vendredi 21 octobre 2016

Chapitre 12



Chapitre 12

Le meunier, sa femme et le petit Pierrot tenaient conseil entre eux pour savoir comment ils tireraient de M. le Vent une grosse rançon, lorsqu'ils entendirent la pluie tomber à torrents et les voix des petits esprits chuchoter sur le toit :
" Ingrat Jean-Pierre, disaient ces voix. Nous avons fait ta fortune, et tu nous refuses l'entrée de ta maison ! Nous glissons sur les ardoises, nous coulons de la gouttière dans le ruisseau. Plus de vitres brisées, plus de trous au mur ! Nous ne pouvons plus mouiller tes meubles, ni sauter dans ta chambre. C'est en vain que nous tombons par milliers, petites gouttes, gouttes, gouttes. "

- Est-ce que Mme la Pluie serait disposée à revenir ? dit le meunier.

- Ouvrons-lui la fenêtre bien vite, s'écria Claudine. "

Aussitôt Mme la Pluie entra. Des flots de larmes coulaient de ses yeux ; ses habits étaient plus trempés qu'à sa première visite et son nez plus enflé par le rhume de cerveau.

"  Qu'est-il donc survenu ici ? dit-elle d'un ton lamentable. Je ne reconnais plus cette maison. Donne-moi un bon fauteuil, Jean-Pierre, afin que je puisse bâiller et m'ennuyer un instant dans ce joli appartement. Je t'ai porté bonheur, à ce que je vois. La boîte de cuivre et le livre doré sur tranches ont profité au petit Pierrot. Comme vous n'avez plus besoin de moi, je ferai du bien à d'autres. Adieu, mes amis. "

Elle allait déjà se glisser par la fenêtre lorsque Claudine ferma brusquement les persiennes, les volets et les doubles rideaux. Aussitôt Madame la Pluie tomba en défaillance dans son fauteuil. Ses larmes cessèrent de couler ; son nez se dégonfla ; ses vêtements se séchèrent ; sa physionomie devint souriante et son visage sembla presque coloré.

" O désespoir ! s'écria-t-elle d'une voix moins traînante, me voilà prise ! Mes amis, ne me faites pas mourir, ne m'enfermez pas dans cette serre chaude. Je me dessèche ! au secours ! ouvrez la fenêtre par charité.

- La Pluie ne saurait mourir, dit Pierrot. Vous ne sortirez pas sans payer pour votre délivrance.

- Payer, mon Dieu ! Et que voulez-vous que je paye ? parlez vite. Je n'en puis plus. Si vous ne me rendez pas ma langueur, mes larmes, mon ennui et mon rhume de cerveau, je vais avoir une attaque de nerfs.

- Cela ne sera rien, dit Jean-Pierre. Je vous jetterai un verre d'eau sur le visage, comme je fais lorsque ma femme a envie de s'évanouir. Il faut capituler avec nous. Je veux de l'argent ; Claudine demande un don magique et Pierrot des lettres de noblesse.

- Vous aurez de l'argent et le don magique ; mais Pierrot ne deviendra baron que s'il se distingue par des actions d'éclat. Laissez-moi partir. O folle, étourdie que je suis, d'avoir donné dans ce piège ! "

Mme la Pluie poussa des sanglots et porta sa main à ses yeux pour y chercher une larme ; mais pas une goutte d'eau ne voulut sortir. Elle tenta un dernier effort pour s'échapper ; mais Jean-Pierre s'arma d'un parapluie, Claudine d'une bassinoire et Pierrot lui jeta sur le nez une serviette chauffée au feu. Elle tomba pâmée sur le tapis de la cheminée. Alors Claudine prit Mme la Pluie par le milieu du corps et la jeta dans un évier. On l'entendit couler dans le plomb et tomber au fond de la citerne, dont Jean- Pierre ferma soigneusement le couvercle en le chargeant d'un gros pavé.

Au même instant, les ruisseaux cessèrent de murmurer au dehors ; la gouttière se vida ; les feuilles des arbres se séchèrent ; la terre but l'eau qui était tombée ; le ciel ôta son manteau de nuages pour mettre son habit parsemé d'étoiles et la lune, resplendissante, lança ses rayons bien loin dans la plaine.

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