samedi 22 juillet 2017

Une mère peu ordinaire - Aline Conord



C’est en s’installant dans son panier que la chatte Chiffonnette vit un œuf, un magnifique œuf blanc posé là, par hasard.
- Mais, à qui peut-il bien être ? Pensa-t-elle, il n’est pas venu tout seul ?
Elle alla vite dans la basse-cour, demanda à la cane qui couvait patiemment ses œufs.
- Tu n’aurais pas égaré un œuf chez moi par hasard ?
- Sûrement pas ! J’en ai déjà sept et ça me suffit ! A chacun sa couvée, allez ouste !
Chiffonnette alla trouver la poule et lui posa la même question, celle-ci lui répondit méchamment.
- Dis donc, si tu crois que tu vas me donner tes œufs à couver, tu te trompes d’adresse ma vieille !
La chatte n’en crut pas ses oreilles, quelle idiote cette poule je sais bien que les chattes ne pondent pas.
Chiffonnette rentra dans son panier douillet et parla à son œuf.
- Pauvre petit œuf, que vais-je faire de toi ? Que vas-tu devenir ?
Tout en parlant, elle lécha l’œuf et le prit délicatement sous ses pattes. Comme c’est doux, pensa-t-elle. Et si je le couvais comme la poule et la cane ? On verra bien ce qui va sortir de cet œuf tombé du ciel.

Pendant des semaines, Chiffonnette couva son œuf, elle faisait très attention de ne pas l’écraser, elle dormait très mal et se mit à maigrir.
Elle n’osait pas sortir du panier pour manger car elle avait peur que l’œuf attrape froid. Elle se souvenait que les œufs en couveuse restaient toujours à bonne température pour réussir l’éclosion.
- Je mangerais plus tard, lorsque le petit sera là !
Elle ne doutait pas une seconde que ce petit serait un mâle. Et comment vais-je l’appeler ? Tiens pourquoi pas Crépuscule, j’ai eu cet œuf au crépuscule. Non ! Ce n’est pas joli ; s’il était venu la nuit, je l’aurais appelé nuit et matin pour matin. C’est ridicule ces noms. Je pense que Babyton, ce serait pas mal du tout. Allez va pour Babyton.

Ses efforts furent récompensés, un matin, Chiffonnette entendit : crac-crac, elle sentit sous ses poils un coup de bec.
Chiffonnette s’écarta du panier et regarda avec admiration ce petit œuf bouger. C’était la première fois qu’elle assistait à la naissance d’un poussin, son poussin.
- Comme c’est beau ! Soupira-t-elle, je vais t’aider mon petit !
Lorsque le poussin sortit de sa coquille Chiffonnette le lécha et lustra son duvet ; c’était doux et chaud. Elle jeta les morceaux de coquille hors du panier et à ce moment le poussin poussa de petits piaillements.
- Piou ! Piou !
- Bienvenue Babyton ! Je suis ta maman et toi tu es le plus joli poussin que j’ai mis au monde !
- Piou ! Piou ! Continuait le poussin.
- Tu dois avoir faim ? Mais au fait que mange un poussin ? Avec ton bec, tu ne peux pas me téter et d’ailleurs je n’ai même pas de lait !
- Piou ! Piou !Piou !
- Attends, ne t’affole pas, maman va te chercher à manger. Une souris, je vais te chercher une souris ! ! ! Suis-je bête, les poussins ne mangent pas de souris. Et surtout pas question de demander à la poule ou la cane, elles sont tellement méchantes qu’elles inventeraient n’importe quoi, pour empoisonner mon poussin

Chiffonnette alla dans la basse-cour et regarda discrètement comment se nourrissaient les poules. Il y en avait une qui grattait la terre et d’un coup de bec ramassa un ver.
- C’est çà, se sont des vers que mangent les poussins !
Mais pour attraper des vers lorsque l’on n’a pas de bec, comment fait-on ?
Chiffonnette était rusée. Elle alla dans le hangar, là où le fermier rangeait son matériel de pêche. Elle trouva un grand pot en plastique remplis de vers pour la pêche. Elle attrapa le pot et toute contente de son exploit, l’emporta pour nourrir son petit.
- C’est bon, n’est-ce pas Babyton !
- Piou ! Piou !

Le poussin grandissait de jour en jour. Il ressemblait à un canard, mais pas un canard gris ou noir, il était tout blanc.
- C’est parce que, je le lave trop ! Pensa Chiffonnette.
Elle était fière de sa progéniture et aujourd’hui, elle décida de le sortir pour le montrer à toute la basse-cour.
Ce fut vraiment une catastrophe pour le pauvre poussin. Babyton ne voulait pas jouer avec les autres canetons dans la mare, il trouvait l’eau trop sale. En plus un vilain canard boiteux le traita de poule mouillée. Un autre s’était moqué de son bec volumineux. Babyton est revenu dans le panier douillet en larmes, c’était une épreuve terrible qu’il venait de vivre.
- Maman, Maman ! Hurla Babyton, les canards sont méchants et ils sentent mauvais !
Ils sont méchants car ils ignorent que tu es un canard de race supérieure. Regarde tes plumes comme elles sont blanches et lustrées, c’est parce que je les ai bien lavées. Sois fier et avance dans la cour la tête haute, ne fréquente plus jamais ces canards sauvages !
- Piou ! Piou ! Pleurnicha Babyton, mais alors, si je ne suis pas un canard ni un chat, qui suis-je ? Réponds-moi je suis tellement malheureux !

