mardi 17 juin 2014

ROME - 28 et 29 mars 1983


ROME - 28 et 29 mars 1983 

" Symposium DIMOR : Développement de l’Internet - Mythe ou réalité ? "
Lorsqu’ils ont appris que je partais pour Rome, mes collègues à l’université m’ont dit : " Tu verras, c’est très beau ! ". Mais Rome n’est pas belle, elle est bien plus que ça. Rome est fascinante, Rome est multiple, Rome est unique, Rome est la mère de toutes les civilisations, elle est éternelle.
A peine ai-je posé le pied sur le tarmac de l’aéroport Léonardo da Vinci que déjà la chaleur m’accable. Il n’est que 11 heures en ce matin du 27 mars. J’ai chaud. C’est le printemps romain.
D’où je me trouve, je ne peux déceler nulle trace de végétation mais je l’ai aperçue tout à l’heure, par le hublot pendant la phase d’approche. Je sens la nature prête à affronter une nouvelle saison.
Le printemps je ne l’embrasserai qu’à l’extérieur, une fois le contrôle douanier franchi et mes bagages confiés au préposé de l’hôtel " Holiday Inn Minerva ". Il m’attend dans le hall, une écriteau à la main. Après un court échange, car il ne parle ni le français, ni l’anglais, et moi seulement quelques mots d’italien, nous montons dans l’Alfa Romeo qui nous emmène au centre de la ville.
Les trente kilomètres défilent à une allure vertigineuse. Vingt fois, nous frôlons la collision vingt fois, le chauffeur s’en tire par miracle. La conduite ici est bien ce qu’il est dit dans les livres : rapide et dangereuse. Quelques gestes, quelques mots, quelques coups de klaxon et notre voyage se poursuit. Sur le chemin, je n’ai pas assez d’yeux pour tout admirer, mais déjà la voiture s’arrête devant l’hôtel.
Ma chambre est pareille à toutes les chambres de ceux qui ont beaucoup voyagé par envie ou par nécessité et je ne m’arrêterai aux détails d’une pièce où je ne ferai que dormir.
J’enfile des vêtements plus légers et je pars à la découverte de la cité qui durant deux jours accueillera en son sein un colloque international sur le développement de l’Internet.
Dehors, la Piazza della Minerva est mi-ombre, mi-soleil et l' éléphant de marbre du Bernin, son petit obélisque sur le dos et sa trompe recourbée vers l’arrière, semble défier le temps. Le vers de Joachim Du Bellay effleure ma mémoire : " Rome seule pouvait à Rome ressembler ".

Piazza della Minerva - Rome
Ici, le temps et la dimension des choses ne sont plus les mêmes. Le temps n’est pas derrière moi mais sous mes pas, par couches successives et ce sur quoi mes yeux se posent me semble infiniment grand. Cette ville dépasse toute mesure. Et de cet écrasement naît en moi une impression d’éternité. Tout concours à me rappeler que Rome existait bien avant moi et sera encore longtemps après moi.
Une jeune femme blonde, belle comme un rêve, légère comme un elfe, vient de sortir de l’hôtel. Je la regarde passer, elle semble voler. Elle me sourit. Quelque chose d’indéfinissable et d’irrésistible émane d’elle. Elle laisse dans son sillage un parfum inconnu mais agréable et envoûtant. Elle tourne à droite, je prends à gauche. Chacun suit son chemin.
J’erre dans Rome, mon guide touristique à la main pour ne rien perdre des " endroits à ne pas manquer ". L’odeur de la ville pénètre mon corps et me transcende. Demain, je serai enfermé dans une salle de conférences à écouter des interventions parfois lénifiantes alors que dehors, sous le soleil, les terrasses regorgeront de Romains et de touristes. Il n’est pas toujours facile de concilier voyage professionnel et tourisme culturel dans des endroits aussi magiques. L’envoûtement de la cité tient certainement à l’incohérence de son urbanisation anarchique, à ces époques qui s’entremêlent.
Mes errements me conduisent de places en fontaines, d’églises en temples, de musées en palais jusqu’au forum Boarium. Sous le porche de l’église Santa Maria in Cosmedin, je viens admirer l’énorme face de triton qui provient d’une fontaine détruite depuis des siècles. L’inconnue blonde de l’hôtel est là à quelques pas de moi. Je m’avance. Elle me regarde souriante et me demande :
- Vous êtes Français ? Je m’appelle Marie. Je suis informaticienne. Je participe au colloque sur l’Internet.
Mon visage doit refléter l’étonnement et elle s’en rend compte. Je ne parviens pas à articuler un mot. Il reste coincé au fond de ma gorge. Je suis tétanisé, coulé dans le marbre des statues. Mes yeux ne peuvent se détacher de son visage et de son sourire.
Son rire clair me ramène à la réalité et me sort lentement de ma torpeur. Elle m’explique qu’à la réception de l’hôtel, l’employée lui a appris qu’un " autre Français, invité au colloque, venait juste de partir " Elle m’a aperçu de dos au moment où je sortais et elle en a déduit que c’était moi.
Devant mon air éberlué, elle tend la main vers " la bouche de la vérité " en disant :
- Savez-vous qu’au Moyen Age cette bouche formulait des oracles ? On soumettait les menteurs au jugement de Dieu. Innocent, l’accusé conservait sa main ; parjure, il la perdait. Bien entendu, les tribunaux aidaient quelque peu Dieu à prononcer ses jugements. Croyez-vous que je vais garder ma main ?
Je rassemble mon courage. Mon cœur bat dans ma poitrine à tout rompre. Il bat tellement fort que je suis persuadé qu’elle l’entend.

Bocca della Verità - Rome
- Je vous crois sur parole. Mon nom est Emile mais je ne suis pas Français. Je suis Québécois, j’habite à Montréal.. Puis-je vous offrir un café ? Nous aurons le loisir de faire plus ample connaissance.
Durant trois jours, nous ne nous sommes pas quittés. Avec Marie, les rues et les fontaines ont pris un éclat particulier. Nous avons marché, nous avons visité, nous avons beaucoup parlé, et nous avons même fait des achats : une cravate pour moi et un foulard pour elle.
Notre séminaire s’est réduit à ramener les actes du colloque. J’ai cependant fait l’intervention pour laquelle j’étais invité.
Le matin du quatrième jour, nous avons repris le même vol pour Paris. A Roissy, nos adieux ont été difficiles. Il m’a semblé qu’une partie de moi restait en France à moins qu’elle ne soit restée en Italie. Marie a regagné son appartement du XVème arrondissement ; moi, j’ai poursuivi ma route vers Montréal encore plein de sa présence et de son parfum.

La reverrai-je ? Je ne sais pas encore mais tout en moi l’espère.

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