vendredi 24 février 2017

Le chat botté - Grimm


Un meunier avait trois fils, son moulin, un âne et un chat. Les fils devaient moudre le blé, l'âne allait chercher le grain et le chat attrapait les souris. Quand le meunier mourut, les trois fils partagèrent l'héritage: l'aîné eut le moulin, le puîné l'âne et le cadet eut le chat, car il ne restait rien d'autre pour lui. Il était tout attristé et se disait: « C'est moi qui ai fait le plus mauvais héritage: mon premier frère peut moudre du blé, mon second frère peut monter sur le dos de son âne, mais moi, que puis-je bien faire de ce chat? Une fois que je me serai fait faire une paire de gants fourrés avec sa peau, c'en sera fini. » « Écoute, dit le chat, qui avait compris tout ce qu'il avait dit, tu n'as pas besoin de me tuer pour te faire une paire de mauvais gants avec ma fourrure. Fais-moi seulement fabriquer une paire de bottes pour que je puisse sortir et me montrer dans le monde, et ton bonheur sera bientôt fait. »
Le fils du meunier fut étonné d'entendre le chat parler ainsi, mais comme le cordonnier passait justement par-là, il lui demanda d'entrer et lui fit prendre les mesures du chat pour lui faire une paire de bottes. Quand celles-ci furent prêtes, le chat les chaussa; il prit ensuite un sac dont il recouvrit le fond de grain et à l'ouverture duquel il fixa une corde permettant de le fermer. Il jeta le sac sur son dos et franchit la porte de la maison en marchant comme un homme, sur ses pattes arrière.
En ce temps-là, il régnait dans ce pays un roi qui aimait beaucoup manger des perdrix. Mais c'était une vraie pénurie, car il était impossible d'en trouver. La forêt tout entière en était pleine, mais elles étaient si farouches qu'aucun chasseur ne parvenait à les attraper. Le chat savait cela et il voulut s'y prendre mieux que les chasseurs. Une fois dans la forêt, il ouvrit son sac, répandit le grain par terre et dissimula la corde dans l'herbe en la faisant passer derrière une haie. Il s'y cacha lui-même, rôdant et restant à l'affût. Les perdrix accoururent bientôt, elles trouvèrent le grain et, l'une après l'autre, elles entrèrent dans le sac. Quand il y en eut un bon nombre à l'intérieur, le chat tira sur la corde, puis il accourut et leur tordit le cou. Il jeta ensuite le sac sur son dos et se rendit tout droit au château du roi. La garde l'interpella:
- Halte! où allez-vous?
- Chez le roi, répondit le chat sans détour.
- Es-tu fou? Qu'irait donc faire un chat chez le roi?
- Laisse-le, dit un autre. Tu sais bien que le roi s'ennuie souvent, et peut-être que les ronronnements de ce chat le divertiront.
En arrivant chez le roi, le chat lui fit une révérence et lui dit: « Mon maître, le comte - et il donna un nom très long et distingué - présente ses compliments à Votre Majesté et lui envoie ici des perdrix qu'il vient de prendre dans ses collets. » Le roi s'étonna à la vue des belles perdrix bien grasses. Il ne se sentait plus de joie et ordonna au chat de mettre dans son sac autant d'or de son trésor qu'il pourrait en porter: « Porte cela à ton maître, et remercie-le encore mille fois pour son cadeau. »
Le pauvre fils du meunier était assis chez lui, à sa fenêtre, et se disait qu'il venait de dépenser pour les bottes du chat le peu d'argent qui lui restait, et il se demandait ce que celui-ci pourrait bien lui rapporter en échange. C'est alors que le chat entra. Il jeta son sac à terre et versa l'or qu'il contenait aux pieds du meunier: « Tiens, voilà pour les bottes. Le roi me charge également de te saluer et de te remercier mille fois. » Le meunier se réjouissait de ces richesses, même s'il ne parvenait pas encore vraiment à comprendre ce qui s'était passé. Quant au chat, tout en retirant ses bottes, il lui raconta tout, puis il lui dit: « Certes, tu as maintenant assez d'argent, mais les choses ne s'arrêteront pas là: demain, je chausserai mes bottes de nouveau et tu deviendras encore plus riche. D'ailleurs, j'ai dit au roi que tu étais comte. » Le lendemain matin, le chat retourna à la chasse, comme il l'avait dit, chaussé de ses belles bottes, et il rapporta au roi beaucoup de gibier.
La même chose se reproduisit tous les jours, et tous les jours, le chat rapportait de l'or à la maison. Il était si apprécié du roi qu'il pouvait entrer et sortir comme il voulait et aller où bon lui semblait dans le château. Un jour qu'il était dans la cuisine du roi, en train de se chauffer près du fourneau, le cocher arriva et poussa un juron: « J'aimerais que le roi et la princesse soient entre les mains du bourreau! Moi qui voulais aller à l'auberge pour boire un coup et jouer aux cartes, voilà que je dois les emmener en promenade au bord du lac! » Aussitôt qu'il entendit cela, le chat rentra discrètement chez lui et dit à son maître: « Si tu veux devenir comte et être riche, viens avec moi jusqu'au lac et baigne-toi dedans. » Le meunier ne sut quoi répondre, mais il suivit tout de même le chat, se déshabilla complètement et plongea dans l'eau. Quant au chat, il prit ses habits, les emporta et les cacha. À peine avait-il terminé que le carrosse du roi arriva. Le chat se mit aussitôt à se