vendredi 21 avril 2017

Le conte des trois poulettes - Henri Pourrat


Il y avait une fois trois poules, la grise, la blanche, la noire.
La grise entendit dire un soir à la maîtresse : « Je saignerai mes trois poules pour le dîner de Pâques ! »
En grand-hâte, elle alla avertir les deux autres. Et toutes trois, filant par le sentier comme si elles avaient
le renard à leurs trousses, sans caqueter ni sans piailler, elles gagnèrent le grand bois.
En ce grand bois, toutes les trois, elles se perchèrent dans un arbre, quelque honnête père sapin. Elles
y firent leur nuit comme elles purent, sans trop dormir, au moindre frôlement de vent croyant voir
apparaître le chat sauvage ou la martre, au moindre remuement de branche croyant ouïr le battement
d'ailes du grand duc ou du chat-huant qui font leur coup dans le noir.
« Il nous faut une maison, s'entredirent-elles, le lendemain, au premier rai de soleil dans la rosée. Nous
autres poulettes ne sommes pas des bêtes sauvages. Nous ne saurions vivre sans maison. »
De broutilles et de broutillettes
Bâtissons notre maisonnette !
Elles la bâtirent donc de bric et de broc, de brindilles et de bourres. Levé par trois poulettes, un joli
bâtiment comportant porte ouvrante.
Seulement, le château n'était pas grand. Jamais elles n'y tiendraient toutes trois.
« Que je voie », dit la poule noire.
Elle y entre, claque la porte, s'y enferme.
« Juste pour moi ! Il va juste pour moi. Vous autres deux, mieux vous vaudra aller bâtir plus loin.
– Mais si le renard vient, poulette noire, ma sœur, seule, que feras-tu?
– Le renard? Hé, je lui fermerai la porte au nez ! »
La grise et la blanche, ma foi, ont dû aller plus loin. Elles ont fait leur nuit branchées dans un poirier
sauvage.
Au matin, l'endroit leur convient, rafraîchi de fougères, et une fontaine y coulait à bas bruit.
De broutilles et de broutillettes
Bâtissons notre maisonnette !
De brindilles encore, et de bourres d'arbres, elles bâtissent un petit château. – Petit, ha, bien petit.
« Je vais l'essayer », dit la blanche.
Pour l'essayer, claque la porte, s'y enferme.
« Il serait trop petit pour nous deux ! Poulette grise, ma sœur, va-t'en bâtir ailleurs.
– Et le renard, poulette blanche, ma sœur ? S'il vient, seule, que feras-tu ?
– Eh bien, le renard, s'il vient, je lui ferme la porte au nez ! »
La poulette grise est allée plus haut, sous le couvert. Elle a trouvé un lieu tout égayé de fleurs rouges et
de sorbiers des grives.
« Ici, une maison semblerait bien placée. »
Dans un de ces sorbiers, la grise a fait sa nuit. Mais dès le point du jour l'éveille le pinson
« Pinson, tu m'as fait peur.
– Poulette grise, de fait tu peux trembler. Cette nuit le renard est venu dans le premier bâtiment que
vous avez bâti. Et il a mangé l'habitante. »
La grise n'a fait qu'un cri. Puis, a pleuré, a pleuré, a pleuré.
Un colporteur est venu à passer, la balle au dos, mouillant ses guêtres dans la fougère.
« Qu'as-tu à tant pleurer, pauvre poulette grise ?
– C'est ma sœurette noire que je pleure ! Elle n'était pas de trois jours au bois que le renard l'a mangée !
– Son heure était venue, crois-le, poulette grise. Seriez-vous restées à la ferme, la maîtresse aujourd'hui
l'aurait mise à la broche. Je le lui ai hier soir entendu dire. »
Le colporteur a consolé cette poulette. Elle, le payant d'un oeuf tout chaud, tout frais pondu, elle lui a
acheté un paquet d'épingles.
De broutilles et de broutillettes
Bâtissons notre maisonnette !
Elle a fait son château, a levé au pied de l'arbre son petit bâtiment et des épingles du colporteur a bien