Très contrariée, Chiffonnette lui raconta de nouveau sa naissance.
- Un jour, tu es tombé du ciel, dans mon panier. Je t’ai soigné, chouchouté, dorloté comme une maman oiseau. Je t’aime mon poussin, c’est moi qui t’ai couvé et donné ce nom Babyton ; aussi ne me le reproche pas !
Sans doute t’ai-je trop lavé, et c’est pour cela que tu es différent des autres ! N’es-tu pas content d’être un canard peu ordinaire ?
- Mais Maman, j’aimerais tant patauger dans la boue comme les autres ! J’aimerais tellement manger du maïs et non du poisson que tu me donnes tous les jours ! J’aimerais aussi courir et nager !
- Nager ? Sûrement pas ! Tu sais comme j’ai peur de l’eau et si je devais te récupérer dans une mare, je me noierais ! Non ! Ne me dis plus de bêtises ?
- Piou ! Piou ! Gémit Babyton.
Chiffonnette regrettait amèrement d’avoir été si dure avec son petit. Comme il est malheureux ! Mais d’où vient-il ? Les canards ne veulent pas de lui. Les poules, n’en parlons pas ! Il est si beau et délicat, la vie dans la ferme ne lui convient pas. Demain je l’emmènerais loin d’ici. Cet endroit si peu hospitalier n’est pas pour lui.

Le lendemain Chiffonnette fit ses bagages, prit Babyton et quitta la ferme.
Je vais t’emmener dans les bois, nous chasserons et nous rencontrerons certainement des oiseaux de ta race !
Le premier jour Babyton était heureux, la forêt en cette période d’automne avait revêtu son manteau de feuilles rousses. Les champignons pointaient leurs têtes curieuses à travers la mousse.
- Salut les amis ! Cria Babyton, en voyant les écureuils rassembler leurs noisettes pour l’hiver.
- Sauvons-nous ! Cria un écureuil, voilà une chatte et son petit qui ne feront qu’une bouchée de nous !
- Ne vous sauvez pas ! Dit de nouveau Babyton, je suis votre ami et j’aimerais jouer avec vous !
Même les oiseaux s’envolaient au passage de Chiffonnette et de Babyton. Les mulots, les souris, tous ces animaux avaient peur des chats. Babyton pleurait :
- Tu vois bien Maman, même ici on ne veut pas de moi ! Je viens de nulle part.
- Calme-toi, c’est normal que les oiseaux aient peur des chats, depuis toujours nous les chassons. Ils n’ont pas remarqué que tu étais des leurs. Essaye de chanter ou de siffler, ils te reconnaîtront !
Babyton gonfla son petit torse et poussa un cri tellement rauque que tous les oiseaux se mirent à rire.
- Drôle d’oiseau ! Piailla un merle, mais où as-tu appris à t’égosiller de la sorte, dans un pigeonnier ?
- C’est ça, moquez-vous de moi vilain merle ! Protesta Babyton. Maman, partons de cet endroit, ce n’est pas ma place ici.
- Attendons demain, nous venons à peine d’arriver et je suis si fatiguée. Au levé du jour tu changeras peut-être d’avis !

La nuit Babyton eut beaucoup de mal à dormir. Les chouettes, les chats huants et les hiboux n’arrêtaient de scruter les deux fugitifs.
- Je ne suis vraiment pas un animal de la forêt, pensa Babyton, c’est lugubre la nuit. Ce doit être difficile de vivre en pleine nature. Je préférais la ferme même si les canards ne m’aimaient guère.
Au petit matin, la rosée vint mouiller le museau de Chiffonnette. Une légère brise finit par réveiller les deux dormeurs.
- Comme il fait froid ! Cria Babyton, vite maman on rentre à la maison !
- Oh ! Bailla Chiffonnette, il y avait bien longtemps que je n’avais dormi aussi profondément !
Elle s’étira, et secoua ses pattes.
- Vois-tu Babyton, à la maison nous prenons de mauvaises habitudes. Le panier est trop confortable, il fait trop chaud, et nous ne savons plus apprécier la nature. Cette escapade dans la forêt, m’a fait le plus grand bien.
Jamais Chiffonnette ne fut aussi loquace ; elle était ravie, sa véritable nature avait pris le dessus. Pour un peu elle serait redevenue sauvage. Pas le petit Babyton, il détestait cette forêt et n’avait qu’une hâte, rentrer le plus rapidement possible.
- Bien, maugréa Chiffonnette, rentrons si tel est ton désir. Je pense que tu es un garnement trop gâté. Mais avant de retourner à la maison, allons faire une ballade au marché.
- Au marché ? Qu’est-ce qu’un marché ? Questionna Babyton.
- Tu verras c’est très amusant, il y a des marchands de légumes, de poissons et même des animaux.
- Cela sert à quoi, un marché ?
- Les enfants et les grandes personnes se promènent, bavardent, font des provisions. C’est l’occasion de se retrouver et de parler de la pluie ou du beau temps. C’est une fête, et peut-être rencontrerons quelqu'un qui connaît tes origines !

