il galope pour oublier.
Si seulement il pouvait oublier !
Il galope sur sa monture hors d’haleine qui l’accompagne au bout de la folie...
La chevauchée maudite débouche dans une clairière où soudainement le cheval se met au pas. Raymondin pose pied à terre... et il s’approche de la fontaine, comme hypnotisé.
- Je t’attendais, lui dit la fée. Il n’y a pas de mots qui puissent te consoler, pas d’actes qui puissent revenir contre le temps passé. C’est le destin, nous devons y faire face car c’est le lot de toute créature qui pense et qui respire au monde.
Et Raymondin, en un clin d’œil, des profondeurs de la folie, des abîmes du désespoir, là où l’obscurité est si opaque que l’on s’y prend les pieds et que l’on tombe encore plus bas, et que l’on se relève pour tomber encore, et bien Raymondin est illuminé... par l’amour.
- Il faisait froid, dit-il. Mais cette étrange chaleur tout d’un coup... C’est vous ?
- Mais non, c’est toi !
- ...
- Je m’appelle Mélusine. Je vais t’accompagner et nous allons nous marier, Raymondin. Mais avant, tu dois promettre, tu dois me jurer que jamais que tu ne chercheras à me voir le samedi. A cette seule condition nous serons heureux.
Et Raymondin fait le serment attendu.
Mélusine lui conseille de retourner à la cour du nouveau comte du Poitou et de lui dire toute la vérité sur l’accident de chasse. Raymondin écoute son conseil, on lui pardonne, et il obtient même pour son mariage le fief de Lusignan.
Peut-être la fée a-t-elle tiré magiquement dans l’ombre les ficelles du destin en faveur de Raymondin... Qu’importe, les premières démonstrations au grand jour de ses pouvoirs sont spectaculaires : la nuit précédent les noces, elle bâtit une chapelle où a lieu la cérémonie et la forteresse de Lusignan dans laquelle le jeune couple s’installe.
Le bonheur est là, le pays est prospère.
Chaque nuit, Mélusine fait construire des châteaux, des abbayes et des chapelles, au petit peuple de la terre. Gnomes, lutins, farfadets, korrigans, à son service, de quelques pierres et d’un peu d’eau érigent les tours, clochers, dressent vers le ciel édifices et villes entières avant que le soleil ne reprenne sa course. Vouvant, Mervent, les forteresses de Tiffauge, Talmont et Partenay, la tour de Saint-Maixent, les tours de garde de La Rochelle et de Niort, l’église de Saint-Paul-en-Gâtine, et bien d’autres... Toutes ont eut le même architecte : Mélusine. Et si un curieux surprend la bâtisseuse au travail, elle s’arrête et laisse le chantier en l’état. C’est pour cette raison qu’il manque une fenêtre à Merrigoute ou la dernière pierre de la flèche de l’église de Parthenay.
Personne ne s’étonne ! Comme si c’était normal...
Parfois aussi on entend son rire enfantin qui soulage les peines les plus lourdes à porter.
L’amour qu’elle partage avec Raymondin est sans faille, limpide comme l’eau de la fontaine de Sé. Elle lui donne dix fils !
Dix enfants bien étranges... Bizarres comme on dit...
Antoine porte à sa joue une griffe de lion, Guion a un œil plus haut que l’autre, Geoffroy avec sa dent de plus d’un pouce, Urian avec un œil rouge et l’autre pers, Oron aux oreilles phosphorescentes semblables à celles d’un chien, Froimond gros nez, Thierry l’homme-singe, Raymond qui est transparent, Armand haut-comme-trois-pommes, et Renon le plus grand mais dont la langue traîne par terre.
La famille est riche, alors on ne pose pas trop de questions...
Mais tout de même
A bien y regarder
Quand on réfléchit un peu
Ça saute aux yeux !
C’est pas normal !
Pas normal...
Combien de Mataquas pourrissent le monde ? Combien de vipères...
Raymondin a un frère, le conte Forez.
- Écoute-moi, mon frère, c’est le soucis de ton honneur et de ton renom qui a guidé mes pas. Ton bonheur seul m’importe et tu sais bien que je sacrifierais tout ce qui m’appartient pour toi. Écoute-moi, mon frère, on jase en ville. Tes enfants, ta femme qui se cache une fois par semaine... M’est avis qu’elle pratique le coït, l’accorte bougresse, avec le démon !
Raymondin est noble et fier, alors au tout début, il refuse d’écouter les paroles de son frère. Manquer à sa promesse, trahir la confiance, il n’en est pas question une seule seconde...
Mais deux secondes...
Le venin, distillé, purifié, corrosif, coule...
On jase en ville...
Tes enfants...
Ta femme...
L’accorte bougresse...
M’est avis qu’elle pratique le coït !
Raymondin est noble et fier, alors il finit par douter. Sa confiance s’effrite. Un samedi, rongé jusqu’en son cœur crépitant, il se rend devant la porte interdite. Avec la pointe de son épée, il en perce le bois et il peut bientôt voir tout ce qui se trouve de l’autre coté.
Dans une immense cuve de marbre blanc, sa femme se baigne. Elle peigne ses longs cheveux, nue de la tête jusqu’au nombril. Dans l’eau trempe une gigantesque queue de serpent qui claque de temps à autres et projette des éclaboussures jusqu'à la voûte de la chambre.
- Trahison ! hurle Mélusine. Nous sommes, mon amour, tous deux damnés ! Toi parce que tu me perds à tout jamais et moi car je retourne au monde des esprits errants et sans abris !
Et elle disparaît par la fenêtre, comme une tornade, en poussant une longue plainte.
On prétend qu’elle n’abandonna pas ses enfants pour autant, et qu’elle revint régulièrement la nuit s’occuper d’eux, jusqu'à ce qu’ils fussent en âge de se passer d’elle. Ils grandirent, et selon la prophétie de Persine, donnèrent naissance à d’illustres lignées.
Trois mois avant la mort de Raymondin, qui s’était fait ermite à Montserrat, Mélusine apparut à chacun d’eux ; vision d’une femme tourmentée et gémissante, tournoyant seule en peine dans le ciel. De nos jours, on l’aperçoit encore lorsqu’une forteresse de la famille est vendue, ou bien encore lorsqu’un des héritiers de ses fils est proche du trépas.
Âme damnée, âme perdue, âme en peine...
Mélusine, la fée rieuse, la fée bâtisseuse.
Mélusine la fée amoureuse.
Plus je dirai et plus je mentirai.
Le récit de la fête est déjà la moitié de la fête
Un mot dit à l’oreille est parfois entendu de loin
On gagne toujours à taire ce qu’on n’est pas obligé de dire
Méfiez-vous des histoires...
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