garni la porte.
Trois jours après de ses cris le pinson l'éveille.
« Triste nouvelle, poulette grise, triste nouvelle ! Le renard a passé chez la poulette blanche et il a
mangé l'habitante. »
Elle n'a jeté qu'un cri, puis a pleuré, a pleuré, a pleuré. Après quoi, elle s'est assurée que les épingles
tenaient ferme, enfoncées dans la porte.
A peine avait-elle fait qu'elle a ouï trois petits coups. Une voix flûtée parlait, toute de gentillesse.
« Poulette grise, je viens te donner le bonsoir de la part de tes sœurettes, la poulette noire, la poulette
blanche. Ouvre la porte, ouvre, ma mie, que je te donne le bonjour et de leurs bonnes nouvelles
— C'est que je fais bouillir le lait, si je m'écartais, il se sauverait! »
Sur la porte le renard s'est jeté. Mais aux épingles, il s'est si fort piqué qu'il est allé se soigner en son
terrier, couinant comme un goret qu'on saigne.
La poulette grise a voulu monter son ménage. Elle avait besoin d'un chaudron. Elle est allée l'acheter en
foire. Elle l'a bravement rapporté sur son dos.
Comme elle revenait sur le chemin du bois, elle a par le bout d'un sentier vu venir le renard.
Ha, elle n'a eu que le temps de se blottir sous le chaudron, de se cacher là, et vite, et vite.
Le renard arrivait, qui avait bien cru la voir. Tout cuisant encore de piqûres et tout allumé d'appétit, il est
monté sur le chaudron. C'était pour mieux inspecter tout l'entour.
« Je n'ai pas rêvé, elle était là, cette péronnelle ! Elle n'a pas pu se changer en pelote de bruyère. Je n'ai
qu'à attendre, il faudra bien qu'elle sorte de sa cache. »
Il passait l’œil de tous côtés, s'émouchait de sa queue, piétinait et s'impatientait. « Je jure de lui faire un
sort ! On attendra tant qu'il faudra, mais on lui fera un sort, à la poulette grise, comme on en a fait un à la
noire, à la blanche ! Elle verra si les dents du renard entrent plus avant que ses épingles. »
Cependant, la poulette étouffait sous le chaudron; elle cuisait là au gros soleil, comme si elle eût été à la
broche. Le moment approchait où elle n'y pourrait plus tenir.
Par bonheur le pinson est venu, – ha, le pinson s'est bien montré pour elle...
Le renard l'a appelé :
« Pinson, pinson, n'as-tu pas vu la poule grise ? J'aurais à lui parler d'affaires.
– Renard, renard, précisément, elle est allée chez le notaire pour affaires d'héritage, l'héritage de ses
pauvres sœurs. Si tu veux lui parler, va l'attendre à la fourche du chemin. »
Le renard est parti, est allé se poster au carrefour.
Mais, sur le soir, il est venu à la maison de la poulette.
« Bonsoir, la poule grise! Bée, bée, bonsoir à toi.
– Et qui es-tu?
– Je suis le bélier cornu. Bée, bée! Ouvre-moi donc.
– Je coule la lessive.
– Bée, bée! pour affaire qui presse, j'aurais à te parler.
– Eh bien, montre patte blanche?
– A tantôt, poule grise, je repasserai tantôt. »
« Il est allé chez le meunier, est venu dire le pinson.
Ne te laisse pas tromper, surtout, poulette grise ! »
« Bée, bée ! C'est moi le bélier cornu, a crié un moment après le renard. Vois-tu mes pattes blanches ! »
Il les a passées sous la porte.
De sa hache à fendre le bois, la poule grise a déchargé un grand coup sur ces pattes enfarinées.
Si grand coup qu'elles en ont demeuré sur la place, tandis que le renard se traînait où il pouvait.
Toujours est-il que la poulette grise ne l'a jamais revu et a pu vivre en paix dans son petit château de
broutillettes et épinglettes.

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