Encore une fois Chiffonnette prit tout son temps pour bien laver son petit. Les voilà tous les deux sur la place du village. Il y avait foule et Babyton était tout énervé à la vue de ces gens qui se bousculaient pour approcher les marchands.
Soudain, une voie stridente interpella le poussin :
- Eh ! Toi, le poussinot, tu ne serais pas le petit de la Franquette ?
- Chiffonnette regarda d’où provenait cette voie. Elle vit alors un superbe perroquet dans une cage dorée.
- C’est à nous que vous parlez ? Demanda-t-elle.
- Et oui, ma petite dame ! renchérit l’oiseau. Figurez-vous que votre petit poussin ressemble étrangement à ma cousine Franquette !
- A ce nom, Chiffonnette tressaillit. Elle comprit de suite que ce perroquet arrogant, devait connaître la véritable identité de son cher petit
- Dites-moi mon brave, que savez-vous au juste de votre cousine ?
- C’est une bien longue histoire madame. Voyez-vous, l’année dernière, toute la troupe faisait son numéro. Nous sommes des artistes dans la famille. Nous faisons partie d’un cirque et nous voyageons de ville en ville. Je disais donc, nous étions dans ce village et c’était jour de repos pour toute l’équipe. Nous avions décide de faire une ballade dans les champs. Ma cousine, avait déjà son œuf et elle le promenait partout. C’était une bonne mère ! Nous avions faim, aussi nous nous sommes rassasiés dans un champs de blés. Hélas, le fermier n’était pas loin et dés qu’il nous a vus, il a lâché ses chiens sur nous.
- Je commence à comprendre ! Dis Chiffonnette.
- Ensuite nous avons couru, ma pauvre Franquette avait bien du mal à tenir l’œuf sous son aile. Aussi, quand nous sommes passés devant une cour de ferme, j’ai crié : jette ton œuf ! On viendra le récupérer demain. On a eu la plus grosse trouille de notre vie.
- Seulement le lendemain, lorsque nous voulions aller chercher l’œuf, nous ne l’avons jamais retrouvé. Depuis, nous errons de ville en ville, nous espérons le retrouver.
- Aujourd’hui, je pense que le petit doit être née, et comme votre poussin ressemble à Franquette, le doute n’est pas permis. Je crois que c’est le sien. Une chatte n’a jamais donné naissance à un poussin !

Chiffonnette a écouté cette histoire, elle comprend que le perroquet a raison, malgré tout elle l’interroge.
- Dites-moi pourquoi, mon poussin n’a pas d’aussi jolies plumes colorées, comme les vôtres ? Et pour quelle raison, votre cousine n’est pas là ?
- Pour ce qui est la couleur des plumes, c’est normal, Franquette est toute blanche. C’est la race des grands seigneurs ! Et si ma cousine n’est pas là ; c’est qu’elle est bien malade depuis la disparition de son œuf. Elle se laisse mourir. Autrefois elle dansait et moi je chantais, mon frère Frédo, jouait de la contrebasse. Mes sœurs faisaient les cœurs, je vous avais bien dit que nous sommes tous artistes dans la famille. Et le petit Babyton, vous auriez du l’appeler baryton !

Lorsque Babyton entendit toute cette conversation, une immense joie envahit son cœur de petit oiseau.
- Je suis un perroquet ! Je suis un perroquet ! Cria-t-il. Comme je suis heureux, je sais qui est ma famille. Emmène-moi vite voir ma maman. Je suis impatient de la connaître.
Babyton, tout à sa fougue ne se rendait pas compte, combien ces mots faisaient mal à Chiffonnette. Elle était heureuse qu’il retrouve ses origines, mais dieu que cet événement était cruel à vivre. Elle se reprochait d’avoir eu cette idée de venir au marché. Maintenant elle en était certaine, son poussin ne serait plus jamais avec elle.

Les choses allèrent rapidement ensuite, Chiffonnette se rendit dans la caravane du perroquet. Lorsque Franquette vit son fils, elle accourut en larmes et se jeta dans les bras du petit. La scène était émouvante, Chiffonnette pleurait, Babyton aussi mais ses larmes n’étaient certainement les mêmes que ses deux mamans.

Chiffonnette voulait s’esquiver discrètement en laissant là les retrouvailles si chaleureuses. Mais Babyton, qui la vit partir la supplia de rester, il ne pouvait pas se priver de sa maman nourricière. Aussi d’un commun accord, Jaco proposa à Chiffonnette de rester avec toute la famille perroquet. Tous reprirent la route et comme tout artiste continuèrent leur chemin.

Un jour si vous rencontrez une caravane transportant des oiseaux exotiques et une chatte peu ordinaire, arrêtez-vous, c’est certainement Chiffonnette !

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