mercredi 13 mai 2015

Apprendre à dire MERCI


Je me suis toujours demandée à quoi cela ressemblait de devenir vieille. Non pas être vieille, avoir des cheveux blancs, des rides, des articulations douloureuses, des problèmes de mémoire et d'autres problèmes dont on ne parle pas. Juste se sentir vieille. Comprendre que ce que je suis, ce que je vis, ce que je crois, ce en quoi je crois n'est plus en adéquation avec le monde qui m'entoure. Me perdre dans ledit monde et ne plus en comprendre ses usages. Me dire que c'était mieux avant, que jamais cela ne se serait passé de la sorte...

Jusqu'à présent, j'ai toujours surfé sur la vague, acceptant des paroles, des gestes, des attitudes très éloignés de l'éducation que j'ai reçue. Accepter ne voulait pas dire être d'accord mais seulement regarder avec un œil amusé, plaindre parfois les individus ou me sentir impuissante à leur venir en aide. Leurs vies n'est pas ma vie et un mot de moi aurait semblé anachronique. J'ai donc "laissé béton" jusqu'à ce matin car c'est ce matin que je suis devenue vieille.


Mais il faut que je vous explique.

Pour moi, oui et non ont le même nombre de lettres et il est aussi facile de dire oui aux choses que de leur dire non. J'ai toujours fonctionné comme cela. Tu veux bien m'aider ? Oui Tu veux bien le faire ? Oui. Tu n'as pas ceci ? Oui. Tu n'as pas cela ? Encore oui. Des décennies de oui. Encore et encore. Cela m'a conduit dans un château en Normandie, dans une maison dans les vignes du Val de Loire, dans la ville de naissance du Chè et de Lionel Messi, à la gare de Bertrix... J'ai transporté, nettoyé, peint, bricolé, écouté, conseillé, consolé... J'ai donné sans compter du temps et parfois même de l'argent. Tout cela pour pas un radis mais quand même un merci.

L'histoire pourrait continuer jusqu'à mon dernier souffle si je n'avais pas pris conscience aujourd’hui que les choses et les gens ont changé. Le simple merci a pris des airs de vierge effarouchée. Il s'est paré d'une auréole psycho-socio-patho-logique. Désappris par les nouvelles générations, malappris par les plus anciennes, on pourrait croire qu'il est devenu un mot grossier qu'il ne faut surtout pas employer.


Pourtant, ce petit mot de cinq lettre et de deux syllabes est le porteur de tant de joies. Il pourrait même être une des clés du bonheur. Outre le fait d'être un des personnages de la trinité politesse "Bonjour, S'il vous plaît, Merci" qui permet de vivre en harmonie, il a ce petit plus qui relie les gens entre eux. Il est l'expression de la gratitude, l'épreuve de la reconnaissance profonde, la promesse de paix, l'espérance d'épanouissement. Alors pourquoi est-il banni aujourd'hui ?

Savoir dire merci est devenu trop difficile voire impossible pour certains. L'humain s'est déshumanisé. Il ne veut plus partager ses émotions avec ses proches. Merci revient pour lui à contracter une dette envers l'autres. De part son étymologie latine, merces veut dire salaire et un simple mot peut paraître un prix dérisoire pour le geste posé. Lorsqu'une chape de pudeur recouvre sa vulnérabilité, les choses deviennent encore plus difficiles à moins qu'il ne les prenne pour acquis. Le "parce que je le vaux bien" de la publicité. Parmi les "non-remerciants", il y a autant de manquements que d'individus. Chacun a son histoire et sa raison d'en être incapable. Différents chemins pour un même résultat; je suis devenue vieille  et je compte bien jouir du privilège de l'âge : transformer mes oui en non pour ne plus obliger à me dire merci.

2 commentaires:

  1. C'est vrai que le merci se perd souvent dans les dédales du quotidien mais pour celui qui est dit et qui est entendu, il prend l'importance de tous les non-dits ^+^
    MERCI ...

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    1. Pas de pitié pour le merci manquant mais j'apprécie grandement celui-ci. Merci.

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