lamenter de la façon la plus poignante qui soit: « Ah, Votre Majesté! Mon maître était en train de se baigner dans ce lac quand un voleur est arrivé et a volé ses vêtements qui étaient posés sur la rive. Maintenant, Monsieur le Comte est dans l'eau sans pouvoir en sortir, et s'il y reste plus longtemps, il risque de prendre froid et d'en mourir. » Quand il entendit cela, le roi fit arrêter son carrosse et envoya un de ses hommes au château rapporter des vêtements de la garde-robe royale. Monsieur le Comte passa ces habits somptueux et, comme le roi était de toute façon bien disposé à son égard à cause des perdrix qu'il pensait avoir reçues de lui, il lui fît prendre place dans son carrosse. La princesse n'en était pas fâchée non plus, car le comte était jeune et bien fait de sa personne, et il lui plaisait bien.
Le chat, de son côté, avait pris de l'avance et était arrivé au bord d'une grande prairie où plus d'une centaine de gens étaient en train de faire les foins.
- Eh, vous autres, à qui est cette prairie? demanda le chat.
- Au grand magicien.
- Écoutez, le roi va bientôt passer par ici. S'il demande à qui est cette prairie, répondez-lui: 'Au Comte'. Et si vous ne le faites pas, vous serez tous tués.
Sur ce, le chat poursuivit son chemin et arriva près d'un champ de blé qui était si grand qu'on ne pouvait manquer de le voir, et où plus de deux cents personnes étaient occupées à moissonner.
- Eh, vous autres, à qui est ce blé?
- Au magicien.
- Écoutez, le roi va bientôt passer par ici. S'il demande à qui est ce blé, répondez-lui: 'Au Comte'. Et si vous ne le faites pas, vous serez tous tués.
Le chat parvint enfin à une magnifique forêt où plus de trois cents personnes étaient en train d'abattre de grands chênes et de couper du bois.
- Eh, vous autres, à qui est cette forêt?
- Au magicien.
- Écoutez, le roi va bientôt passer par ici. S'il demande à qui est cette forêt, répondez-lui: 'Au Comte'. Et si vous ne le faites pas, vous serez tous tués.
Le chat continua son chemin et tout le monde le suivit des yeux. Et comme il avait une apparence si étrange et qu'il marchait comme un homme avec ses bottes, ils eurent peur de lui. Le chat arriva bientôt au château du magicien. Il y entra hardiment et alla se poster devant lui. Le magicien le regarda d'un air méprisant et lui demanda ce qu'il voulait. Le chat fit une révérence et dit:
- J'ai entendu dire que tu pouvais te transformer à ta guise en n'importe quel animal. Je veux bien le croire, s'il s'agit d'un chien, d'un renard ou encore d'un loup. Mais que tu te transformes en éléphant, cela me semble impossible, et'je suis justement venu pour m'en persuader.
- C'est peu de choses pour moi, répondit fièrement le magicien, qui se changea aussitôt en éléphant.
- C'est déjà beaucoup, mais peux-tu aussi te changer en lion? dit le chat.
- Ça aussi, c'est une bagatelle, répondit le magicien, et aussitôt, un lion apparut devant le chat.
Le chat fit semblant d'être effrayé et s'écria:
- Voilà qui est incroyable et inouï! Même en rêve, je n'aurais jamais pu imaginer une chose pareille! Mais ce qui serait au-dessus de tout, c'est si tu pouvais te transformer en un animal aussi petit qu'une souris. Tu as certainement plus de pouvoir que n'importe quel magicien au monde, mais cela sera certainement au-dessus de tes forces.
- Mais si, gentil petit chat, je peux faire cela aussi, répondit le magicien, que ces douces paroles avaient rendu tout miel, tout sucre, et il se mit à courir à travers la pièce sous l'apparence d'une souris.
Le chat se lança à sa poursuite, rattrapa la souris d'un bond et l'avala. Pendant ce temps, le roi avait poursuivi la promenade avec le comte et la princesse, et arriva près de la grande prairie.
- À qui est ce foin? demanda le roi.
- À Monsieur le Comte, lui répondit-on en chœur, comme le chat l'avait ordonné.
- Vous avez là une belle parcelle de terre, Comte, dit le roi.
Ils arrivèrent ensuite au grand champ de blé.
- Eh, vous, à qui est ce blé?
- À Monsieur le Comte.
- Eh bien, Comte, vous avez de belles et de vastes terres!
Puis ils parvinrent près de la forêt:
- Eh, vous, à qui est cette forêt?
- À Monsieur le Comte.
Le roi fut encore plus étonné et dit: « Vous devez être un homme très riche, Comte. Je ne crois pas que j'aie une forêt aussi magnifique. » Ils atteignirent finalement le château. Le chat se tenait en haut de l'escalier et quand la voiture s'arrêta au pied de celui-ci, il fut en bas d'un bond et ouvrit la porte du carrosse en disant: « Majesté, vous êtes ici au château de mon maître, le Comte, et l'honneur que vous lui faites le rendra heureux jusqu'à la fin de ses jours. » Le roi mit pied à terre et fut émerveillé à la vue du bâtiment somptueux, qui était presque plus grand et plus beau que son propre château. Le comte, quant à lui, monta l'escalier en tenant le bras de la princesse et la mena dans la salle qui scintillait d'or et de pierres précieuses.
On conclut alors le mariage de la princesse et du comte, et quand le roi mourut, celui-ci prit sa place sur le trône et fit du chat botté son premier ministre.

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